
Depuis le début, la qualité du travail non partisan réalisé pour faire accepter l’aide médicale à mourir au Québec m’a impressionné. Il me restait toutefois un doute : que les médecins n’agissent pas, en raison des sanctions criminelles possibles.
Parce que, malgré notre loi sur les soins de fin de vie, le Code criminel affirmait toujours ceci :
Or, la Cour suprême vient justement d’invalider ces articles. Aider à mourir n’est plus un crime, dans certaines circonstances :
«Dans un jugement unanime et historique, la Cour a statué que l’interdiction contenue aux articles 14 et 241 du Code criminel du Canada porte atteinte à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. (…) Cette invalidité s’applique toutefois à un groupe restreint de personnes : elle vise les personnes adultes capables; qui consentent clairement à mettre fin à leur vie ; qui sont affectées par des problèmes de santé graves et irrémédiables; et dont ces problèmes leur causent des souffrances persistantes et intolérables.»
En infirmant le célèbre jugement de 1993 dans l’affaire Rodriguez, ce nouveau jugement, unanime et signé par les neuf juges en poste, démontre l’évolution du droit sur ces questions fort complexes :
«Le caractère sacré de la vie “n’exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix” (…). Le droit en est venu à reconnaitre que, dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d’une personne quant à la fin de sa vie.»
La Cour suprême montre aussi que les travaux menés au Québec étaient bien en phase avec l’air du temps. C’est un remarquable dénouement, qui vient par ailleurs confirmer la position avant-gardiste adoptée par le Québec.
Les craintes des médecins
J’avais, sur un point, un désaccord avec Véronique Hivon, dont j’ai par ailleurs souligné plusieurs fois le remarquable travail dans ce dossier. Bien que les médecins eurent été largement favorables au principe de la loi et que 41 % d’entre eux eurent affirmé être prêts à passer à l’acte, je me demandais tout de même s’ils agiraient.
Je croyais que la menace de conséquences criminelles (pour un geste passible d’une peine maximale de 14 ans de prison) allait en faire reculer plus d’un, surtout dans la mesure où le gouvernement Harper ne semblait pas prêt d’adoucir le code. À ce propos, nous avions eu, l’automne dernier, l’échange suivant :
Véronique Hivon soulignait avec justesse que la loi sur l’aide médicale à mourir relevait des soins (donc du provincial) et non du droit criminel (fédéral).
Maître Jean-Pierre Ménard, qui a aussi largement contribué au projet, m’avait également rappelé que la décision d’engager des poursuites relève du provincial, et qu’en ce sens, les médecins seraient protégés par la loi avant-gardiste adoptée au Québec. Mais les médecins n’étant pas juristes, je craignais tout de même qu’ils n’osent pas agir, malgré la qualité de l’encadrement légal québécois.
Nous ne pourrons jamais vérifier mon hypothèse, ce jugement venant de lever mon dernier doute.
Tuer ou ne pas tuer
Au tout début, je m’étais moi-même posé la question : est-ce que j’agirais ? Une réflexion toute personnelle, mais lourde de conséquences. Est-ce que je pousserais le piston de la seringue pour aider un patient à mourir ?
J’en étais arrivé à la conclusion que oui, parce que je ne pourrais refuser à un patient très souffrant l’aide médicale à mourir pour le forcer à rester «parmi nous».
Dans mon livre Les acteurs ne savent pas mourir, le chapitre «Je n’ai pas tué mon patient» illustre d’ailleurs de manière réaliste une application éventuelle d’une aide médicale à mourir :
«Le vieil homme respire encore un peu, mais à peine. Le cycle respiratoire s’étire et devient superficiel. Un léger mouvement agite sa main gauche, puis s’interrompt. Je calcule mentalement la dose reçue, deux fois celle d’une anesthésie générale. Il me faut continuer jusqu’à l’arrêt complet de la respiration, puis ajouter une pleine dose.
L’homme ne respire déjà plus. J’attends quelques instants, donne l’autre dose, débranche la seringue du soluté, vérifie le pouls, à peine perceptible. Une minute plus tard, je le perds.
— Mes sympathies. Je vous laisse avec lui. Prenez le temps que vous voulez. L’infirmière va revenir tout à l’heure.»
L’ex-ministre m’avait fait remarquer le changement de titre entre une première version de ce texte, intitulé «J’ai tué mon patient», et celui que j’avais ensuite remanié pour le livre. Le point est important.
Pour la petite histoire, c’est ma mère qui, outrée du choix de ce titre («J’ai tué mon patient»), m’avait d’abord fait réfléchir. Elle ne pouvait, avec raison, voir associés le soulagement d’un patient en phase terminale avec l’idée du meurtre. Comme on doit toujours écouter sa mère, j’ai alors décidé de changer pour : «Je n’ai pas tué…». Parce qu’il ne s’agit vraiment pas de tuer, mais bien de soigner, en mettant fin à de grandes souffrances par compassion.
La Cour suprême vient de confirmer mon second choix de titre et a donné raison à ma mère… de même qu’à Véronique Hivon.
Un cadre humaniste et rigoureux
Dans la loi sur les soins de fin de vie, la partie portant sur l’aide médicale à mourir est, à mon avis, aussi rigoureuse que profondément humaniste. Elle ne laisse place à aucune interprétation, minimisant ainsi les risques de dérives.
Pour accéder à l’aide médicale à mourir, il faut en effet que le patient soit en fin de vie, qu’il demeure très souffrant et qu’on ne puisse le soulager. Et il faut surtout qu’il exprime lui-même cette demande de recevoir les soins permettant de hâter son décès.
Concluant ce processus législatif entamé chez nous depuis plus de cinq ans, la Cour suprême prépare le chemin à l’implantation, dans les milieux de soins, de ces dispositions spécifiques touchant l’aide médicale à mourir. Comme l’application du jugement est suspendue pour un an, les provinces ont ce délai pour compléter leur réflexion. Nous aurons simplement pris un peu d’avance au Québec.
Bien sûr, je sais qu’il est impossible de faire l’unanimité sur ces questions et que certains sont heurtés par de telles dispositions législatives.
Pour ma part, j’y vois un avancement de la pensée humaniste, à la hauteur de ce que nous pouvons réaliser de mieux au Québec — et dans le respect de la personne la plus importante quand on parle de soins de fin de vie : le patient souffrant.
* * *
18h44. Vers 15h45, un expert en droit de l’Université d’Ottawa a mentionné en onde a Radio-Canada (15-18) que la décision ne s’appliquait qu’au suicide assisté, et non à l’aide médicale à mourir. Perplexe, j’ai communiqué avec Maître Jean-Pierre Ménard, un expert du domaine, qui m’a confirmé que le jugement s’appliquait bien à l’aide médicale à mourir, et confirmait donc la validité de l’approche québécoise.
***
À propos d’Alain Vadeboncœur
Le docteur Alain Vadeboncœur est urgentologue et chef du service de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, où il enseigne, il participe aussi à des recherches sur le système de santé. Auteur, il a publié Privé de soins en 2012 et Les acteurs ne savent pas mourir en 2014. On peut le suivre sur Facebook et sur Twitter (@Vadeboncoeur_Al), et il a aussi son propre site Web : alainvadeboncoeur.com.
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Soulagée, voilà ce que je ressens.
C’est ce que beaucoup de gens ressentent aussi.
L’«aide médicale à mourir», une expression mal choisie.
La définition de la médecine étant : Science qui a pour objet l’étude, le traitement, la prévention des maladies; art de mettre, de maintenir ou de rétablir un être vivant dans les meilleures conditions de santé; selon http://www.cnrtl.fr/definition/m%C3%A9decine
Cette expression fautive a été choisie pour indiquer que l’euthanasie doit être pratiquée par un médecin sous un certain nombre de conditions. Mais dans les faits cette action reste une euthanasie et n’est pas une médecine. Il semble que pour beaucoup de gens le mot euthanasie soit lourdement chargé de sens. Par exemple, on l’utilise pour des chiens ou des chats ou des chevaux, sans évidemment leur demander leur avis. Mais l’action est la même.
J’imagine que la loi québécoise sur l’euthanasie prévoit comment sera établi le consentement du patient et comment éviter que des pressions soient exercées pour l’inciter à choisir son euthanasie. Par exemple, il semble que la plupart des souffrances physiques peuvent être éliminées ou soulagées avec les médicaments modernes. Il faudra donc que le médecin qui pratiquera cette euthanasie fasse la preuve que le patient a expérimenté tous les traitements possibles pour enrayer la douleur.
On peut craindre aussi que le manque de ressources dans les hôpitaux soit un incitatif à se débarrasser des gens qui ne peuvent guérir.
À partir du moment où un patient n’est pas en mesure d’obtenir des soins qui permettront le traitement de ses douleurs intolérables, est-ce que la meilleure condition de santé n’est pas la mort?
Si la réponse est oui, alors l’aide à mourir est médicale.
Pardon, utilisation fautive de la négation ici, j’aurais dû écrire « est-ce que la meilleure condition de santé est la mort? »
Ce sont des craintes justifiées. Comme beaucoup de gens, je pense que la législation québécoise répond bien à ces craintes et encadre bien le choix – restera exceptionnel – de l’aide médicale à mourir. Merci pour le commentaire.
Beaucoup de réflexions et d’analyses à faire autant du point de vue médical que légal et surtout humain. Humaniser nos relations et retourner à l’essentiel. (Bravo Dr Vadebonsoeur, votre mère vous guide bien et vous avez raison de prendre en considération son opinion. )
Effectivement, de tels gestes ne peuvent se poser sans une réflexion éthique et humaniste approfondie. Les travaux ayant mené à l’adoption de la loi québécoise sont de ce niveau, à mon sens. Merci pour le commentaire.
J’ai toujours trouvé dommage que le Collège des Médecins n’a jamais pu fournir jusqu’à ce jour la formation pertinente du droit à mourir dans la dignité, notion somme toute récente qui est apparue avec le vieillissement naturel de la population et de la médiation de cas particuliers (Rodriguez, Mortimer). Le sermet d’Hypocrate qui lie les médecins à leur profession n’a jamais été dans le sens d’une gestion et d’une acceptation de la mort provoquée comme démarche finale, à part le débranchement quand le cerveau ne réagit plus. Mourir dans la dignité ne signifiait pas euthanasier quelqu’un part pur égoïsme. Voir un homme actif devenir subitement dépendant de tous attaché à des barrières de lit d’hôpitaux parce que l’équipe médicale craignait pour sa sécurité, tenter impuissamment d’alléger sa souffrance en se demandant où j’avais pu fauter pour qu’on en arrive là, se demander si la force tant nécessaire pour passer à travers une quatrième hospitalisation allait me quitter parce que je ne savais plus, douter profondément de moi devant mon apparent égoïsme, mes questionnements, douter de ma capacité à accepter l’inévitable parce que je lui avais toujours dit qu’on guérissait à l’hôpital, s’apercevoir que « mourir dans la dignité » n’était pas une solution, même si toute tentative de sécuriser l’urgentologue qu’il ne tuait pas et qu’il ne serait pas poursuivi; aujourd’hui, le Collège des Médecins n’aura pas d’autre choix que d’inclure cet aspect des soins dans la formation médicale peu importe la formation du médecin spécialiste. Ce sera un changement de mentalité qui mettre peut-être dix ans à être accepté et encadrer, mais au moins, on ne se sentira plus aussi démuni devant nos impuissances.
Effectivement, ce sera long mais essentiel. Ceci dit, il fallait d’abord que le geste soit permis et encadré. La formation viendra, c’est d’ailleurs plutôt le rôle des universités que du Collège. Merci du commentaire.
Merci Dr Vadeboncoeur, le serment d’Hypocrate à encore un adepte. J’en suis ravi. Je vois en vos propos la désarmante simplicité du coeur avec laquelle vou actez la vie professionnelle. il y a des gens dont le jugement est moins certains, hélas
Par analogie, dans ma profession on sait que parfois une petite tape su les fesse pour un enfant au comportement disjoncté peut s,avérer bénéfique. Ceopendant on ne peut le recommander pour des raisons d’abus potentiel il en est certain. pour ce qui nous occupe par la raison de mon alignement avec vous et simple. Le tout devient juste une mise à la réalité d,un geste qui est tout de même déjà pratiqué depuis déjà longtemps. La petite picure de morphine à dose élevé pour éviter lasouffrance au patient est totu de même toléré par tous, parents, personnel médical et autre. Je crois ue nos hésitations et questionnement sortent tout droit de notre septicisme envers certains comportements humains connus.
Je rappelle cependant à tous que le sociologue Grandmaison disait un jour: Des valeurs molles font un peuple mou. Et moi j,ajouterais l’inverse à ce propos… un peuple mou fait des valeurs molle. Alors la roue va tournée. Vous ayant connu moi-même, je ne peux qu’espérer que la majorité de vos collègues aient la « fibre du bon docteur » comme vous l’avez. La permission justifie telle la raison? On est tout de mêe pas loin de l,idée du fameux film SOLEIL VERT. Une aide médicale à mourir ne deviendra pas un outil de gestion des places quand le patient passe du statut d’individu au statut d’outil de développement économique. Pour ma part je suis encore questionnant sur la question. La justesse et la pertinence d’une loi , ne garanti pas nécessairement le juste application. M’enfin il y a dans tout, des bonne gens et des tordus. si la vie humaine existe encore aujourd’hui c’est probablement que le nombre de bonne gens est supérieur au nombre de tordus dans l’humanité. Doncje vous suis, mais je demeure dubitatif sur la question.
Comme le mentionnait aujourd’hui maitre Jean-Pierre Ménard à Desautels, il y a beaucoup de gardes-fous, le premier étant le travail d’équipe obligatoire, ce qui lui fait dire que arriver à une dérive dans le cadre de cette loi, il faudrait presque une omerta, ce qui est fort peu probable.
Dr. Vadeboncoeur et public lecteur de la présente, bonjour!
En poursuivant la lecture de mon commentaire, peut-être vous donnerez-vous rendez-vous avec l’odieux, l’inacceptable ? J’ai pensé, dans un esprit de respect de votre personne et surout de votre dignité, que je fasse cette mise en garde. !989: j’ai tué. À un être humain, j’ai enlevé la vie. Madame Catherine Dubé du présent magazine m’y a interviewé deux fois. Oui, je suis allé jusqu’à mettre fin à la vie et jamais au grand jamais, de quelque façon que ce soit, je souhaite récidiver. «Mon» épouse est au courant. Je ne donnerai jamais mon aval, mon approbation médicale à la fin de sa vie. Du mieux que j’y pourrai je lui serai présent en termes de «palliatifs» Je sais aussi que «mon» épouse ne me demandera pas de contribuer à sa mort. Elle sait, elle connait, elle vit avec les conséquences de ce lugubre geste de 1989 qui a été mien. Plus haut dans l’article, j’ai lu : «Tuer ou ne pas tuer» et j’ai reculé devant l’indéfinissable froideur voire froidure de ces cinq mots. J’en conviens…sujet extrêment délicat…foi d’auteur de mort. Je vous avoue ignorer comment poursuivre la rédaction de mon commentaire? La vie…compagne de mort et de la mort…et la mort compagne de la vie…toutes deux ont la responsabilité de m’être présentes au moment de ma mort…à venir. Je leur impute cette responsabilité. Pour celles et ceux qui ont été capables d’aller au bout de mon «papier», je vous remercie de m’avoir lu.
Pour plus de détails: Gaston Bourdages – Auteur- Conférencier sur http://unpublic.gastonbourdages.com
Cher Dr. Vadeboncoeur, comme ex Infirmière, je me suis retrouvée dans des circonstances ou la souffrance inqualifiable d’un patient me remplissais d’horreur et que j’ai souhaitée qu’il meure au plus vite mais ne puisse rien pour lui et sa famille. J’ai le souvenir qui ne m’a jamais laissé d’un patient au début de ma carrière. Souffrant d’un cancer du pancréas en phase terminale, il était si amaigrit que quand je lui donnait sa piqûre de morphine, l’aiguille rebondissait sur l’os bien que je choisisse la plus courte possible. J’en ai fait des cauchemars pendant des années. Allait-il finir par mourir? Il a erré dans ce no-mans land de la semi conscience pendant des semaines malgré les très fortes concentrations de morphine qui auraient du l’aider à mourir. La famille n’en pouvait plus de le voir ainsi et moi non plus. Il arrive un temps ou la souffrance n’a plus aucun sens.
J’espère que si cela doit m’arriver, quelqu’un aura la capacité de respecter mon choix de mourir avant d’en arrivé là. Il n’y a aucune raison que l’on doive attendre d’en être rendu à un état pareil pour mourir.
Je suis très contente du jugement de la cour suprême qui je l’espère finira par convaincre les plus hésitant. En mettant des barèmes élevés dans la décision, il sera, je l’espère, impossible de tomber dans l’exagération et de se débarrasser des gens pour satisfaire à des besoins de place ou de »est-il encore utile à la société » ce qui deviendrait un crime contre l’humanité et non une aide de fin de vie. La mort fait partie de la vie et comme tel, il en est de NOTRE choix dans les cas ultimes de décider de NOTRE vie.
Voilà, c’est mon vécu et mon opinion tant comme Infirmière que comme personne.
Rares sont les occasions ou nos femmes et hommes politiques travaillent avec une telle complicité afin d’en arriver à une entente mutuelle. Je les félicite. Ils ont démontrer au ROC que nous sommes un peuple sensible et évolué. Même la Cour suprême s’inspire de notre loi dans son jugement. Je suis pour le libre choix. J’approuve à 100% le maintient et même l’augmentation du nombre de lits en soins palliatifs, tout comme j’approuve le choix individuel de la personne qui souffre de continuer ou de vouloir en finir avec la souffrance.