Joanne Liu : Soigner l’humanité

Sa devise : « Ne jamais s’habituer à la mort. »

Illustration : Paule Thibault

Joanne Liu n’aime pas être vue comme une héroïne. La pédiatre-urgentologue de 52 ans a pourtant fait plus de 20 missions avec Médecins Sans Frontières (MSF) dans des pays dévastés par des guerres, des catastrophes ou des épidémies, avant de devenir présidente internationale de l’organisation, en 2013. « La maman qui marche trois jours avec son bébé malade pour atteindre un centre médical de MSF, c’est elle, l’héroïne », tranche la médecin. Le ton est péremptoire, le regard affirmé.

En plus de s’adresser aux hautes instances (ONU, G7, G20…) pour attirer l’attention sur les crises humanitaires, la présidente de MSF continue de se rendre sur le terrain. En Sierra Leone, elle a pris la mesure de l’ampleur de l’épidémie d’Ebola. Au Yémen, elle a vu les corps déchiquetés des victimes des bombardements. Voir la réalité, aussi horrible soit-elle, lui permet de mieux en témoigner.

Car les 35 000 travailleurs humanitaires de MSF ne font pas que soigner. Ils dénoncent les situations qui l’exigent. L’an dernier, l’organisation a ainsi refusé 63 millions d’euros de l’Union européenne pour protester contre la quasi-fermeture de ses frontières aux migrants fuyant les guerres. Refuser cet argent — environ 5 % des revenus annuels de MSF — a été perçu comme un geste courageux par certains, mais comme de l’arrogance par bien d’autres. La présidente l’assume. « Il aurait été hypocrite d’accepter des fonds de l’Union européenne, alors qu’elle met en application une règle qui, humainement, n’a pas de sens. Emprisonner une maman enceinte qui tente de sauver sa vie ou un enfant qui a fui les bombes en Syrie… Je ne comprends pas qu’on criminalise ces gens », dit-elle.

Elle pourrait être cynique à force de côtoyer l’horreur. Il n’en est rien. Deux livres, lus à l’adolescence, résonnent encore en elle : Et la paix, docteur ?, vibrant témoignage d’un chirurgien de Médecins Sans Frontières, et La peste, d’Albert Camus, mettant en scène un médecin qui combat ce mal sans traitement. Joanne Liu n’a jamais oublié les paroles de ce personnage sur ce qui le pousse à continuer : « Je ne suis toujours pas habitué à voir mourir. » La jeune Liu en a fait sa devise : ne jamais s’habituer à la mort.

C’est pourquoi elle s’est rendue devant le Conseil de sécurité des Nations unies l’an dernier, pour exiger le respect de la règle la plus élémentaire de la guerre : épargner les civils et les soignants. En Syrie et au Yémen, 34 hôpitaux gérés ou soutenus par MSF ont été la cible d’attaques par des coalitions militaires l’an dernier. L’année d’avant, les Américains, affirmant qu’ils visaient des talibans, ont bombardé un hôpital de MSF en Afghanistan, tuant 42 personnes. « La guerre doit s’arrêter aux portes de notre hôpital, dit Joanne Liu. Aucune arme n’est tolérée entre nos murs et nous soignons tout le monde, peu importe leur allégeance politique. Quand on se permet de bombarder des hôpitaux, on renie nos engagements par rapport à la Convention de 1951 de l’ONU relative au statut des réfugiés. Ces choses que nous avons créées collectivement, c’est notre part d’humanité commune. Il faut les défendre. »

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