Juger après coup

En gestion de pandémie comme en toute chose, il est facile de souligner les erreurs après les événements. Mieux vaut s’en servir pour tirer des leçons plutôt que pour pointer des coupables.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.

Juger des décisions a posteriori est trop facile. Elles peuvent être aisément remises en question, alors que le point de vue avantageux de l’avenir devrait obliger à plus de modestie.

On condamne ainsi la décision du printemps 2020 de transférer beaucoup de patients des hôpitaux vers les CHSLD. Pourquoi ? Parce qu’elle a contribué à la multiplication du nombre de décès de personnes âgées. Sauf que malgré le drame, il faut adopter une perspective légitime.

La tendance à juger à partir des conséquences observées et non des faits connus à l’époque implique un problème évident : quand on scrute ce qui a mal été (sauf pour les catastrophes naturelles, et encore), on trouve toujours des causes. Si tout s’était bien passé dans les CHSLD, on n’examinerait pas ces événements avec attention, que des erreurs aient été commises ou non.

La deuxième faille de perspective est qu’il est impossible de comparer. La solution de rechange — ne pas envoyer les patients vers les CHSLD — n’a pas été tentée et personne ne sait vraiment ce qu’il serait advenu en ce cas. Les hôpitaux sont peut-être mieux équipés pour empêcher les contagions, mais comme les éclosions les ont frappés eux aussi, qui sait si on n’y aurait pas gonflé les cas, au point de menacer ainsi davantage de patients et le personnel ? Et je rappelle qu’il n’y aura jamais d’enquête sur le sujet, le coroner n’analysant pas les situations hypothétiques.

Un troisième problème est la remise en cause a posteriori de la légitimité de la décision. Replaçons-nous mentalement en mars 2020 : on craignait des raz-de-marée hospitaliers comme en Lombardie (Italie) et à New York. Parmi les différents scénarios évoqués à ce moment, libérer des lits demeurait le plus sensé pour ne pas compromettre la capacité d’offrir des soins à tout le monde.

En fait, je ne me souviens pas d’avoir entendu quiconque affirmer qu’il ne fallait pas se donner cette marge de manœuvre. Pourtant, on juge désormais sévèrement le fait d’avoir libéré un maximum de lits, notamment par ces transferts, même si personne ne pouvait prédire à quelle hauteur la vague monterait. Dans les hôpitaux, on comprenait bien les conséquences terribles d’une saturation des soins intensifs : d’innombrables vies auraient alors été perdues.

Imaginons que le virus de mars 2020 ait été Omicron, avec sa contagiosité extrême, fondant dès la fin de l’hiver sur notre population non vaccinée. En janvier 2022, malgré un taux de vaccination appréciable, les hôpitaux sont passés près de s’effondrer et de ne plus pouvoir offrir les services courants. Ce genre de scénario était plausible au printemps 2020 ; il est facile de comprendre qu’il ait poussé à prendre toutes les précautions possibles pour l’éviter. Comment aurait été jugée la décision de garder les personnes âgées à l’hôpital en ce cas ? Bien plus négativement, sans aucun doute. Or, c’est à cette aune qu’il faut considérer celle de libérer les lits en transférant vers les CHSLD les patients qui devaient de toute manière y être admis.

Soit, la capacité des CHSLD à prévenir les éclosions et à offrir les services requis a été mal évaluée. Aurions-nous pu agir comme en Colombie-Britannique et interdire au personnel de passer d’un CHSLD ou d’une unité de soins à l’autre pour éviter les contagions ? En raison de la pénurie chronique de main-d’œuvre, peut-être pas sans menacer directement le maintien des soins de base partout.

Je rappelle enfin que l’idée de crise correspond à un dépassement des capacités d’adaptation. Est-ce qu’on peut reprocher à des gens n’ayant pas d’expérience en ce domaine — et je souligne que personne n’a vraiment cette expérience dans le monde —, placés au cœur de la pire pandémie des 100 dernières années touchant l’ensemble du système de santé, avec des risques pouvant mener à de terribles conséquences, d’avoir pris certaines décisions prêtant le flanc à la critique ? Hors de l’œil du cyclone, il est trop facile de juger.

Le plus important, ce n’est pas de trouver des coupables, mais d’apprendre à fond de cette crise et de nos insuffisances d’alors — et d’aujourd’hui ! — pour mieux nous préparer à la prochaine tempête. Or, une attitude incriminante n’aide pas quand on veut surtout savoir le plus fidèlement possible ce qui a été vécu, afin d’en tirer toutes les leçons.

Quant à la décision mise en doute, il faut se garder une petite gêne. Parce que non seulement l’appareil permettant d’ausculter le passé, le rétrospectoscope, est introuvable quand on en a vraiment besoin, mais il n’a même pas encore été inventé.

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Votre article est intéressant et votre point de vue aussi! Par contre, votre point de vue ne tient pas compte des erreurs commises en janvier 2020 alors que les communications de l’OMS étaient très claires, à savoir qu’il fallait se préparer. Le gouvernement de la CAQ a choisi de ne rien faire tout comme le Directeur national de la santé publique du Qc qui a surtout dit aux Québécois et Québécoises de ne rien faire pour se préparer, qu’il s’occupait de tout alors qu’il n’a aucunement préparé le Qc pour faire face à l’épidémie annoncée. Pourtant il a clamé avoir été aux premières lignes d’épidémies précédentes … Pourquoi n’a-t-il pas utilisé les pouvoirs qui lui avaient été conférés par la Loi sur la Santé publique? Pourquoi le Premier ministre l’a-t-il renommé en juillet 2020 quand tous les journalistes et Qcois et Qcoises savaient qu’il avait de graves problèmes de communication et pour ceux et celles qui connaissent l’épidémiologie des épidémies, qu’il n’avait pas les compétences pour gérer une pandémie. Pourquoi a-t-il refusé le soutien d’une sommité internationale très connue, la Dr Liu alors que le Dr Arruda aurait dû savoir que la COVID n’est pas le C-Difficile mais un virus qui se propageait par la bouche et attaquait le système respiratoire. C’était déjà connu en Chine t et ailleurs dans le monde. Comparé son CV de gestionnaire à celui des autres Directeurs de santé publique au Canada et vous verrez une différence. Et, par exemple, lorsque les Banques sont coupables de péchés financiers très graves et ne font face à aucune sanction, qu’arrive-t-il ? Les mêmes situations se reproduisent. Ne pas chercher à savoir qui n’a pas fait ses devoirs et les nommer est une partie essentielle pour éviter qu’une tragédie se reproduise. Et, je crois qu’il y en a d’autres qui veulent savoir qui a failli à la tâche de préparer le Qc et d’utiliser les meilleures connaissances épidémiologiques plutôt que de laisser unn MD non formé en épidémiologie des épidémies graves ???

Merci, Dr Vadeboncoeur, de mettre en perspective ce qui nous est tombé dessus au début 2020. Espérance que les partis d’opposition vont mettre de l’eau dans leur vin avant de porter des jugements à-l’emporte-pièce sur la gestion de cette grave crise sanitaire.

L’erreur fut d’envoyer tous les patients dans les hôpitaux du Québec en attente d’une place en CHSLD en même temps en surplus dans les CHSLD locaux.
Ainsi, on s’est retrouvé avec des CHSLD à 150 pour cent de la capacité et plus avec un déficit de personnel alors qu’à l’hôpital local on avait plein de lits vacants et du personnel infirmier en surplus! Il aurait fallu les envoyer au fur et à mesure des besoins de lits hospitaliers.
On aurait évité de nombreuses histoires d’horreur en CHSLD!
J’ai pu constater cela comme médecin de famille en CHSLD……

Vraiment d’accord avec votre analyse. Cependant, le gouvernement aurait dû s’adjoindre les services du Dr Liu, québécoise qui avait une bonne expérience dans le domaine. Pourquoi ont-ils eu peur de travailler avec elle? …peut-être une question d’orgueil dont on se serait bien passé!