La grande illusion du recyclage

Le Québec n’a jamais produit autant de déchets. Et la politique québécoise de recyclage est un échec. Serons-nous vaincus par nos ordures ?

Même Pôpa, le personnage incarné par Claude Meunier dans la série-culte La petite vie, diffusée à Radio-Canada dans les années 1990, y perdrait son latin. Lui qui pourtant adorait jouer avec ses « vidanges » deviendrait dingue devant la liste de ce qu’on peut mettre ou pas dans son bac de recyclage. Une liste qui varie d’une ville à l’autre, voire d’une saison à l’autre !

À Québec, on ne doit pas y placer de sacs plastique. À Sherbrooke, on doit le faire, à condition de les grouper dans un sac. À Montréal aussi… mais en prenant soin d’enlever les coupons de caisse. Certaines municipalités recyclent les plastiques portant les nos 1 à 7, sauf le 6 (le styromousse). D’autres les acceptent tous, avec ou sans symbole. Gatineau et Rivière-du-Loup ne prennent pas ceux qui portent le no 3. Le bac bleu de Sorel est l’un des seuls où l’on peut mettre les appareils ménagers de moins de 2,2 kilos, mais pas les capsules de bière. À Lévis, le bac de recyclage est noir, alors que de l’autre côté du fleuve, c’est la couleur… du bac à ordures. Au secours !

Une fois sa liste démêlée, Pôpa ferait sans doute une syncope en voyant que certains centres de tri remettent un cinquième du contenu du bac… au dépotoir !

Le recyclage repose sur une illusion. Celle qui fait croire qu’en plaçant son bac sur le bord du trottoir on fait un excellent geste pour l’environnement. En réalité, le Québec est à des années-lumière de s’occuper de ses poubelles en suivant les principes du développement durable. La politique sur la gestion des matières résiduelles élaborée par l’État en 1998 est loin d’avoir atteint ses objectifs. Et l’industrie du recyclage est un tel fouillis au Québec qu’on pourrait croire que les règles ont été établies par Réjean, le gendre menteur de Pôpa !

Pour l’instant, la gestion du recyclage ressemble à une énorme dispute entre enfants de maternelle laissés à eux-mêmes. Jamais au cours d’une enquête je n’ai entendu autant de dénonciations off the record et de procès d’intention. Les fonctionnaires chargés d’élaborer et de faire appliquer la politique ? Des incapables ! Les villes, qui organisent la collecte ? Des traîne-savates ! Les contribuables ? Des hypocrites ! Les recycleurs ? Des profiteurs, qui exportent les déchets en Chine sous couvert de bonnes œuvres !

En février dernier, une commission parlementaire a mené une consultation en vue de conseiller le ministère du Développement durable dans l’élaboration d’une nouvelle politique sur la gestion des matières résiduelles, qui devrait être présentée cet automne. La lecture de la cinquantaine de mémoires déposés par les organismes de tout poil concernés par la gestion des déchets donne une idée de l’ambiance : sauf rares exceptions, chacun commence par expliquer qu’il fait de son mieux. Puis montre du doigt celui qui l’embête, avant de demander au gouvernement de sévir. Les bons élèves, car il y en a, sont perdus dans le flot de récriminations.

La première politique portant expressément sur les déchets, en 1989, prévoyait diminuer de moitié avant 2000 la quantité envoyée au dépotoir. Mais elle n’a cessé d’augmenter, l’enfouissement étant toujours, et de loin, la solution la plus économique. La politique suivante, de 1998 à 2008, a aussi manqué son but principal : réduire à la source la quantité de déchets. Chaque Québécois a jeté 404 kilos de résidus en tous genres en 2006, soit 14 % de plus qu’en 2004 !

On n’a pas non plus atteint les objectifs de récupération. Les municipalités devaient ramasser 60 % des matières compostables (restes alimentaires, cartons de pizzas souillés, gazon, feuilles, herbes…). Elles en récupèrent 8 %. Or, ces déchets comptent pour près de la moitié du poids des poubelles et sont à l’origine des odeurs et GES dégagés par les dépotoirs — 7,5 % des émissions totales du Québec.

La sensibilisation demeure un éternel défi. Même à Victoriaville, une pionnière, les employés du centre de tri trouvent chaque jour des couches sales dans les bacs de recyclage — parfois des carcasses de chevreuil à la saison de la chasse !

Comment en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, comment repartir sur des bases plus solides ? La politique sur la gestion des matières résiduelles que prépare Québec est cruciale. Ce plan sur 10 ans déterminera si les Québécois continueront à jeter de plus en plus et à mal gérer leurs déchets… ou s’ils prendront le véritable virage vert.

Dans la plupart des villes, la collecte sélective a commencé à la fin des années 1980. Une partie des déchets, surtout des emballages, sont devenus « matières résiduelles », susceptibles d’être « valorisées », au mieux en les réemployant (comme une canette de bière qu’on remplit de nouveau), en les recyclant (comme le papier qui sert à en faire d’autre) ou, en dernier recours, en les brûlant pour produire de l’énergie. C’est le fameux principe des 3RV — réduction, réemploi, recyclage et valorisation.

Combien de Québécois « recyclent » ? Et que mettent-ils dans leurs bacs ? On ne le sait pas précisément. Mais Recyc-Québec a calculé que près de la moitié des déchets (48 %) étaient « valorisés » en 2006, contre un huitième il y a 20 ans. « Le Québec partait de loin et a rattrapé une bonne partie de son retard », estime Karel Ménard, du Front commun pour une gestion écologique des déchets, regroupement qui milite pour encourager d’autres options que l’enfouissement et l’incinération.

Reste qu’on est loin de l’objectif de récupération de la politique de 1998, soit 65 % de tous les déchets. Et il a peu de chances d’être atteint, selon le vérificateur général du Québec, qui, dans son rapport 2006, critiquait vertement le ministère du Développement durable et Recyc-Québec pour leurs méthodes de suivi et d’application de la politique. « Le gouvernement a tardé à adopter les règlements, et bien des villes, dont Montréal, ont traîné les pieds pour s’y conformer », explique Marc Olivier, chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle du cégep de Sorel-Tracy, qui enseigne la gestion des déchets à la maîtrise en environnement à l’Université de Sherbrooke. Et on n’a pas sévi contre les éléments récalcitrants.

Car à l’école du recyclage, c’est un État timide et mal organisé qui encadre des élèves indisciplinés, avec un programme pédagogique qui n’a jamais été évalué !

« Dans les dernières années, on a surtout mis sur pied des outils de gestion. Il n’y a pas de réflexion globale, comme en Europe, où les spécialistes universitaires en écologie industrielle ont beaucoup inspiré les politiques », dit Hélène Gignac, qui dirige le Centre de transfert technologique en écologie industrielle, à Sorel. « On ne regarde pas assez ce qui se fait ailleurs. »

Actuellement, certaines initiatives, comme la multiplication des sacs plastique compostables, nuisent au rendement. « Ces sacs sont le meilleur exemple de ce qui se passe quand on n’a pas de vision globale », dit Daniel Gaudreau, PDG de Gaudreau Environnement, une des grandes entreprises de recyclage du Québec. « On en a fait la promotion sans prévoir que les gens allaient les mettre dans leurs bacs et que les centres de tri ne pourraient pas les séparer des autres plastiques. Mais comment voulez-vous fabriquer des bancs publics ou des vêtements en plastique recyclé si une partie de celui-ci se dégrade rapidement ? »

Selon Marc Olivier, le Québec manque d’analyses objectives pour savoir s’il fait les bons choix, par exemple pour la consigne ou la collecte sélective. « On se base uniquement sur des chiffres peu fiables et de l’information partisane », croit-il.

Il faut dire que les recherches sur la gestion des déchets et du recyclage sont quasiment inexistantes au Québec. Recyc-Québec a certes un service de planification et de recherche, « mais nous ne faisons ni l’une ni l’autre, faute de moyens », reconnaît Jeannot Richard, vice-président responsable des secteurs municipal, industriel, commercial et institutionnel pour l’organisme. « Tous nos revenus sont versés aux programmes dont ils sont issus, explique-t-il. La redevance pour les pneus usagés, par exemple, doit aller à la gestion des pneus. »

La quantité de déchets et l’organisation de la collecte ne sont pas les seuls problèmes. Une fois les bacs ramassés sur les trottoirs, les ennuis continuent. Sur les 36 centres de tri que compte le Québec, certains remettent au rebut plus du cinquième des matières qu’ils reçoivent, d’autres à peine 1 %, selon les déclarations faites — volontairement — à Recyc-Québec. Et personne ne sait exactement ce qu’il advient du reste. Ni les centres de tri ni les recycleurs ne sont tenus de divulguer ces données de nature commerciale.

Le Québec manque aussi d’infrastructures de base pour traiter certains rebuts, notamment les résidus dangereux et les appareils électroniques (voir Trouver une solution pour les appareils électroniques ).

Par ailleurs, on n’a pas encore trouvé le moyen de s’attaquer efficacement aux poubelles des industries, des commerces et des « institutions » — les ICI, dans le jargon du recyclage. Contrairement aux municipalités, les tours de bureaux, hôpitaux, épiceries ou usines n’ont pas la responsabilité légale de la salubrité publique. Leurs déchets sont gérés par des entreprises spécialisées, qui s’en débarrassent selon les lois. Et rien ne les oblige à en faire plus.

Selon le dernier bilan de Recyc-Québec, les ICI ont trouvé une solution autre que le dépotoir ou l’incinérateur pour à peine la moitié des 5,6 millions de tonnes de déchets qu’ils ont générées en 2006, alors que la politique visait 80 %.

Dans ce domaine, la principale avancée — pas tout à fait désintéressée — vient de la Société des alcools du Québec et des entreprises associées à la Table pour la restauration hors foyer (organisme sans but lucratif composé de partenaires des secteurs public, privé et associatif), qui se sont engagées à verser six millions de dollars sur trois ans pour organiser la collecte sélective dans les lieux publics, bars, hôtels et restaurants. Histoire d’améliorer le piètre bilan des ICI en matière de recyclage, mais aussi, disent les mauvaises langues, pour contrecarrer toute velléité d’étendre la consigne aux bouteilles de vin et d’eau !

En 10 ans, le gouvernement québécois a quand même adopté quelques règlements qui ont permis de mettre un peu d’ordre dans le fouillis (voir Des règlements qui ont du bon).
« Les mesures les plus structurantes ont été mises en place et les progrès vont désormais être beaucoup plus rapides », promet Mario Bérubé, chef du Service des matières résiduelles au Ministère.
Karel Ménard, du Front commun pour une gestion écologique des déchets, est moins optimiste : « On a réussi à ce que le dossier reste à l’ordre du jour, mais on se félicite trop vite des progrès accomplis. »

À quoi ressemblera la nouvelle politique du ministère du Développement durable ? « On va certainement s’attaquer à la question des matières compostables », avance prudemment Mario Bérubé. Et il y a bien des chances pour qu’on augmente la taxe d’enfouissement (actuellement de 10 dollars la tonne), qui, de l’avis de la majorité, est bien trop basse pour que le recyclage soit viable. « Il faudrait qu’elle soit d’au moins 40 dollars la tonne », croit Karel Ménard.

Pour progresser, il faudra avoir le courage d’appliquer des solutions radicales. Pourquoi, par exemple, ne pas tout bonnement interdire les barquettes de styromousse si elles sont trop compliquées à recycler ? La Chine ne vient-elle pas de proscrire les sacs plastique ?

Les Québécois ne manquent pas de bonne volonté. Mais comme Thérèse, qui, dans La petite vie, avait du mal à réussir son pâté chinois, ils trouvent la recette un brin difficile. Certes, la liste des ingrédients nécessaires pour bien gérer nos poubelles est plus complexe que celle du pâté chinois. Mais encore faut-il relever ses manches pour s’y attaquer…

Les solutions

1. Des instructions simples, SVP !
Comment en est-on arrivé à ce système kafkaïen d’instructions pour les bacs ? Chaque ville organise la collecte à sa manière, avec plus ou moins de succès et de moyens. Les décisions se prennent au gré des discussions entre la municipalité et ses syndicats, les entreprises privées et les organismes sans but lucratif engagés dans la fourniture de bacs, la collecte, le tri, le traitement, le transport ou l’élimination des déchets, et les villes voisines.

« Pour que les gens y participent efficacement, il faut que le recyclage devienne un réflexe et qu’il soit simple », croit Daniel Gaudreau, PDG de Gaudreau Environnement, une des entreprises les plus actives en matière de gestion des matières résiduelles, qui réclame qu’on revienne à des principes de base. D’abord, uniformiser la couleur des bacs. « Partout dans le monde, on sait qu’on doit s’arrêter au feu rouge et passer au vert. Ce devrait être aussi clair pour la couleur des bacs. Mais on décide plutôt en fonction du modèle que les fabricants bradent ! »

Ensuite, dit-il, laisser le tri aux spécialistes. « On demande des choses beaucoup trop compliquées aux résidants simplement parce que certains centres de tri sont sous-équipés ou font mal leur travail. »
Près de la moitié des 36 centres de tri du Québec n’ont pas un volume suffisant pour disposer d’équipement et de main-d’œuvre performants, et devraient bientôt fermer, si l’on en croit le diagnostic posé ce printemps par des chercheurs du CRIQ, pour le compte de Recyc-Québec. Les chercheurs recommandent de les regrouper et de les obliger à rendre compte de leur performance à Recyc-Québec. « On va devoir transporter le contenu des bacs sur de plus grandes distances, mais il va être mieux trié et mis en valeur », croit Marc Olivier, chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle du cégep de Sorel-Tracy.

2. S’inspirer de ce qui fonctionne
Pourquoi le Québec n’imiterait-il pas, par exemple, certaines régions allemandes où, pour restreindre le volume de déchets que les habitants peuvent jeter, on leur donne une amende au-delà d’une certaine quantité ?

Même des expériences québécoises pourraient en inspirer d’autres. Victoriaville est l’une des rares municipalités, avec Sorel-Tracy, Lac-Mégantic et quelques autres, à avoir dépassé les objectifs fixés il y a 10 ans par le gouvernement : on y recycle 67 % des déchets. « Ça fonctionne bien parce que nos contribuables ont intégré depuis longtemps le réflexe du recyclage, grâce au travail de pionnier accompli par Normand Maurice », croit le maire, Roger Richard. Le reste, dit-il, n’est qu’une question de volonté politique.

Normand Maurice, théologien de formation et professeur, est considéré comme le père de la récupération et du recyclage au Québec. Décédé en 2005, il a été à l’origine de nombreux bons coups du Québec en la matière.

En 1989, il a fondé à Victoriaville le premier Centre de formation en entreprise et récupération du Québec (CFER ; prononcer « sait faire »), avec l’idée de faire d’une pierre deux coups : recycler et valoriser déchets et décrocheurs, en apprenant aux seconds à devenir des travailleurs productifs et autonomes grâce au traitement des premiers.

Aujourd’hui, 19 CFER trient et recyclent une partie des déchets du Québec. Et plusieurs ont été vendus à des entreprises privées — comme le centre de tri de Gaudreau Environnement, à Victoriaville — ou sont devenus indépendants — comme Tricentris, à Lachute et à Terrebonne, qui trie le contenu des bacs de recyclage de plus d’un demi-million de Québécois.

À Victoriaville, le petit atelier de récupération de peintures de Normand Maurice est aujourd’hui le fleuron du recyclage à la mode québécoise. En quelques années, cet atelier est devenu une usine, Peintures récupérées, vendue par la suite à Laurentides. C’est là que sont fabriquées les peintures de la marque Boomerang, vendues dans le monde entier. Pressés par Normand Maurice, des détaillants comme Rona ont commencé à accepter les vieux pots de peinture dans leurs succursales. Puis, en 1997, les fabricants de peintures ont mis sur pied Éco-peinture, organisme chargé de percevoir 25 cents sur chaque pot vendu pour financer la récupération et le recyclage. Quand le gouvernement du Québec a finalement adopté son règlement sur la responsabilité élargie des producteurs de peintures, en 2000, tout était déjà fait.

Et le Québec est désormais le champion mondial de la peinture réemployée.

Louis Coulombe, collaborateur de longue date de Normand Maurice et actuel PDG de Peintures récupérées, n’entend pas en rester là. Depuis 2005, son entreprise reprend huiles usagées, colles, solvants, piles et pesticides. Les gens peuvent les déposer à des points de collecte dans 500 villes du Québec.

Depuis ce printemps, l’entreprise collecte aussi les fameuses ampoules fluocompactes, grâce à un partenariat avec la Fédération québécoise des municipalités. « En un mois et demi, 80 villes avaient déjà installé nos boîtes de récupération pour ces ampoules. C’est la preuve qu’il y a un vrai besoin ! » dit Louis Coulombe. Il n’en revient pas qu’Hydro-Québec ait fait la promotion de ces ampoules contenant du mercure sans se soucier de ce qu’il en adviendrait à la fin de leur vie utile.

« On commence seulement à organiser la collecte, dit-il. Et comme pour la peinture, on mettra sur pied nos propres procédés de recyclage si on ne trouve pas de techniques performantes sur le marché. » D’ici peu, grâce aux efforts de cet homme simple et discret mais drôlement efficace, nos vieilles piles et ampoules pourraient être exportées en France, où on en extraira les métaux au moyen d’une technique qui n’existe pas encore ici. Là-bas, 36 % des ampoules fluocompactes sont déjà recyclées, à la suite d’un programme de responsabilité des producteurs entré en vigueur en 2005. Louis Coulombe espère bien importer la technique et ouvrir une usine au Québec d’ici quelques années. Pour l’instant, sans tambour ni trompette, il s’apprête à agrandir et à robotiser l’usine de peintures…

3. Favoriser le compostage
Partout au Québec, les lignes Info-compost mises sur pied par les villes ne dérougissent pas et les séances de formation affichent souvent complet. Le compostage est à la mode !
Laval, Sherbrooke, Victoriaville, Saint-Hyacinthe et d’autres municipalités plus petites ont déjà implanté la collecte dite « à trois voies » : leurs résidants séparent les ordures ménagères, matières recyclables et matières organiques dans trois bacs collectés en alternance.

À East Hereford et Saint-Venant-de-Paquette, deux villages de l’Estrie, on ramasse désormais les ordures une fois par mois — contre deux fois par semaine à Montréal !

Dans les années 1990, les villes du Bas-Richelieu, elles, ont opté pour la méthode du tri-compostage, inventée par la société Conporec, de Sorel-Tracy : ordures et matières organiques ne sont pas séparées à la source, mais à la sortie de l’usine. Les deux sont placées ensemble dans un bioréacteur, où les matières organiques se compostent, et on sépare ensuite le compost des résidus.

Mais bien des villes, dont Montréal, n’ont pas encore choisi comment se défaire des restes de table de leurs habitants et préfèrent donc leur apprendre à se débrouiller eux-mêmes.

Le hic, c’est qu’une fois que la ville a ramassé ces matières dites « putrescibles », il existe de nombreuses manières de les traiter, mais aucune n’est parfaite. Les grands centres de compostage installés à l’extérieur prennent de la place, sont parfois malodorants et victimes du syndrome du « pas dans ma cour ». Les techniques de traitement en usine, par gazéification par exemple, sont coûteuses et parfois encore expérimentales.

Très sollicités par les vendeurs de techniques de traitement, les services municipaux ne savent plus à quel saint se vouer… Selon l’« expert » à qui l’on s’adresse, la technique de Conporec, par exemple, est décrite comme la solution miracle (plus de tri à faire) ou le diable en personne (le compost obtenu serait de piètre qualité). Montréal, elle, songe à installer des usines de gazéification pour transformer ses déchets en énergie, mais elle réclame que l’État québécois subventionne ces installations… à hauteur de près d’un milliard de dollars !

4. Multiplier les écocentres et ressourceries
Qu’advient-il des débris de construction ou de rénovation, des produits dangereux, pneus, vêtements, appareils électroménagers usagés et autres produits que l’on dépose aux écocentres ou ressourceries présents dans la plupart des régions du Québec ? À Montréal, le plus récent bilan dressé auprès des six écocentres de l’île montre que les deux tiers des matières déposées ont été valorisées.

« Les services sont encore insuffisants pour qu’il soit réellement pratique de traiter ces déchets », croit cependant Marc Olivier, chercheur au Centre de transfert technologique en écologie industrielle du cégep de Sorel-Tracy. Dans les grands centres, la file de voitures à l’entrée est parfois décourageante !

Les premiers écocentres du Québec sont inspirés de l’expérience française des déchetteries, qui a pris son envol au début des années 1990. Mais les deux systèmes n’ont pas évolué à la même vitesse : en France, il y a plus de 4 000 déchetteries, car elles sont imposées par la loi. On ne roule pas plus de quelques kilomètres sans voir un panneau annonçant la prochaine ! Au Québec, le répertoire de Recyc-Québec recense seulement 62 écocentres. Et bonne chance pour les trouver. Chaque déchetterie française répond aux besoins d’environ 16 000 personnes, contre 125 000 pour un écocentre québécois…

5. Trouver une solution pour les appareils électroniques
Récupérer les appareils électroniques désuets qui traînent dans les sous-sols du Québec semble aussi difficile que d’emprunter un outil à Ti-Mé, le Pôpa de La petite vie ! « On a essayé plusieurs formules, de la collecte porte à porte aux journées de récupération, mais aucune solution n’est aussi efficace que la reprise chez les détaillants », dit Sylvie Castonguay, directrice générale du réseau des CFER. À condition de trouver des détaillants prêts à participer !

L’an dernier, l’équipe de l’émission La vie en vert, à Télé-Québec, a réussi à convaincre la chaîne Bureau en gros de se servir de ses magasins comme points de collecte pour les CFER. « Bureau en gros a mis toutes ses conditions pour que ça lui coûte le moins cher possible. Et nous avons dû prendre à notre charge le transport ainsi que la formation des employés qui préparent les boîtes, raconte Sylvie Castonguay. Nous avons reçu 25 000 dollars de l’entreprise et 20 000 dollars de Recyc-Québec pour financer le système… Mais ça n’a pas suffi ! »

L’opération est victime de son succès. De septembre 2007 à mars 2008, 424 tonnes d’appareils usagés ont été rapportées dans la soixantaine de magasins Bureau en gros et transportées jusqu’aux CFER, où environ 200 jeunes en formation ont eu la lourde tâche de démanteler tout cela. « En sept mois, l’opération nous a coûté environ 75 000 dollars, les revenus provenant des métaux servant tout juste à couvrir les frais de transport, mais pas le traitement du verre, qui coûte de 8 à 10 dollars par écran. »

En décembre dernier, Sylvie Castonguay a menacé de tout arrêter si de l’argent ne rentrait pas illico. En mars, le ministère du Développement durable lui promettait 117 000 dollars, mais début août, elle en a reçu le tiers… et une lettre d’un autre ministère, celui de l’Emploi et de la Solidarité sociale, lui annonçant qu’il ne pourrait finalement lui verser les 5 000 dollars promis. « On aurait besoin de 250 000 dollars pour continuer. Car on reçoit de plus en plus de matériel et nos coûts de transport augmentent. On ne peut pas faire travailler nos jeunes comme des esclaves ni faire faillite ! Si personne ne nous vient en aide d’ici le 31 août, on arrête pour de bon. »

D’autres détaillants et quelques fabricants ont entrepris eux aussi de récupérer divers appareils électroniques, surtout des cellulaires.

Le ministère du Développement durable devrait proposer dans les mois à venir un règlement sur la responsabilité élargie des producteurs d’appareils électroniques. Un problème auquel une table de concertation réunissant 30 organismes (fabricants d’ordinateurs, détaillants, recycleurs et organismes gouvernementaux), sous la houlette de Recyc-Québec, tente de trouver une solution depuis 2003 !
Comme ce fut le cas pour la peinture dans les années 1990, le règlement sur la responsabilité élargie risque fort d’entrer en vigueur… quand tout sera terminé !

6. Penser globalement
« On a beaucoup ciblé les municipalités. Il faut maintenant s’attaquer aux entreprises, qui ont besoin de règlements pour avancer », dit Hélène Gignac, directrice du Centre de transfert technologique en écologie industrielle. « Regardez ce qui s’est passé avec Kyoto et les émissions de GES : les entreprises ne voulaient pas en entendre parler… jusqu’à ce qu’elles constatent tout le bénéfice qu’elles pouvaient en tirer ! » Pour régler la question des matières résiduelles en entreprise, dit-elle, « il faut des programmes fédéraux et provinciaux, des obligations de résultats, des encouragements et des pénalités ».

Pour Claude Villeneuve, titulaire de la Chaire en éco-conseil à l’Université du Québec à Chicoutimi, il est grand temps de penser le système de manière plus globale, depuis le design et la mise en marché des produits de consommation jusqu’à leur élimination finale. « La publicité pousse à consommer, donc à polluer. On devrait obliger les publicitaires à indiquer la quantité de GES émis par ce qu’on veut nous vendre. En appliquant l’approche de “cycle de vie” [NDLR : l’analyse systématique de toutes les incidences environnementales, depuis la fabrication d’un produit jusqu’à son élimination], on pourrait réduire les répercussions sur l’environnement de façon notable. Pour cela, il faudrait responsabiliser non seulement les consommateurs, mais aussi les producteurs et les distributeurs. »

Débat
La guerre des bouteilles

Faut-il consigner certains contenants ? Le cas des bouteilles de bière est entendu : comme on peut les reremplir, il serait idiot de les placer dans des bacs de recyclage, où elles risqueraient de se briser. Mieux vaut donc les retourner aux brasseurs, au moyen de la consigne. Pour les bouteilles de boissons gazeuses (consignées), de vin et d’eau (non consignées) ainsi que pour les autres contenants ou contenus, c’est la chicane permanente entre toutes les parties, entretenue à grand renfort d’arguments fallacieux et de chiffres peu fiables.

Les centres de tri et recycleurs de plastique et de papier voudraient qu’on retire le verre des bacs, car ses débris contaminent les autres matières. La SAQ, les embouteilleurs et les détaillants sont contre la consigne, préférant ne pas avoir à gérer les bouteilles vides. Les environnementalistes, eux, voudraient plus de produits consignés pour forcer ceux qui les fabriquent à prendre davantage de responsabilité dans la gestion des emballages. Recyc-Québec, qui pourrait trancher, n’a pas un avis neutre sur la question, puisque ses activités sont en bonne partie financées… par la consigne.

La commission parlementaire sur le sujet a recommandé le statu quo. L’expert Claude Villeneuve lui donne raison. « La consigne est un outil et une des clés de la réduction à la source des déchets, mais ce n’est pas une solution absolue. Je ne suis pas sûr que cela vaille la peine d’aller jouer là-dedans, au point où nous en sommes. »

Recyclez votre magazine

Les entreprises qui vendent contenants, emballages ou imprimés au Québec — comme Les Éditions Rogers, qui publient L’actualité — sont tenues depuis mars 2005 de financer la moitié de la collecte sélective effectuée par les municipalités, par l’intermédiaire de l’organisme Éco-Entreprise Québec. En 2006 et 2007, elles ont versé 54 millions de dollars à cet organisme, qui a remis 51 millions à Recyc-Québec, qui a lui-même remis 47 millions aux municipalités. L’organisme et les pouvoirs publics prétendent que la responsabilité partagée entre entreprises et municipalités est la solution idéale pour que le système devienne rapidement performant. Les municipalités, elles, réclament à grands cris qu’Éco-Entreprise Québec finance l’intégralité de la collecte.

Des règlements qui ont du bon

  • 1999 : loi sur la qualité de l’environnement, qui oblige les municipalités régionales et les communautés urbaines à adopter le Plan de gestion des matières résiduelles (PGMR). La plupart l’ont fait entre 2004 et 2005, Montréal en 2006. En 2008, seule la MRC de La Tuque ne s’est pas encore pliée à la loi.
  • 2005 : règlement sur la compensation pour les services municipaux, qui oblige les entreprises à financer jusqu’à 50 % des coûts nets de la collecte sélective municipale par l’intermédiaire d’Éco-Entreprises Québec.
  • 2006 : règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles, qui impose aux propriétaires des centres d’enfouissement une redevance de 10 dollars pour chaque tonne enfouie. Le ministère du Développement durable redistribue aux municipalités 85 % de la somme perçue, pour qu’elles financent une partie de leur PGMR.

Qu’advient-il de vos déchets ?

Type Destination
Métaux Des récupérateurs alimentent les grandes fonderies.
Verre La fonderie Unical, à Longueuil, en fait de la laine minérale.
Plastique et papier Les lois du marché prévalent. « Une partie importante ne trouve pas preneur quand la qualité du tri laisse à désirer. On exporte donc des ballots en Chine, car ils contiennent trop d’impuretés, alors que des recycleurs comme Cascades doivent en importer de l’étranger », explique Jeannot Richard, de Recyc-Québec.
Polystyrène (styromousse) Il n’y a pas d’usine à proximité pour le traiter, et ce plastique est trop léger pour être transportable de manière économique sur de longues distances.
Piles Moins de 5 % des 100 millions de piles vendues chaque année sont recyclées. Des fonderies récupèrent les métaux des piles rechargeables. Les autres sont stockées dans des lieux sécurisés en raison des métaux toxiques qu’elles renferment.
Appareils électroniques Leur recyclage repose surtout sur les épaules d’organismes sans but lucratif sous-financés.

Le Québec est de loin la province canadienne où l’on composte le moins : 13 % des ménages québécois font leur compost ou ont un bac pour la collecte, contre 27 % des Canadiens, 34 % des Ontariens et 91 % des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard ! En Nouvelle-Écosse, les déchets compostables sont interdits d’enfouissement depuis 1998.

Nos poubelles grossissent plus vite que nos portefeuilles !

  • Quantité de déchets générés par habitant : + 56 %
  • Dépenses des ménages : + 38,5 %
  • Produit intérieur brut : + 32,5 %
    (de 1996 à 2006)

Seuls 6 % des appareils électroniques sont recyclés. Près des deux tiers aboutissent dans un centre d’enfouissement. Un peu plus du quart (28 %) sont redistribués dans des établissements scolaires ou des CPE grâce au programme Ordinateurs pour les écoles, mis sur pied en 1993 par le fédéral.

Dans les jardins et arrière-cours, la population québécoise de vers rouges (qui permettent de composter les déchets organiques à l’intérieur) est en nette augmentation.

Qu’est-ce que ça coûte ?

155 dollars : coût annuel moyen par foyer au Québec pour la collecte et le traitement de l’ensemble des déchets (recyclables ou non), selon les déclarations faites par les municipalités au ministère des Affaires municipales (2006).

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