L’auteur est communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. Il est titulaire d’un baccalauréat en biochimie et d’une maîtrise en biologie moléculaire. En plus d’écrire de nombreux articles, il coanime le balado The Body of Evidence.
La trousse arrive par la poste. Vous effectuez un prélèvement à l’intérieur de votre joue et vous l’envoyez. Deux semaines plus tard, l’entreprise vous fait parvenir un rapport par courriel. On vous dit que vous avez 2 % de risque de contracter la COVID-19 et 5 % de risque de transmettre le virus à une autre personne. Le rapport affirme que ces risques ne changeront jamais. Vous décidez que le risque est suffisamment faible et reprenez votre mode de vie d’avant la pandémie.
Ce scénario paraîtra fantaisiste à plusieurs, et c’est normal, mais différentes versions de cette histoire se présentent à moi sous forme de questions depuis que les vaccins ont été mis en place. Les gens se demandent s’il existe un test pour déterminer de manière fiable le risque de contracter la COVID-19, une évaluation scientifique afin d’écarter les règles de santé publique perçues comme « incohérentes » et « alambiquées », fondées sur les vaccins, les rappels, les variants et les activités de chacun. Un frottis de la joue, un test de salive ou une prise de sang qui permettrait de se baser sur un élément biologique déterministe pour vous classer comme étant à faible risque, à risque moyen ou à risque élevé. Un passeport immunitaire personnalisé et précis, quel que soit votre statut vaccinal.
Ce n’est pas une idée complètement farfelue. Quelque chose de comparable est exploré dans les hôpitaux pour les personnes ayant déjà la maladie.
L’idée est de trouver un marqueur biologique qui permette de prédire leur état de santé futur, ce que l’on appelle un biomarqueur pronostique. Les scientifiques ont fait état de résultats préliminaires, en examinant le volume des globules rouges, en mesurant les niveaux d’anticorps dirigés contre les molécules libérées par les cellules sanguines mortes et en évaluant la quantité d’ADN mitochondrial circulant dans le sang. Il existe même une trousse vendue en Inde qui prétend pouvoir déterminer le statut de risque des patients hospitalisés pour la COVID-19 en triant leurs cellules sanguines et en recherchant une signature.
Cependant, bon nombre de ces biomarqueurs n’en sont qu’aux premiers stades du processus de recherche. Il se peut qu’ils ne donnent pas de résultats concluants au bout du compte. Ils ont tendance à être associés de manière générale à la maladie dans son ensemble ou au décès, quelle qu’en soit la cause. En outre, on les a découverts en étudiant des groupes de personnes et en constatant qu’en moyenne, celles présentant ces marqueurs sont plus susceptibles de s’en sortir mal, mais ils peuvent ne pas être utiles comme prédicteurs pour un individu. Et, plus important encore pour nous, ils ne seront pas utiles si vous n’êtes pas déjà atteint de la maladie.
Que pourrait-on donc mesurer pour évaluer notre protection contre la COVID-19 ? La réponse évidente est les anticorps. Lorsqu’elle doit affronter un infâme envahisseur comme un virus, une branche de notre système immunitaire produit des anticorps qui se lient spécialement au micro-organisme intrus, l’identifient et le neutralisent. En fait, la détection d’anticorps contre le coronavirus est le moyen par lequel les médecins peuvent savoir que vous avez déjà été infecté par ce virus. Il serait donc logique qu’un simple outil d’évaluation des risques examine notre sang : la présence d’anticorps anti-SRAS-CoV-2 signifierait une immunité ; leur absence indiquerait un danger. Si seulement c’était aussi facile.
Immunisé contre les certitudes
Deux articles fantastiques parus dans The Atlantic, l’un de Katherine J. Wu et l’autre d’Ed Yong, résument le problème de cette logique superficielle : l’immunologie est l’endroit où l’intuition se cache pour mourir. La quantité d’anticorps anti-SRAS-CoV-2 circulant dans notre sang diminue effectivement, une constatation qui a donné lieu à des titres alarmants sur la « baisse de l’immunité », mais cela n’implique pas que notre protection s’affaiblit. Si nos cellules continuaient à sécréter des quantités massives d’anticorps après chaque infection pendant toute notre vie, notre sang deviendrait de la mélasse. Il reste moins d’anticorps après une infection, mais c’est parce qu’ils ne sont qu’une des nombreuses armes utilisées par notre système immunitaire pour combattre une invasion.
Un article publié dans la revue Science en février de cette année nous donne un aperçu de la complexité de notre système immunitaire après une infection par le nouveau coronavirus. Les chercheurs ont examiné les cellules immunitaires de 188 personnes plus de six mois après qu’elles eurent contracté la COVID-19. On pourrait s’attendre à ce que toutes ces personnes soient désormais immunisées contre la maladie et que leurs profils de cellules immunitaires soient identiques. Et bien que les résultats aient montré qu’une immunité durable contre une nouvelle infection par la COVID-19 était « possible pour la plupart des individus », ce que les scientifiques ont vu dans leur sang était en fait très variable. Les résultats n’étaient pas identiques. La mémoire d’une infection réside dans nos anticorps, certes, mais aussi dans nos cellules B à mémoire, nos cellules T CD4+ à mémoire et nos cellules T CD8+ à mémoire, et la façon dont tous ces soldats miniatures et leur armement immunologique fonctionnent ensemble est encore mal comprise. La réinfection, par exemple, semble être possible, bien que rare.
Mesurer les anticorps contre le coronavirus dans notre sang n’est tout simplement pas suffisant. Les auteurs de l’article de Science ont conclu que ces niveaux ne variaient pas en même temps qu’une autre partie de notre mémoire immunologique, et que de simples tests pour mesurer ces anticorps « ne [reflétaient] pas la richesse et la durabilité de la mémoire immunitaire contre le SRAS-CoV-2 ».
J’ai contacté Judith Mandl, Ph. D., professeure adjointe au Département de physiologie de l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en dynamique des cellules immunitaires. Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose que nous pouvions mesurer de manière fiable pour savoir dans quelle mesure nous sommes protégés du coronavirus. « Nous n’avons pas encore une image complète, m’a-t-elle écrit, de ce que pourraient être les “corrélats” de la protection. Le fait que les taux d’anticorps ou le niveau des réponses des cellules T, par exemple, fournissent ou non cette information reste une question d’étude ouverte. » Il est probable, a-t-elle ajouté, que des taux élevés d’anticorps contre le virus signifient effectivement que vous êtes protégé de la maladie. Si ces niveaux sont toujours élevés un an plus tard, vous pouvez vous sentir en confiance, m’a-t-elle dit, que vous avez encore une immunité contre la souche du virus qui vous a rendu malade, et il se pourrait que vous ayez une certaine protection contre les souches qui circulent actuellement, bien que le degré de protection demeure une question ouverte.
Mais ces suppositions ne sont pas immuables, et l’inverse, soit que de faibles taux d’anticorps signifient une mauvaise protection, n’est peut-être pas vrai. Pour reprendre le dicton qui ponctuait l’article d’Ed Yong, le système immunitaire est très compliqué.
Quant à savoir si notre mythique trousse de test pourrait évaluer le risque que nous constituons pour les autres, c’est-à-dire la probabilité que nous transmettions le virus même s’il ne nous rend pas malades, la professeure Mandl a été claire : non. Imaginons que nous testions la quantité de virus présente dans notre salive. Une quantité élevée signifie que nous sommes contagieux, une faible quantité que nous ne le sommes pas. « Ce niveau peut changer en quelques heures, donc le test serait déjà faux », m’a-t-elle dit.
La vérité, c’est que nous savons déjà quelles sont les personnes susceptibles de subir des conséquences graves de la COVID-19. Les adultes plus âgés (le risque augmentant avec chaque décennie). Les personnes souffrant de maladies chroniques telles que les maladies pulmonaires, les maladies cardiaques, l’hypertension artérielle, le diabète, les accidents vasculaires cérébraux, les maladies rénales, la démence et les maladies du foie. Les personnes dont le système immunitaire est compromis en raison de la prise de certains médicaments (p. ex. chimiothérapie) ou de certaines conditions médicales (p. ex. cancer). Les personnes souffrant d’obésité. Et, enseigne géante au néon, s’il vous plaît, les personnes qui n’ont pas été vaccinées contre la COVID-19.
Pour des évaluations plus fines du risque, nous devons ensuite tenir compte de l’étendue de la propagation du virus dans notre collectivité, du fait que les activités se tiennent à l’intérieur ou à l’extérieur, du type de masque que nous portons (ou ne portons pas), du nombre de personnes qui nous entourent, de la durée de l’activité, du nombre de fois que nous répétons l’activité et du fait que nous sommes vaccinés ou non. Il existe des applications pour nous aider à calculer ce risque (bien que je n’en aie testé aucune), mais gardez à l’esprit qu’elles produisent des estimations approximatives. Elles ne fournissent pas de garanties.
L’évaluation des risques, dans le meilleur des cas, est délicate. Au milieu d’une pandémie qui a jeté un nouveau virus en mutation dans la toile enchevêtrée qu’est notre système immunitaire, le calcul est encore plus épineux, et notre désir de clarté et de stabilité absolues restera souvent insatisfait. Nous devons apprendre à être agiles.
Message à retenir :
– Il n’existe actuellement aucun moyen précis de déterminer, au moyen d’un test médical, quel est le risque pour une personne de contracter la COVID-19 ou de transmettre le virus à quelqu’un d’autre.
– Les taux d’anticorps contre le coronavirus ne sont pas une mesure fiable pour savoir si une personne est désormais immunisée ou non contre ce virus.
– Pour évaluer notre risque d’attraper le coronavirus ou de le transmettre à quelqu’un d’autre, nous devons toujours nous fier à un calcul qui tient compte des facteurs de risque pour la santé, de la présence du virus dans notre région, du risque que présente l’activité que nous voulons pratiquer et du fait que notre entourage soit vacciné ou non.
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.
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L’article est instructif. Par contre le titre et les premiers paragraphes peuvent induire en erreur sur les conclusions de l’article.
Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’on laisse ainsi circuler une information qui pourrait être utilisée de façon malveillante dans les réseaux de désinformation.
Je comprends qu’on veuille attirer l’attention du lecteur, mais au final, on prend un risque vraiment inutile.