Des mots de l’astrophysicien Hubert Reeves sont restés gravés dans ma mémoire depuis que je les ai lus alors que je commençais l’école secondaire. Et ils m’agacent.
« Nous sommes des poussières d’étoiles. »
Cette citation me chicote. Est-ce parce qu’elle est poétique et que, sous peine d’être associés au chamanisme (ou pire : à l’homéopathie), les scientifiques devraient s’abstenir de figures de style et de langage coloré ? Non.
Est-ce parce qu’elle simplifie beaucoup trop le processus complexe de la nucléosynthèse de la matière, qui explique la naissance des atomes ? Non, car enseigner, c’est d’abord savoir vulgariser. Simplifier la complexité est le seul espoir que nous ayons de faire progresser l’édifice de nos connaissances.
Commençons par ceci : depuis le big bang, l’Univers ne cesse de se refroidir. Le « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » d’Antoine Lavoisier (savant français considéré comme le père de la chimie moderne) s’applique toujours, car l’énergie totale de l’Univers demeure théoriquement constante, alors que l’Univers lui-même est en expansion. Résultat : l’énergie se raréfie. Or, en se refroidissant, l’Univers jadis bouillant et chaotique permet enfin à la matière de former de grandes structures — d’abord les galaxies, puis, au sein des galaxies, la première génération d’étoiles.
Les étoiles, sur des milliards d’années, résistent à la gravité en fusionnant des noyaux atomiques simples (comme l’hydrogène et l’hélium) en des noyaux plus complexes. L’énergie nécessaire pour créer des noyaux atomiques lourds à partir de noyaux légers ne se trouve qu’à un seul endroit : au cœur des étoiles. Nulle part ailleurs dans l’Univers on ne rencontre le seuil d’énergie requis pour amorcer la fusion nucléaire. Ce fut d’ailleurs l’une des plus grandes découvertes scientifiques du XXe siècle : d’où viennent le carbone dont nous sommes faits et l’oxygène que nous respirons ? D’où est issue toute la matière qui nous habite et nous transforme du zygote à la mort ? Du cœur des étoiles.
Quand les étoiles « meurent », elles éjectent dans le cosmos une proportion importante de leur masse — y compris les atomes lourds nouvellement formés. Ceux-ci se mélangent aux nuages de poussières interstellaires, omniprésents dans la galaxie. Ensuite, lorsque ces nuages atteignent un seuil de densité critique, ils s’effondrent par gravité. C’est ainsi que de nouveaux systèmes solaires — étoiles, planètes, lunes — se forment.
Cependant, comme dans toute bonne recette, les ingrédients ne doivent pas seulement être assemblés. Ils doivent aussi être apprêtés adéquatement. Les atomes — principalement de carbone, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote — ont besoin d’assaisonnements : des conditions météorologiques stables, des milieux aqueux et beaucoup de temps.
Dans ces conditions, des structures chimiques progressivement plus complexes peuvent se former : des glucides, des lipides, des acides aminés (protéines) et des acides nucléiques (ADN). Ce sont les composants mêmes de tout organisme vivant connu : les bactéries, les plantes, les insectes, les mammifères et, bien entendu, l’être humain. Le langage biologique de la vie est universel.
« Enseigner et étudier la science, c’est semer des graines dont les fruits ne seront récoltés qu’après notre propre existence. »
Ces molécules, nous les retrouvons dans la terre qui nous nourrit, l’eau qui nous hydrate et l’air que nous respirons. « Nous sommes ce que nous mangeons », et ce que nous mangeons est le résultat de milliards d’années d’évolution des atomes simples aux macromolécules. Ce que nous mangeons nous fabrique.
Du cœur des étoiles au cœur du vivant, nous sommes le résultat d’un long processus du simple vers le complexe. Sans tomber dans la religiosité ou la science-fiction, il est naturel de se demander comment nous sommes arrivés ici. L’humain a toujours eu le réflexe d’associer ce qu’il ne comprend pas à la magie ou au surnaturel. Depuis l’invention de l’écriture il y a environ 6 000 ans, nous sommes passés d’un monde entièrement fondé sur le mythe à une société capable de répondre à des questions jadis réservées au domaine des dieux. Alors, que faisons-nous maintenant que nous avons quelques réponses ? Nous posons de meilleures questions.
Enseigner et étudier la science, c’est semer des graines dont les fruits ne seront récoltés qu’après notre propre existence. C’est l’acte de transporter le savoir le long de la ligne du temps.
Il y a plusieurs années, j’ai assisté à un spectacle où un interprète, avant de chanter le « Hallelujah » de Leonard Cohen, avait déclaré au micro : « Voici une pièce magnifique que j’aurais tellement aimé avoir écrite moi-même… » Je crois que cela résume bien ce qui me chicote avec la citation d’Hubert Reeves. Elle est trop parfaite. J’aurais aimé me l’approprier.
Je ressens toujours ce doux vertige lorsque je regarde les étoiles, car je sais que la grande valse des atomes vers le vivant a commencé en leur cœur.
Cette chronique a été publiée dans le numéro de septembre 2020 de L’actualité.
La grande valse des atomes
Merci pour ce beau texte… digne de la beauté des étoiles!
quelle pertinence dans votre article. Le ciel de nuit, les étoiles et planetes me fascinent depuis mon plus jeune âge ou j’ai commencé à les observer en faisant ma prière obligatoire ajenouillée à la fenêtre de ma chambre, heureusement que je pouvais m’agenouiller à la fenêtre….et ma mère qui croiyais que je priais……quand j’ai vu mes premières étoiles filantes, je ne savais même pas ce que c’était mais j’étais sous le charme. J’ai maintenant 73 ans et suis toujours sous le charme , je ne sors jamais le soir sans me lever la tête au ciel, même encore la nuit , il m’arrive de sortir pour observer le spectacle grandiose….
Quel article inspirant! J’appartiens à une époque où l’enseignement des sciences était confié à des religieuses qui avaient peine à rendre compréhensibles les matières enseignées, de quoi developper une veritable aversion pour les sciences. Les choses ont bien changé. Pas étonnant que de plus en plus de jeunes se passionnent pour la compréhension et la recherche scientifique. Je vais relire votre article, 2 fois plutôt qu’une!