La violence des combats et la dévastation qui en résulte altèrent de façon différente le cerveau de tous ceux et celles qui sont actuellement en Ukraine, tant les soldats que les civils adultes et les enfants.
La guerre exacerbe des mécanismes de défense normaux : le fait d’entendre des bombes ou des coups de fusil autour de soi déclenche dans le cerveau le mécanisme de la peur. Comme le décrit le père de la recherche sur la peur, Joseph LeDoux, des structures du système limbique, c’est-à-dire celui des émotions situé au centre de notre cerveau, envoient le signal ancestral de se préparer à la fuite ou au combat.
Une structure centrale de la peur, l’amygdale, déclenche une cascade chimique des hormones du stress, comme le cortisol, l’adrénaline et la norépinéphrine, qui accélère le rythme cardiaque et nous prépare à mobiliser notre corps pour le combat. Même notre mémoire à court terme est mise sur pause. Et plus le stimulus est intense et prolongé, plus ces mécanismes sont mis à l’épreuve, surtout si le combat et la fuite sont impossibles. Il s’ensuit ce que la médecine appelle maintenant le syndrome de stress post-traumatique.
Le syndrome de stress post-traumatique
Les deux grandes guerres, la guerre du Vietnam ainsi que les conflits en Irak et en Afghanistan, entre autres, ont permis d’étudier l’effet du stress de la guerre sur le cerveau. Il s’en dégage un portrait général assez alarmant des répercussions à long terme de l’exposition au combat, tant pour les soldats que pour la population.
Le syndrome de stress post-traumatique pousse le cerveau à demeurer en état d’alerte même une fois la menace disparue. L’amygdale reste active chez les personnes qui en souffrent et la région responsable de la mémoire — l’hippocampe — rapetisse. Il en résulte un comportement anormal. Ces gens vivent des retours en arrière, des problèmes de sommeil, un engourdissement émotionnel, des crises de rage et des sentiments de culpabilité qui débutent moins de trois mois après les traumatismes. Mais c’est un syndrome sournois, car il arrive que les symptômes apparaissent plus d’un an après. Sans traitement, par psychothérapie ou par la prise d’antidépresseurs, et dont le succès n’est pas toujours garanti, les personnes atteintes peuvent vivre cet enfer pendant le reste de leurs jours.
Diverses analyses à l’aide de l’imagerie médicale ont montré des changements majeurs et souvent permanents dans le cerveau des militaires qui ont connu le combat. L’une de ces études, publiée en 2021 et portant sur des soldats allemands qui ont combattu en Afghanistan et au Mali, entre autres, fait état d’une réduction de volume du cortex préfrontal — important dans les prises de décisions de la vie courante — et du thalamus, une structure qui agit comme pivot dans le traitement des informations provenant de nos sens : audition, vision et toucher. Pour les chercheurs, ces modifications sont des signes précurseurs des problèmes mentaux qui peuvent surgir au-delà du syndrome de stress post-traumatique, comme la dépression et l’anxiété.
Les effets sur la population adulte
Nombre d’Ukrainiens ne verront pas directement les combats. Mais des milliers d’autres seront témoins des échanges violents ou de l’explosion de bombes. Vivre ces événements cause de nombreux problèmes de santé mentale. Une revue complète des travaux sur le sujet en dit long. À la suite du conflit en Afghanistan par exemple, une étude a révélé que 67 % de la population souffrait de symptômes de dépression, 72 % d’anxiété et 42 % de stress post-traumatique. Il en va de même pour tous les pays victimes de conflits armés, que ce soit dans les Balkans, au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie du Sud-Est. Et partout, les femmes semblent plus vulnérables aux atrocités de la guerre. La recherche scientifique montre aussi que l’angoisse et la détresse sont à leur comble chez les mères, quel que soit l’âge de l’enfant, de la gestation à la vie adulte.
Les effets sur les enfants
Malgré le fait que les enfants en bas âge peuvent s’adapter et que, souvent, ils ne comprennent pas la réalité du conflit, certaines études font état d’effets réels sur leur cerveau. Dans une étude longitudinale publiée en 2019 et portant sur les enfants qui ont vécu la guerre du Vietnam, on peut lire que les tout-petits de moins de cinq ans qui ont connu les bombardements présentaient un plus haut taux de dépression à l’âge adulte que la population en général. Ces résultats confirment pour leurs auteurs la conviction qu’il faut préparer le terrain pour venir en aide aux enfants dès la fin des combats, avec un appui important en santé mentale.
Et qu’en est-il pour nous ?
Les combats sont actuellement à des milliers de kilomètres du Québec, mais en fait, ils ne sont qu’à quelques centimètres de nos yeux, car les images de cette horreur déferlent quotidiennement sur nos écrans. Nous ne sommes donc pas à l’abri des répercussions de cette guerre sur notre cerveau. Une étude américaine a révélé qu’une grande consommation d’images de la guerre d’Irak et du 11 septembre 2001 — soit quatre heures par jour — pouvait mener à l’apparition de réactions physiques et psychologiques négatives, dont des symptômes de stress post-traumatique jusqu’à trois ans après l’événement.
Regarder ces images par le truchement des médias, même seulement une fois, peut également déclencher une crise chez ceux qui souffrent déjà du syndrome de stress post-traumatique. Et ils sont plus nombreux qu’on peut l’imaginer. Selon des données américaines, 8 % des gens seront atteints au cours de leur vie d’un tel syndrome.
Plus de la moitié de la population vivra un jour une expérience émotionnelle traumatisante. Mais le syndrome n’apparaîtra pas chez tout le monde. Des facteurs comme la violence pendant l’enfance, la dépression, l’anxiété, l’abus de substances ou une expérience traumatisante, entre autres, en augmentent le risque.
Il ne nous reste qu’à nous souhaiter une sortie rapide de ce conflit, car la science nous prouve que plus la guerre est longue, plus les dommages au cerveau peuvent être importants.
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