La liste qui pourrait tout changer

On peut faire mieux que limiter ou arrêter les changements climatiques : on peut aussi les renverser. Voici comment.

Photo : Getty Images

Contenir les gaz réfrigérants qui s’échappent des vieux frigos et climatiseurs, construire plus d’éoliennes, réduire le gaspillage alimentaire… Ces actions, déjà bien connues comme moyens de protéger l’environnement, changent-elles vraiment la donne ? Oui. Et plus encore qu’on aurait pu le penser.

Ce sont, par ordre d’importance, les trois gestes les plus « rentables » pour non seulement ralentir, mais renverser le réchauffement, selon Drawdown (diminution), une équipe de 70 chercheurs de 22 nationalités, réunie par l’homme d’affaires et environnementaliste américain Paul Hawken. Depuis 2013, les biologistes, ingénieurs, urbanistes, agronomes et géologues de Drawdown ont calculé, à partir de modèles scientifiques, les 100 actions qui permettraient d’éliminer le plus de gigatonnes d’équivalent CO — l’unité créée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour mesurer les impacts des différents gaz à effet de serre (GES) — d’ici 2050. Et le temps presse si le monde veut éviter les conséquences désastreuses d’une augmentation des températures au-delà de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

Le livre Drawdown : Comment inverser le cours du réchauffement planétaire (Actes Sud) s’est classé dans la liste des best-sellers du New York Times. L’actualité a joint l’initiateur de Drawdown, Paul Hawken, à son bureau de Sausalito, en Californie.

L’initiateur de Drawdown, Paul Hawken (Photo : Miachel Breton)

La toute première mesure, qui consiste à récupérer les gaz réfrigérants, étonne. Comment se fait-il que personne n’y ait pensé ?

Ce fut une surprise pour toute l’équipe. Au début, personne n’aurait classé la maîtrise des gaz réfrigérants parmi les 10 premières mesures. Une fois les résultats compilés, nous sommes tombés de nos chaises ! Et je gagerais que ce n’est sur le radar d’aucun des diplomates qui négocient les conventions internationales sur les changements climatiques. Si personne n’y a pensé, c’est qu’il y a un malentendu. Tout le monde est tellement braqué sur le CO2 qu’on en oublie les autres gaz à effet de serre, naturels ou industriels, comme le méthane ou le protoxyde d’azote. Or, les gaz réfrigérants, comme les  hydrochlorofluorocarbones (HCFC), quand ils s’échappent des vieux frigos et des vieux climatiseurs, ont un effet sur le réchauffement climatique jusqu’à 9 000 fois plus grand que le CO2. Neuf mille. On serait capable de contenir ces gaz. À preuve, dans les années 1990, on a réussi à le faire pour le chlorofluorocarbone (CFC), parce qu’il attaquait la couche d’ozone. Mais on a oublié les HCFC.

Comment se fait-il que la lutte contre le gaspillage alimentaire arrive si haut, au 3e rang ?

C’était prévisible. Toutes catégories confondues, l’alimentation et l’énergie sont les deux activités qui génèrent le plus d’émissions de GES. [NDLR : la moitié des gigatonnes d’équivalent CO2 à « économiser » touchent l’un ou l’autre de ces deux secteurs.] La construction d’un nombre plus élevé d’éoliennes terrestres occupe la 2e place au classement. [NDLR : la construction d’éoliennes en mer est plus coûteuse, d’où sa place au 22e rang.] La réduction du gaspillage alimentaire suit au 3e rang, puis au 4e, la plus grande place accordée aux végétaux dans l’alimentation. C’est parce que la production et la distribution d’aliments requièrent de très grandes quantités d’énergie.

Il y a deux types de gaspillage alimentaire. Dans les pays en développement, c’est d’abord la piètre qualité des chaînes de distribution qui est en cause : la nourriture pourrit avant d’arriver au marché. Dans les pays riches, on gaspille pour des raisons esthétiques. On jette les fruits et les légumes parce qu’ils n’ont pas belle apparence. En plus des restes de table, qu’on met à la poubelle sans les réutiliser. Ajoutez à cela tout ce que les agriculteurs rejettent avant même de le transporter. Au total, la moitié de la nourriture disponible dans les pays développés finit à la poubelle ! Réduire le gaspillage est une action à la portée de tous. Depuis la sortie du livre, je ne gaspille plus rien.

La place faite aux femmes et aux filles dans ce classement surprend aussi. Qu’est-ce que cela change au juste ?

J’ajoute que si vous combinez l’augmentation du niveau d’instruction des filles (6e rang) et le renforcement de la planification familiale (7e), l’effet est même supérieur à celui de la maîtrise des gaz réfrigérants. C’est d’abord une question de réduction de la croissance démographique mondiale. Nous avons eu recours à des études scientifiques, révisées par des pairs, provenant de la Banque mondiale, de l’Agence internationale de l’énergie, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : elles montrent toutes très clairement que l’éducation des filles est la meilleure façon de réduire la croissance de la population mondiale. Une femme scolarisée pendant 12 ans aura en moyenne cinq enfants de moins qu’une femme sans instruction. La revue Science estime que, grâce à l’éducation des filles, la population mondiale en 2050 pourrait être de 9,7 milliards, au lieu des 10,8 milliards prévus. L’incidence sur la consommation énergétique et alimentaire est énorme. Mais il y a d’autres effets bénéfiques, parce que les femmes, dans bien des pays, s’occupent de la production agricole et du commerce. Or, les gens scolarisés utilisent mieux les ressources.

Quant au volet transport, les véhicules électriques, peu importe la source de cette électricité, se classent au 26rang, bien avant le transport en commun (37e), le vélo électrique (69e) et le covoiturage (75e). Pourquoi ?

C’est une question d’échelle. La Banque mondiale et plusieurs autres organismes prévoient que le nombre d’automobiles sur la planète doublera, pour atteindre deux milliards d’ici 2050. Or, les deux tiers de la consommation mondiale de pétrole se font par des autos et camions, ce qui représente 23 % des émissions de GES sur la planète. Le potentiel de réduction des GES par une électrification des transports est donc très grand. Personnellement, je doute que le nombre d’autos et de camions puisse doubler d’ici là. Du moins, j’espère que ce ne sera pas le cas. Mais la liste n’est pas basée sur mes croyances ou ma vision du développement durable. Elle est fondée sur les faits disponibles en ce moment.

Il y a une bonne nouvelle : toutes les mesures proposées par Drawdown existent déjà et sont mises en application quelque part par des gens très motivés.

Paul Hawken

Des solutions familières aux Québécois figurent loin en bas du palmarès, comme le recyclage (55e rang) et le compostage (60e). Doivent-ils réévaluer leurs priorités ?

Ce n’est pas notre intention. Le réchauffement climatique est un problème complexe, qui va exiger un ensemble de mesures. On ne renversera pas la tendance en choisissant seulement celles qui nous plaisent. Pour y arriver, il faudra toutes les mettre en application. Et nous en ajouterons une centaine d’autres dans la prochaine édition de Drawdown, en 2020. Cela dit, il est évident que les gens et les pays vont commencer par ce qui leur est plus familier. Si vous ne savez pas comment protéger les tourbières, mesure qui se trouve au 13e rang, c’est sans doute plus utile que vous commenciez par autre chose. Il y a une bonne nouvelle : toutes les mesures proposées par Drawdown existent déjà et sont mises en application quelque part par des gens très motivés.

Comment expliquer que l’énergie nucléaire, contestée dans le monde, soit présente, au 20e rang ?

Je trouve que le nucléaire est la manière la plus ridicule de faire bouillir de l’eau, mais mes valeurs personnelles et celles des chercheurs affiliés à Drawdown n’entrent pas en ligne de compte. L’opération consistait à travailler à partir de données véritables, pour estimer l’effet en gigatonnes d’équivalent COde chaque mesure. C’est tout. Que cela plaise ou non, l’empreinte carbonique du nucléaire est très faible. Le charbon, par exemple, a un effet 100 fois supérieur. En se fondant sur les données démontrables et en se basant sur une hausse de 12 % de la capacité nucléaire, on sait qu’on éliminera 16 gigatonnes de GES d’ici 2050.

Certains ont critiqué Drawdown parce que l’initiative ne remet pas en question le système économique capitaliste. N’est-ce pas la croissance économique à tout prix qui est au cœur du problème du réchauffement planétaire ?

Drawdown visait à présenter des actions mesurables et applicables, pas à régler tous les autres problèmes du monde. Avant Drawdown, personne ne s’était donné la peine de rassembler toutes les mesures connues pour en calculer l’effet. Personne.

D’autres nous critiquent pour ne pas avoir inclus la tarification du carbone dans nos analyses. Il y a deux raisons à cela. C’est parce que la tarification du carbone, en soi, n’est pas une mesure, mais un mécanisme gouvernemental. Il y a aussi que, pour arriver à publier 100 mesures, nous en avons étudié plus de 300. Or, dans l’état des connaissances, on manquait de données ou de modèles pour 200 d’entre elles. Nous avons depuis conçu un modèle scientifique qui nous permettra d’évaluer les répercussions de tels mécanismes gouvernementaux. On va mesurer l’effet de la tarification du carbone d’ici la prochaine édition.

Mais pour en revenir à la critique du système capitaliste, notre approche du problème se veut optimiste et volontaire. Drawdown présente ce que nous pouvons faire concrètement. Le réchauffement planétaire est le plus gros défi que l’humanité ait jamais eu à affronter. 

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C’est possible pour moi de collaborer à réalisation d’une partie des mesures suggérées assez facilement et immédiatement. Bienvenue à tous.

D’abord, merci pour ce message d’espoir.

«La revue Science estime que, grâce à l’éducation des filles, la population mondiale en 2050 pourrait être de 9,7 milliards, au lieu des 10,8 milliards prévus.»

Je suis heureux de lire que l’éducation et l’émancipation des femmes apparaissent les principales solutions douces pour désamorcer la bombe démographique anticipée par Malthus.

Aux trois facteurs susceptibles de contrer la croissance démographique (épidémie, famine, guerre) que Malthus mentionne, il faut ajouter l’éducation. En effet, l’éducation et l’émancipation des femmes des pays en développement seraient des solutions douces au problème démographique.

Cela sans compter l’effet plus global de l’éducation sur la ^prise de consciences des problèmes environnementaux, la transition vers une économie décarbonée, l’invention de solutions innovatrices et la mise en place de mesures de protection de l’environnement.

J’aime les articles qui proposent des actions plûtot que seulement nous alerter mais j’ai entendu dire que les éoliennes massacrent les oiseaux et les insectes.