La médecine est-elle vraiment « un gouffre »?

Le quart des futurs médecins éprouve de la détresse, révèle un récent sondage. Pour bien circonscrire le phénomène et trouver les bonnes solutions, il faudrait plus de données, explique notre collaborateur, le Dr Alain Vadeboncoeur.

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Le titre de l’article de La Presse  (« La médecine au bord du gouffre ») ne laisse pas de place au doute : selon un sondage mené auprès de 500 étudiants par les associations étudiantes de quatre facultés, le parcours universitaire en médecine mènerait à beaucoup de détresse et d’idées suicidaires, qui toucheraient pas moins de 25 % des étudiants. C’est énorme et d’autant plus frappant que les demandes d’aide seraient en hausse de 28 % par rapport à l’année dernière.

Bien sûr, la détresse exprimée représente une souffrance réelle, ces étudiants doivent avoir accès à des services d’aide et la profession médicale doit être bien davantage sensible à de telles réalités, les médecins étant des personnes comme d’autres, sujettes au stress et à des problèmes psychologiques comme tout le monde. Il faut aussi se questionner sur les raisons.

Mais avant d’affirmer que « la médecine est un gouffre », ce qui suppose de la placer dans une position particulière – conclusion qui vient « naturellement » quand on connaît la durée et l’intensité des études et des heures consacrées à l’externat –, on devrait prendre un peu de recul et voir ce qu’on nous présente vraiment comme faits.

C’est que, même si je n’ai pas accès aux données qui ont inspiré cet article, je suis loin d’être convaincu avec ce qui nous est présenté qu’elles permettent de tirer les conclusions avancées dans le titre, le contenu et les entrevues réalisées. Voici pourquoi.

Comment interpréter ce sondage ? 

Plusieurs éléments font que l’interprétation que l’on peut faire de ce sondage est limitée. Soulignons d’abord que le taux de réponse n’est pas mentionné. Il est pourtant important, surtout lorsque l’on aborde un sujet aussi sensible, de s’assurer le mieux possible que les personnes ayant vécu le problème évoqué dans le questionnaire ne soient pas surreprésentées ou sous-représentées parmi les répondants. 

Les gens touchés par la problématique pourraient être plus tentés de répondre que les autres. Ou alors, à l’inverse, de refuser de le faire. Cela introduit un biais de sélection qui peut fausser l’interprétation des chiffres.

Un autre point concerne aussi ce biais : les étudiants en médecine peuvent avoir des caractéristiques différentes de celles des autres étudiants universitaires. Pour être admis dans ce programme, il faut avoir des notes élevées dans toutes les disciplines, ce qui « sélectionne » naturellement des gens portés sur la performance et ayant les capacités d’y arriver.

On pourrait par exemple émettre l’hypothèse qu’ils puissent avoir une propension plus grande à la détresse et aux idées suicidaires. La conclusion du sondage ne serait alors pas liée aux études elles-mêmes, mais bien aux étudiants qui ont choisi d’aller en médecine.

Et il est tout aussi possible qu’au-delà de la personnalité, le milieu social d’où proviennent les étudiants en médecine joue un rôle important. On sait par exemple que davantage de ces étudiants ont grandi dans des milieux aisés financièrement. Est-ce que la pression du milieu pourrait être un facteur expliquant une partie de la détresse constatée? Le cas échéant, ce ne serait pas non plus en lien avec les études elles-mêmes.

Enfin, on pourrait imaginer que tous les jeunes de cet âge ont un niveau de détresse élevé. On conviendrait que cela change complètement l’interprétation du sondage. La détresse constatée ne pourrait alors être associée spécifiquement aux études de médecine, ni peut-être même aux études en général, mais peut-être juste à une étape de la vie.

Mieux comprendre pour mieux agir

Cela dit, il est fort possible que le niveau de détresse soit plus élevé en médecine qu’ailleurs, même si le sondage en question n’aide apparemment pas à savoir si c’est le cas ou encore si cette détresse diffère de celle vécue par d’autres jeunes. 

Je ne serais tout de même pas surpris que le monde de la médecine représente, pour les externes, un milieu stressant où tout n’est pas fait adéquatement pour bien reconnaître leur détresse et les aider à y faire face, en leur offrant par exemple un meilleur accès à des ressources. 

J’aurais même tendance à penser que la profession médicale n’est pas particulièrement sensible à la détresse des médecins, que les médecins eux-mêmes ont souvent tendance à cacher leurs difficultés, que l’organisation du travail conduit à pratiquer sur de longues heures et qu’il n’est jamais facile dans un milieu de retirer un médecin d’un groupe, parce que sa tâche revient alors aux autres. 

D’ailleurs, comme le mentionne l’article de La Presse, « 57 % des étudiants interrogés ont dit ne pas se sentir à l’aise de se confier à leurs collègues. » Il ne serait donc pas surprenant que ce milieu, où baignent assez jeunes les externes, puisse favoriser l’émergence d’un mal-être.

Mon but ici n’est pas de minimiser la détresse. Au contraire, il faut l’accueillir et offrir toute l’aide et les services appropriés. Mais on conviendra que si d’autres étudiants en souffrent, ou si elle se manifeste bien avant l’arrivée à l’université, la nature même de l’aide et les outils à mettre en place seront bien différents et pourraient s’adresser à beaucoup de personnes.

Ce qui est fondamental, parce que le but, c’est d’apporter l’aide appropriée à ces jeunes, peu importe ce qu’ils font dans la vie, notamment pour éviter le pire.

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Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, appelez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le programme d’aide aux médecins du Québec peut être joint en composant le 1 800 387-4166 ou le 514 397-0888.

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Suite à la publication de mon texte vendredi PM sur mon blogue de l’Actualité, on m’a fait sur les réseaux sociaux le commentaire qu’il manquait de sensibilité à l’égard de la situation difficile vécue par les étudiants en médecine, notamment en lien avec un suicide survenu l’an dernier. Je l’ai donc relu et je ne peux qu’être d’accord avec cette remarque. Des fois, on écrit un peu vite, sans bien mesurer toutes les perspectives d’un texte. Le contenu est juste, mais ni le timing ni la sensibilité requise face à un tel sujet.
J’ai donc pensé à le retirer, ce que j’ai proposé au journal, mais après réflexion, il me semble qu’il s’y pose aussi des questions importantes, à savoir quelles peuvent être les origines de cette détresse. J’ai donc finalement décidé de le laisser en ligne et d’assumer. Je vous invite à en discuter.