L’auteur est professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval, directeur scientifique de VITAM — Centre de recherche en santé durable et membre de l’American Heart Association (FAHA). Il s’est aussi vu attribuer le titre de chevalier de l’Ordre national du Québec (C.Q.).
La pandémie et les mesures de confinement ont bousculé de nombreuses facettes de notre vie. Pendant que le gouvernement tâchait de maintenir une offre de soins d’urgence et intensifs suffisante tout en créant un ambitieux programme de vaccination, notre économie s’est transformée. Certains pôles d’activité en ont beaucoup souffert, alors que d’autres en ont profité. Dans les quincailleries ou les magasins de meubles, par exemple, des ruptures de stock et des retards de livraison nous ont fait prendre conscience de notre dépendance à certains produits et matériaux importés. De plus, l’écart entre les riches et les pauvres a continué de s’accroître.
En même temps, des centaines de milliers de Québécois et Québécoises ont découvert le télétravail. Moins de voitures ont circulé sur nos routes aux heures de pointe, avec des conséquences positives sur la qualité de l’air. Bien des salariés ont apprécié la souplesse du télétravail au point de souhaiter l’adopter à long terme, que ce soit à temps plein ou quelques jours par semaine.
La crise nous a montré que plusieurs aspects de notre modèle socioéconomique doivent être améliorés. Comment nous assurer d’être moins dépendants des autres pays en matière de systèmes alimentaires et de produits de première nécessité ? Quelle leçon tirer du fait que cette violente pandémie virale a néanmoins permis à la planète de respirer un peu mieux ?
Notre système de santé était déjà sous pression avant la crise. Trop axé sur les traitements, il néglige la prévention, bien que plus de 70 % des décès soient attribuables à des maladies chroniques ou à des cancers liés à notre mode de vie (excès d’alcool, tabagisme, mauvaise alimentation, sédentarité). Ainsi, de nombreuses personnes vivent pendant des décennies avec le diabète de type 2 ou des maladies cardiovasculaires grâce à une approche curative basée sur des procédures et des traitements fort coûteux qui limitent notre capacité à investir dans l’éducation et les programmes sociaux et économiques.
Cette approche où les services de santé gèrent la maladie sans, en parallèle, une véritable offre préventive intégrée nous place devant un gouffre économique sans fond. Une chance se présente à nous, celle de donner aux citoyens et citoyennes l’occasion de s’approprier leur santé.
C’est en effet par l’implication citoyenne que nous pourrons bâtir un nouveau modèle de société pour un Québec inclusif, résilient et durable. Nos élus et nos scientifiques doivent y réfléchir avec la population — et non pas pour elle — s’ils souhaitent qu’elle adhère aux solutions qui seront mises en œuvre. Surtout qu’il devient évident que la COVID-19 ne disparaîtra pas et que nous devrons apprendre à vivre avec elle.
La santé durable, qu’est-ce que c’est ?
Il s’agit, en gros, de bâtir un monde en santé — y compris celle de la planète —, en considérant l’ensemble de ses déterminants et en mettant au premier plan la prévention. Cette approche nécessite, de la part des intervenants, une compréhension fine des phénomènes sociaux, environnementaux, économiques et psychologiques qui incitent les gens à adopter des comportements compatibles ou non avec leur santé physique et leur bien-être.
Pour commencer, il faudrait donner à la population toute l’information dont elle a besoin pour faire des choix éclairés. Chaque personne devrait d’abord être en mesure d’accéder facilement à bien plus que son dossier médical. Il faudrait inclure une évaluation claire et compréhensible non seulement de son état de santé, mais également des indicateurs pertinents liés au mode de vie et à l’environnement.
Par exemple, nous devrions tous savoir si notre alimentation est de bonne qualité ou non, et si notre tour de taille (la fameuse graisse viscérale logée dans la bedaine) nous rend susceptibles d’avoir du diabète de type 2 ou d’autres problèmes de santé.
Les médecins de famille auraient dans leur équipe des kinésiologues, des nutritionnistes, des psychothérapeutes et des travailleurs sociaux pour mesurer et viser les comportements et conditions de vie de leurs patients vulnérables. D’autres professionnels seraient impliqués, comme des architectes, des urbanistes et des spécialistes de la foresterie, qui peuvent faire en sorte que les familles de faible niveau socioéconomique ne vivent plus dans des quartiers sans arbres, sans trottoirs, sans parcs et sans services de proximité pour, entre autres, se procurer des aliments frais de qualité.
De nombreuses autres disciplines — droit, agriculture, communications et j’en passe ! — seront aussi appelées à contribuer à un projet de société en santé durable.
Les élus provinciaux, eux, devront reconnaître l’importance de nourrir financièrement la réflexion des régions et des villes engagées dans une démarche de santé durable. Le ministère de la Santé et des Services sociaux n’est que l’un des ministères qui auront à se mobiliser pour favoriser l’élaboration de cet immense chantier.
Un tel grand projet de société peut sembler irréalisable, mais nous ne sommes pas les seuls à y penser. Déjà, en 2016, j’ai eu l’occasion de donner une conférence à ce sujet dans une ville européenne d’environ 30 000 habitants dont le maire était en négociation pour attirer de gros employeurs. Les préoccupations et les questions des entreprises ne tournaient pas autour des caractéristiques du parc industriel de la ville et des services techniques, elles portaient plutôt sur la qualité du milieu de vie (écoles, infrastructures sportives et culturelles, parcs, cohésion sociale, etc.). Bref, ces entreprises s’interrogeaient sur la qualité de vie de leurs futurs employés. Depuis, cette ville a totalement embrassé une stratégie de développement avec, comme thème intégrateur, la santé durable telle que nous l’avions définie.
Un premier projet d’envergure à Québec
En 2015, la direction de l’Université Laval et ses partenaires m’ont donné le mandat d’assumer la direction scientifique de l’Alliance santé Québec, une organisation visant à bâtir un écosystème de santé durable dans la grande région de Québec.
J’ai alors rapidement constaté à quel point les chercheurs et chercheuses du domaine de la santé travaillaient en silo (souvent même en concurrence). Or, c’est ensemble qu’il faut développer une économie durable, équitable et compatible avec la santé de la planète.
Les défis sont considérables. Pensons d’abord au vieillissement de la population, qui est incompatible avec le manque de relève dans les entreprises privées et les services publics. En outre, il faut composer avec les coûts déjà exorbitants de notre système de santé (ou plutôt de gestion de la maladie), l’absence d’outils en prévention pour aider la population à prendre sa santé en main et l’urgence environnementale et climatique.
Les membres de l’Alliance santé Québec ont donc décidé de se mobiliser et de se rallier derrière le concept de santé durable, dont la pierre d’assise est une collaboration entre les villes, les communautés et les régions qui ne veulent pas être laissées pour compte. Cette synergie sera essentielle afin de créer des milieux de vie où les environnements seront reconfigurés et où toute une armada de scientifiques aura les moyens d’évaluer l’effet des interventions.
Cet objectif se heurte toutefois à des enjeux technologiques et de gouvernance, puisqu’il faudra gérer et protéger énormément nos données de santé, qui décrivent dans le détail qui nous sommes. Ces informations constituent une richesse aussi précieuse que l’hydroélectricité, et de nombreuses personnes craignent que l’État n’en perde le contrôle et qu’elles ne se retrouvent entre les mains du secteur privé, dont la vocation première n’est pas de nous servir. Dans un monde alimenté par les données, l’État se doit de préserver la confiance des Québécois et Québécoises.
Tirons profit de nos forces
Le Québec jouit de ressources naturelles qui en font un candidat idéal pour la mise sur pied de projets de santé durable. Sur notre immense territoire, il y a beaucoup plus d’eau et d’air purs que dans bien d’autres parties du globe. En outre, nos vastes terres ont le potentiel de produire de façon écoresponsable et durable des aliments sains que nous pourrions transformer nous-mêmes et consommer localement.
Au cours de ma carrière de chercheur universitaire, j’ai beaucoup voyagé et invité au Québec un important contingent de chercheurs et chercheuses de nombreux pays. Ils et elles sont unanimes à souligner la beauté et l’immense potentiel du Québec. Nous avons le devoir de préserver ces actifs pour les générations futures avec, au cœur du projet, l’équité et la cohésion sociale. Pour ce faire, il sera essentiel de nous concerter autour d’un ambitieux, mais nécessaire, projet de santé durable : des humains heureux, en forme et en santé, vivant en harmonie avec leur magnifique territoire.
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Bonjour,
J’aime beaucoup votre réflexion même si elle est un peu utopique. C’est vrai que l’on aime « mettre des plasters sur les bobos » au Québec au lieu de les prévenir. Il ne faut pas oublier que le système de santé a été créer à l’époque par ou pour une population jeune. On a juste oublier qu’elle vieillirait un jour, comme tout le reste…
Je souhaite que vos idées fassent du chemin, car il y a beaucoup de bon dans ce que vous proposer mais soyez conscient que changer les mentalités prend du temps. Il faudra aussi que les médecins soient moins prompts à prescrire des pilules pour tout et qu’une approche intégrée soit mise en place, sinon prescrire des marches en forêt pour vaincre la dépression n’aura pas la même réception que de prendre un petite pilule….
Belle utopie dans une province où plus de 1,5 millions de personnes n’ont pas accès à un médecin de famille, donc aucune possibilité de détection rapide de maladies qui pourraient être traitées facilement si elles étaient détectées plus tôt.
Non, on préfère un système de santé réactif où les gens se retrouvent à l’urgence d’un hôpital faute de médecin de famille alors que leur état de santé est devenu trop lourd pour bénéficier des services préventifs comme la détection du cancer colorectal facilement détectable par une coloscopie qui sert en même temps à enlever les polypes suspects.
D’autres provinces ont investi massivement dans la prévention et je pense en particulier à la Colombie-Britannique dont l’Agence du cancer (BC Cancer Agency) est très agressive en prenant les moyens de prévenir ce type de cancers. Le Québec choisit la voie réactive qui exige beaucoup plus du système de santé et coûte beaucoup plus cher aux contribuables.
Dans un tel contexte, comment espérer un changement de paradigme dans le système de santé qui a été surtout massacré par des politiciens eux-mêmes médecins et qui est à bout de souffle en omettant de prévenir la maladie et laissant les cas empirer jusqu’à encombrer les hôpitaux de cas devenus très difficile à traiter ?
Oui ça peut paraître utopique ! Mais tellement nécessaire de faire avancer ces idées pour l’avenir de nos petits enfants. Le ministre de la santé est à la recherche de nouveaux modèles pour répondre aux besoins de la population en matière de santé. J’espère que M. Despré sera où est invité aux tables de réflexion sur l’avenir du système de santé. Merci M.Despré !