«Ai-je le droit d’empêcher les autres de retrouver une vie normale ? Mais à cause de mon état de santé, la société ne devrait-elle pas aussi me tendre une perche ? » se demande Abdou Simon Senghor, à la fois immunodéprimé et chercheur postdoctoral à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, où il étudie l’expérience des malades dans la société.
Une greffe de rein lui a sauvé la vie en 2010, mais l’a laissé avec une très grande sensibilité aux infections. Cet homme de 40 ans a vécu les deux premières années de la pandémie terré dans son appartement, la peur au ventre. « J’ai eu une phlébite à force de ne pas bouger, et le manque d’air pur m’affecte. Mais comme beaucoup de malades, j’ai maintenant du mal à rationaliser les risques », me raconte-t-il.
Environ 3 % de la population du Québec, soit 250 000 personnes, est immunodéprimée à cause d’une maladie ou d’un traitement qui diminue la résistance aux infections. Face à la COVID-19, ces gens sont nettement plus susceptibles que la population générale de se retrouver à l’hôpital ou de mourir, et risquent d’être moins protégés par les vaccins, malgré une dose supplémentaire. Si on ajoute les proches qui ont aussi souvent peur de rapporter le virus à la maison, ça touche pas mal de monde. Beaucoup, comme Abdou Simon Senghor, se demandent comment « apprendre à vivre avec le virus ».
Depuis peu, le chercheur, qui habite seul, prend un taxi deux fois par semaine pour aller rencontrer ses collègues et, parfois, dîner avec eux. « Je sais qu’ils font attention, ça me sécurise. Pour le reste, je me fie aux autorités de santé publique : quand le virus circule peu, je fais mes courses, avec mon masque, sinon je commande en ligne. Ça finit par coûter cher ! Je ne vois plus certains amis. Et j’ai gardé le réflexe de prendre l’air seulement lorsqu’il y a peu de gens : quand quelqu’un s’en vient dans ma direction, je change de trottoir, même si j’ai mon masque, sinon c’est trop stressant. »
De nombreux immunosupprimés se sentent plus en danger que jamais avec l’allègement des mesures sanitaires, constate Geneviève Solomon, directrice générale de l’Association des patients immunodéficients du Québec (APIQ). « Depuis deux ans, les autorités de santé publique leur disent : “Cachez-vous, vous ressortirez quand ce sera fini.” Ils ont maintenant peur que cette mise à l’écart temporaire ne devienne permanente. »
Grâce aux vaccins, le risque que courent nombre d’entre eux a beaucoup diminué. Rares sont ceux qui ne sont pas du tout protégés une fois qu’ils ont reçu leurs trois doses, et une quatrième comme rappel. Mais puisque aucun test n’offre une réponse fiable quant au degré de protection, leur seule certitude est qu’ils ne seront pas malades s’ils n’attrapent pas le virus.
« On aurait plutôt intérêt à miser sur des mesures collectives, qui vont protéger à la fois les immunodéprimés et les autres personnes. »
Éric Racine, éthicien
« Même certaines personnes qui n’ont pas de lymphocytes B pour sécréter des anticorps peuvent être bien protégées avec leurs cellules T », explique la Dre Hélène Decaluwe, immunologue pédiatre au CHU Sainte-Justine, qui étudie l’effet des vaccins sur les enfants immunodéprimés. Chez ces derniers, l’absence totale de protection contre le virus est exceptionnelle. « On parle d’enfants qui viennent d’être greffés, par exemple. La quasi-totalité des enfants immunodéprimés qui ont reçu toutes leurs doses de vaccin peuvent continuer l’école normalement », insiste la pédiatre.
En novembre, des chercheurs américains ont analysé l’efficacité de deux doses dans un groupe de plus de 60 000 immunodéprimés âgés en moyenne de 68 ans. Alors qu’un groupe équivalent d’« immunocompétents » était protégé à 90 % contre les hospitalisations liées à la COVID-19, l’efficacité chez les immunodéprimés variait de 81 % pour les personnes touchées par un problème rhumatologique ou inflammatoire à 59 % pour celles ayant reçu une greffe d’organe ou de cellules souches. Ces calculs n’ont pas été refaits après la vague Omicron et les doses de rappel.
Les anticorps monoclonaux ne sont pas une panacée pour limiter les risques de maladie grave, mais la science avance. Le Paxlovid est aussi intéressant, même si bien des immunosupprimés ne peuvent pas prendre cet antiviral, parce qu’il interagit avec leurs autres traitements. « Mais du côté social, on n’a pas assez réfléchi à ce qu’il faut faire pour permettre aux immunodéprimés de bien vivre avec le virus », regrette Geneviève Solomon.
La première étape, c’est qu’ils puissent continuer d’utiliser le masque, dont on sait qu’il protège ceux qui le portent, pas seulement les autres. « Mais si je le garde alors que tout le monde l’enlève, est-ce que ça va bien se passer ? Tout dépendra du regard de la société », croit Abdou Simon Senghor.
Comme tous les signes extérieurs de fragilité, le masque est une arme à double tranchant, qui peut exposer à la compassion tout comme à la stigmatisation, rappelle son superviseur, le chercheur en éthique Éric Racine : « Il faut un message fort dès maintenant pour faire accepter le fait que certains en ont encore besoin. » Mais sortir du placard en tant qu’immunodéprimé dans le contexte actuel de ras-le-bol et de polarisation n’est pas toujours facile. Pour aider les personnes concernées, l’APIQ leur propose notamment de porter une épinglette, symbole de leur situation de vulnérabilité, qui va toutefois devoir être largement publicisée pour être efficace.
D’autres immunodéprimés, comme Annie-Danielle Grenier, qui a lancé la pétition en ligne Garder les immunocompromis en sécurité, demandent un accès gratuit aux masques N95, un remboursement des frais de livraison d’épicerie et des heures réservées dans les commerces, des suggestions qui séduisent Abdou Simon Senghor.
Geneviève Solomon, de l’APIQ, n’est pas chaude à l’idée des horaires réservés. « Il faut faire attention à ce qui risque d’isoler encore plus les immunodéficients et de leur faire porter le fardeau de leur problème médical. »
Pour l’éthicien Éric Racine, devant ce virus qui se propage dans l’air comme la fumée de cigarette, « on aurait plutôt intérêt à miser sur des mesures collectives, qui vont protéger à la fois les immunodéprimés et les autres personnes. C’est comme quand on aménage un espace vert : tout le monde en bénéficie, pas seulement ceux qui vivent dans de petits logements ».
Autrement dit, miser sur des actions minimisant la circulation du virus rendrait déjà la vie beaucoup plus sécuritaire pour les immunodéprimés. « La priorité des priorités, c’est la ventilation », estime l’immunologue pédiatre Hélène Decaluwe.
Une gestion plus généreuse des absences au travail aiderait sans doute beaucoup, ajoute Éric Racine. Un soutien financier direct, en parallèle, permettrait aux immunodéprimés d’absorber certaines dépenses comme l’achat de masques. « Il faut être créatif, essayer des solutions et voir ce qui fonctionne », plaide le chercheur.
On doit également éduquer la population à la réalité de ces personnes et au traumatisme qu’elles ont subi, croit Geneviève Solomon. Même si le risque de maladie grave a diminué, avec les vaccins et Omicron qui cause moins de dommages pulmonaires, vivre dans un monde où circule un virus extrêmement contagieux est très angoissant. « Beaucoup sont dans un état de stress post-traumatique et doivent réapprendre à apprivoiser le risque, mais ils ont aussi besoin qu’on reconnaisse leur nouvelle fragilité et qu’on leur facilite la vie », dit-elle.
On a tous à y gagner. Mieux protégés par un cocktail d’actions individuelles et collectives, les immunodéprimés pourront contribuer davantage à la société et être moins hospitalisés. Ils diminueront aussi les risques de mutation du virus, puisque les nouveaux variants sont plus susceptibles d’apparaître lors de l’infection d’une personne à l’immunité déficiente. « Il faut y réfléchir rapidement », croit Éric Racine.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2022 de L’actualité.
Je suis immunosupprimée.
J’adore la culture,lorsque le passé vaccinal était demandé je pouvais aller à mes activités culturelles: théâtre, cinéma, Spectacle et les salles devaient être remplies à 50% .
Présentement , les salles peuvent être à 100% de leur capacité et plus de passe vaccinale demandée, pourtant cela ne demandait pas plus de personnel puisque la passe était vérifiée au même moment que le billet.
Pour aller dans des grands espaces commerciales , je peux m’ en passer facilement Rona épicerie etc…
Mais la culture en salle est un martyre.
Mon masque je le porte et je change souvent.
A .P St Lambert
Je vous remercie d’avoir créé un lien su le mot épinglette vers L’IMMUNOCLIP.com
Louis Sansfaçon
M. SansFacon, merci à vous et à votre fille Emilie pour immunoclip, vraiment bien pour nous, et en plus pour une bonne cause…vraiment génial!
Porter cette épinglette apporte sécurité et mieux être, bientôt cela sera rassurant de pouvoir continuer a porter un masque sans aucun jugement de la part des gens qui n’en porteront plus.
Bravo pour immunoclip!