L’auteure est médecin vétérinaire et éthicienne. Ex-présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, elle travaille au Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique, offre des formations et intervient régulièrement sur les relations humains-animaux et l’approche Une seule santé.
Quand des vaches ont fait une fugue à Saint-Sévère l’an dernier, bien des consommateurs de lait se sont demandé si elles s’étaient sauvées de l’étable parce qu’elles y étaient malheureuses. Et s’ils ne devaient pas accorder plus d’attention aux produits laitiers qui portent l’inscription « vaches en liberté ». Ces étiquettes sont-elles le gage d’un meilleur bien-être de ces animaux ? D’ailleurs, comment s’assure-t-on du bien-être des veaux et des vaches ?
À la ferme laitière de mon enfance, quand on sortait les vaches au printemps, elles avaient l’air folles de joie. Tout un spectacle ! Alors que les vaches sont généralement placides, elles gambadaient allègrement, ce qui nous rendait, nous aussi, joyeux. Le climat du Québec ne permet cependant pas de sortir les bovins à l’année.
Présentement, la majorité des étables du Québec sont de type « entravé », c’est-à-dire que les vaches sont dans une logette individuelle, attachées par une chaîne au cou — l’ancienne structure métallique rigide, qui était devenue très rare, vient d’être interdite, une mesure qui entrera en vigueur en 2024. Les fermes plus récentes sont généralement de type « stabulation libre », c’est-à-dire que les vaches sont libres de se déplacer et se rendent habituellement elles-mêmes deux fois par jour à un robot de traite.
Chacun de ces systèmes présente des avantages et des inconvénients. Les vaches en stabulation libre ont plus d’espace et peuvent interagir davantage avec leurs congénères. En principe, elles ont accès à des aires de repos propres et confortables. L’exercice régulier prévient plusieurs problèmes de santé. Par contre, le modèle de logettes individuelles, soit la stabulation entravée, permet souvent de mieux observer chaque animal. La vache étant immobilisée et aisément trouvable, il est plus facile d’adapter les soins et l’alimentation.
Ni l’un ni l’autre de ces systèmes d’hébergement n’empêche de laisser les bêtes aller dehors ni de les mettre au pâturage en saison. Cette pratique est toutefois de moins en moins répandue depuis l’avènement des stabulations libres, celles-ci accordant déjà une grande liberté de mouvement. Certaines fermes essaient de revenir à cette manière de faire, principalement pour des raisons philosophiques, mais on peut aussi en évoquer d’autres : pour l’exercice qu’elle permet, pour varier l’alimentation et pour laisser les vaches exprimer un comportement naturel pour elles, c’est-à-dire brouter. Un autre avantage, pour le fermier celui-là : lorsqu’elles broutent, les vaches étendent elles-mêmes leurs bouses, pas besoin d’épandre le fumier !
Comment mesure-t-on le bien-être des animaux ?
Selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), qui collecte et analyse toutes les informations scientifiques relatives à la santé animale, le bien-être requiert les éléments suivants : une bonne prévention des maladies, des soins vétérinaires adéquats, un hébergement, une gestion d’élevage et une alimentation adaptés à l’espèce, un environnement stimulant et sécuritaire, et, finalement, des manipulations et abattages (mises à mort) réalisés dans de bonnes conditions.
Plusieurs facteurs sont essentiels pour évaluer le bien-être des animaux. Cela va au-delà de l’espace disponible pour bouger, se coucher, etc. Il faut se préoccuper de la qualité de l’air de l’étable et de l’eau, de la température, du niveau sonore et de l’éclairage. Il est aussi important de surveiller la quantité de nourriture et sa qualité, ainsi que l’accès à l’eau.
L’état de santé physique inclut la condition corporelle (poids, masse musculaire), la présence de blessures ou de maladies, l’hygiène, la qualité du pelage et de la peau, ainsi que la capacité de l’animal à se déplacer facilement. Il est nécessaire d’observer ses comportements naturels, y compris le temps passé à se reposer, se nourrir, se déplacer et interagir avec les autres animaux. L’on doit aussi surveiller les comportements anormaux tels que l’agressivité ou l’apathie.
Pour évaluer le stress chez les animaux, on peut observer leur comportement et prendre des mesures physiologiques comme le taux de cortisol dans le sang ou la salive. Ce sont des méthodes utiles en recherche, où on s’intéresse même au tempérament des veaux : les plus optimistes seraient moins stressés et en meilleure santé.
Certains indicateurs de bien-être sont spécifiques à chacune des espèces animales, en fonction de son comportement naturel et de l’environnement. Pour les vaches laitières, les blessures aux pattes et l’état des sabots comptent beaucoup, alors l’hygiène des surfaces est primordiale. Elle est aussi importante pour éviter les infections de la glande mammaire (le pis).
Réglementation
À la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal de 2015 s’ajoutent des règlements découlant de cette loi. Le gouvernement du Québec y renvoie aux codes de pratique (établis pour les différents types de production animale et régulièrement révisés), ce qui revient à donner force de loi à ceux-ci. Le Code de pratiques pour le soin et la manipulation des bovins laitiers vient tout juste d’être révisé. Plusieurs modifications importantes concernent le logement des veaux et la capacité des vaches à se mouvoir. Les veaux devront pouvoir avoir des rapports sociaux et entrer en contact physique avec leurs pairs en étant logés en paires ou en groupes. Un délai est accordé aux producteurs en raison des investissements qui seront requis pour certains d’entre eux. Les vaches devront bénéficier d’une liberté de mouvement pendant le vêlage, ce qui veut dire qu’elles devront être dans un enclos, dans une cour ou au pâturage.
Une importante innovation du nouveau Code est que les vaches ne pourront plus être attachées continuellement durant tout leur cycle de production, c’est-à-dire d’un vêlage à l’autre. Elles devront pouvoir se mouvoir librement, pour leur bien-être, mais la fréquence et la durée des sorties ne sont pas précisées pour l’instant. La construction de nouvelles étables entravées n’est pas interdite, mais dans ce cas, il faudra que les vaches puissent avoir une liberté de mouvement tous les jours.
Qu’en est-il de l’étiquetage « vaches en liberté » ?
Quand un produit porte l’étiquette « vaches en liberté », cela signifie simplement qu’il a été fabriqué avec le lait d’une vache qui n’est pas en stabulation entravée, même si on peut l’imaginer broutant dans le champ.
Certains diront que je suis nostalgique d’un autre temps, mais oui, j’aimais voir des vaches dans les champs ! Je suis toutefois consciente que leur bien-être dépend de multiples facteurs. Je peux sans hésiter affirmer que j’observe une nette conscientisation et une grande amélioration en matière de pratiques visant le bien-être des animaux. Il y a un monde entre les pratiques lors de mon arrivée à la Faculté de médecine vétérinaire, en 1987, et celles d’aujourd’hui.
Veau, vache, vêlage…
La vache a son premier veau autour de l’âge de deux ans, après une gestation de 9 mois, ce qui déclenche la lactation (production de lait), qui dure environ 10 mois. La vache prend généralement un repos de deux mois avant de vêler à nouveau et de recommencer ce cycle.
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