
Les limites imposées à la déforestation de l’Amazonie ont permis au Brésil de diminuer de 3,2 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2) ses émissions de gaz à effet de serre entre 2005 et 2013 — ce qui fait de lui le champion du monde en la matière, selon une étude publiée dans la revue Science, le 6 juin dernier.
Entre 2005 et 2013, la superficie de forêt mature coupée chaque année pour faire place à des champs ou à des pâturages est passée de 19 500 km2 par an à 5 843 km2 par an, évalue Daniel Nepstad, du Earth Innovation Institute (basé à San Francisco).
Le chercheur étudie depuis 25 ans les politiques publiques en Amazonie et a fondé l’Institut d’études environnementales de l’Amazonie, il y a 16 ans.
Dans son analyse, Daniel Nepstad décortique la stratégie qui a permis au pays hôte de la Coupe du monde de soccer d’afficher une aussi belle performance environnementale en maniant astucieusement le bâton et la carotte.
Entre la fin des années 1990 et 2005, explique-t-il, les progrès technologiques ont permis l’expansion rapide de cultures très mécanisées — notamment du soja —, ce qui a amené à un accroissement très important des superficies cultivées et de la déforestation. En même temps, les rendements à l’hectare de la production de bœuf ont été multipliés par cinq.
Depuis 1965, le Brésil disposait d’une loi, le code de la forêt, qui devait limiter la déforestation en obligeant la conservation d’une parcelle de forêt — la reserva legal — sur chaque propriété. En 1996, cette reserva legal a été accrue de 50 % à 80 % pour la région de l’Amazonie, mais l’absence de cadastre et le peu de surveillance ont fait en sorte que cette loi n’était pas appliquée.
Une stratégie efficace
En 2004, le gouvernement brésilien a décidé de traquer les délinquants en se dotant d’un système de contrôle beaucoup plus efficace, utilisant notamment la surveillance par satellite. Il a aussi fait remonter la responsabilité de la surveillance à des niveaux hiérarchiques supérieurs pour endiguer la corruption.
Entre 2004 et 2011, 650 opérations d’infiltration ont été menées — ce qui a conduit à l’arrestation de 600 personnes, parmi lesquelles on compte plusieurs membres des autorités locales. Des amendes de 7,2 milliards de reales (3,5 milliards de dollars) ont été distribuées, mais la plupart restent impayées à ce jour, selon Daniel Nepstad.
En parallèle, le gouvernement a pris les devants en multipliant les zones protégées à la frontière des territoires déjà développés. Entre 2004 et 2012, les territoires réservés aux autochtones et les aires protégées se sont accrues de 68 % dans toute l’Amazonie brésilienne, qui est désormais protégée à 47 %.
En 2008, le président Lula lançait une autre mesure qui allait s’avérer particulièrement performante pour ralentir la déforestation. Le programme des Municipios criticos interdit toute aide de l’État à n’importe quel agriculteur dont le terrain se trouvait dans l’un des 26 comtés ayant les plus hauts taux de déforestation.
La mesure a forcé de multiples actions au niveau local, chaque producteur désireux de retrouver ses subventions se transformant ainsi en militant prompt à convaincre ses voisins de bien agir — et bloquant les projets délinquants.
De son côté, l’industrie du soja a aussi pris ses responsabilités, notamment sous la pression du boycottage organisé par Greenpeace, en Europe, contre les restaurants McDonald’s, accusés de nourrir leurs poulets avec du soja cultivé dans des champs gagnés sur la jungle. Un moratoire a été déclaré sur les achats de soja qui provient de terrains déforestés après le 26 juillet 2006 (les satellites permettent de contrôler la véracité des dires des producteurs).
Selon Daniel Nepstad, ce moratoire a été respecté à 99 %.
Cette recette gagnante a aussi été appliquée dans l’industrie du bœuf, toujours sous la pression de Greenpeace, qui a accusé certains producteurs de recourir abondamment à la déforestation (et, même, à l’esclavage) — et d’agir sans aucune transparence.
L’agrément sur le bétail a pris de l’ampleur en 2009, lorsqu’il a été pris en charge conjointement par cette industrie, le gouvernement brésilien et d’autres entreprises. En 2013, l’association brésilienne des supermarchés, qui inclut des géants comme Walmart et Carrefour, s’est aussi engagée à ne plus vendre que du bœuf «responsable».
Dans le même temps, la hausse des cours du soja et la mécanisation ont permis de faire augmenter les rendements à l’hectare de cette plante, libérant ainsi des terrains pour l’élevage.
À partir de 2009, le Brésil a commencé à récolter les fruits de toutes ces mesures. Tout en continuant à punir les délinquants, le gouvernement a mis en place les premiers programmes visant à encourager les vertueux. Il a, par exemple, donné accès plus facilement au crédit aux exploitants qui génèrent le moins de gaz à effet de serre, par l’entremise de sa Politique nationale de lutte aux changements climatiques (laquelle vise un taux de réduction de la déforestation de 80 % d’ici 2020).
Le pays a aussi fait en sorte d’attirer des investissements en tirant profit du mécanisme de compensation REDD (réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) des Nations Unies.
Et demain ?
Aujourd’hui, conclut Daniel Nepstad, tout n’est pas réglé. Les progrès sont remarquables, d’autant plus que la lutte à la déforestation s’est doublée d’une profitabilité accrue pour les producteurs de soja et de bœuf.
Néanmoins, ils restent fragiles, croit le chercheur, et ils pourraient facilement être mis en péril si l’attention de la communauté internationale et les efforts du gouvernement brésilien se relâchent.
Greenpeace a toujours la déforestation de l’Amazonie à l’œil. Mais la région connaît bien d’autres problèmes environnementaux et sociaux que celui de la déforestation, qui sont loin d’être résolus…
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La FIFA sauvera-t-elle le tatou à trois bandes ?
Un mot pour terminer sur la Coupe du monde de soccer, pour laquelle la FIFA a choisi comme mascotte le tatou à trois bandes, un animal menacé qui vit dans les forêts sèches du nord-est du Brésil. Toute l’histoire est racontée dans cet article de Maxisciences.com (incluant un reportage vidéo sous-titré en français).
La mascotte Fuleco (de futebol et ecologia) aidera-t-elle à attirer l’attention sur cette autre forêt en déclin ? Les profits de la FIFA serviront-ils en partie à vraiment protéger cet habitat ?
Certains scientifiques ne sont pas très optimistes, comme l’explique The Guardian. À suivre…
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À propos de Valérie Borde
Journaliste scientifique lauréate de nombreux prix, Valérie Borde a publié près de 900 articles dans des magazines depuis 1990, au Canada et en France. Enseignante en journalisme scientifique et conférencière, cette grande vulgarisatrice est à l’affût des découvertes récentes en science et blogue pour L’actualité depuis 2009. Valérie Borde est aussi membre de la Commission de l’éthique en science et en technologie du gouvernement du Québec, en plus d’être régulièrement invitée dans les médias électroniques pour commenter l’actualité scientifique. On peut la suivre sur Twitter : @Lactu_Borde.
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