Le cœur dans tous ses états

Dans Cœurs : Du premier au dernier battement, en librairie ce 15 février, le Dr Alain Vadeboncœur explique la formation et le fonctionnement de cet organe, ainsi que les maladies et malformations qui le touchent, les traitements et les approches préventives. Extrait.

Getty images / montage : L’actualité

UN CŒUR HUMAIN EN HUIT SEMAINES

En tant qu’embryons, nous passons par des étapes de développement d’une grande complexité, pendant lesquelles se déploie au sein du mésoderme notre propre cœur, premier organe à prendre complètement forme. Cet exploit, planifié dans toutes ses phases par le code génétique de la cellule originelle appelée zygote, produite par la rencontre d’un ovule et d’un spermatozoïde, laisse pantois. Le processus embryologique est d’autant plus intéressant qu’il paraît s’inspirer de l’évolution biologique des cœurs à travers les espèces que je viens de survoler.

Notre zygote unicellulaire, cousin lointain de ces formes de vie qui n’ont que faire de la multiplication des cellules, décide de ne pas subir le même sort en devenant d’abord une boule dense de 16 copies identiques, après s’être divisé en deux, quatre, huit et seize, comme on le devine. On croirait rencontrer quelque organisme simple des océans. Les cellules de cette morula, qui n’a rien à voir avec une morue, continuent de se diviser. Ce qui aboutit à une transformation en forme de sphère creuse appelée blastula, qui ressemble à un petit ballon gonflé de liquide.

Selon le biologiste sud-africain Lewis Wolpert (1929-2021), c’est en tant que blastula que nous vivons le moment le plus important de notre vie, bien avant la naissance, le mariage ou même la mort : la gastrulation. Durant cette phase qui commence vers la fin de la deuxième semaine après la conception, la sphère se déforme par un repli complet de ses parois vers l’intérieur, donnant la gastrula. Ce moment correspond aussi à l’apparition des trois couches cellulaires, qui se différencient entre elles à ce moment : l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme. Nous voilà entrés de plein droit dans la famille triploblastique et le règne de l’épaisseur.

Après avoir adopté l’apparence d’un disque plat au sein de la sphère, l’embryon montre bientôt un renflement en son centre. Vous attendiez autant que moi, j’en suis sûr, cet instant palpitant : dans ce disque, émergeant du mésoderme, surgit en effet le cœur tubulaire primitif, ressemblant à celui d’un poisson. Aussitôt constitué, ce petit cœur vaillant commence à battre à la fin de la 3e semaine après la conception. Dès la 4e semaine de vie, nos cellules cardiaques propulsent un peu de sang à chaque pulsation, contribuant à notre croissance embryonnaire. Mais les tubes étant de l’histoire ancienne digne des sangsues, notre cœur, comme celui des mammifères en général, se replie bientôt sur lui-même pour former une sorte de « S ».

C’est l’ébauche de deux circulations distinctes et parallèles : celle du corps entier (la grande circulation gauche) et celle des poumons (la petite circulation droite). Au terme de la 4e semaine, les principaux vaisseaux sont déjà constitués. Ils changent plusieurs fois d’apparence pour devenir notre aorte, principale artère du corps, et notre veine cave, la plus grosse veine. Poursuivant leur croissance et se ramifiant, de minuscules conduits appelés capillaires se multiplient vertigineusement, pour donner éventuellement 100 000 kilomètres — vous avez bien lu ! — d’une tuyauterie spécialisée dans le transport du sang.

Nos quatre valves émergent pour leur part lors de la 5e semaine après la conception. Le système électrique cardiaque se forme en même temps dans les parois, commençant par le nœud sinusal, spécialisé dans l’impulsion, qui surgit dans une veine et migre dans l’oreillette droite. Le reste du système de conduction émane de la spécialisation de cellules situées dans les parois ventriculaires. Pendant ce temps, les séparations entre les deux oreillettes et les deux ventricules se complètent, en souvenir des crocodiles. À la 8e semaine, au moment où l’embryon change de nom pour devenir fœtus, même si personne ne lui a demandé son avis, le cœur fœtal ressemble beaucoup à celui d’un adulte. C’est aussi le cas pour la plupart de nos organes, sauf les poumons, encore primitifs, peu utiles dans cet environnement liquide plus convenable pour des branchies.

Malheureusement, des anomalies perturbent parfois le développement du cœur durant la phase embryonnaire. Cela mène aux malformations cardiaques congénitales, qui affectent l’organisation générale du cœur, les valves cardiaques, les cloisons entre les sections droite et gauche ou les larges vaisseaux. Si l’embryon survit, l’échographie prénatale en détectera un certain nombre, les autres seront diagnostiquées soit à l’accouchement, soit pendant les premières semaines de vie, les plus bénignes passant quelquefois inaperçues jusqu’à l’âge adulte.

Les poumons, futurs proches partenaires du cœur, sont en mesure d’assumer une partie de leurs fonctions vers la 24e semaine après la conception. Tout ça pour préparer le grand jour, au moment de la sortie de l’utérus, lors du passage du statut de fœtus à celui de nourrisson. C’est l’instant si émouvant du premier cri, du premier regard flou, de la première caresse, de la coupure du cordon et de la tétée initiale. Pour d’autres sphères de la vie comme la marche, le langage, le ballon-chasseur, les tables de multiplication, la gestion du compte bancaire et l’ouverture d’un compte TikTok, il reste encore quelques étapes à franchir.

Le cœur poursuit son bon travail après la naissance, sauf qu’au moment de l’expansion des poumons, la circulation cardiaque change de configuration, alors que deux conduits, essentiels pour la survie et la croissance du fœtus, se ferment. Le premier, situé entre les deux oreillettes, est appelé le foramen ovale ; le second, entre l’aorte et l’artère pulmonaire, se nomme le canal artériel. Jusqu’à la naissance, les deux passages facilitent la livraison au cerveau du sang oxygéné par le placenta, par un jeu complexe de flots et de pressions. Quand les poumons prennent la relève, tout se réorganise. Mais dans certains cas, ces conduits restent ouverts, ce qui n’est pas immédiatement critique, mais causera plus tard des problèmes.

Quand surviennent des malformations cardiaques, elles se manifestent souvent à l’accouchement, au moment de ces changements du flux sanguin, leurs conséquences dramatiques étant alors révélées. Aujourd’hui, grâce aux incroyables développements des chirurgies cardiaques pédiatriques, ayant précédé celles dédiées aux adultes, les enfants qui viennent au monde avec de telles anomalies survivent et mènent souvent une vie normale.

Cœurs : Du premier au dernier battement

Les Éditions de l’Homme, 272 p., 34,95 $. En librairie le 15 février.

Extrait publié avec la permission de l’éditeur.

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