Des consommateurs américains ont intenté à l’été 2022 une poursuite judiciaire contre le fabricant Mars, en Californie, au motif que le dioxyde de titane (TiO2) ajouté à ses bonbons Skittles serait toxique. Cet additif, utilisé depuis une cinquantaine d’années comme colorant blanc ou pour renforcer les couleurs dans des confiseries, des pâtisseries, des produits laitiers et divers plats préparés, est d’ailleurs interdit sur le territoire de l’Union européenne depuis août.
Pas d’interdiction de ce type du côté de Santé Canada, qui a procédé à sa propre analyse de la littérature scientifique. L’institution a statué en juin « qu’il n’existe aucune preuve scientifique concluante que l’additif alimentaire TiO2 est préoccupant pour la santé humaine ».
Dans les faits, précise Ciprian Mihai Cirtiu, conseiller scientifique spécialisé à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), expert en nanomatériaux, « l’Union européenne n’a pas trouvé de preuves de toxicité, mais elle n’a pu exclure non plus toute toxicité ».
Le Canada serait-il moins prudent que l’Union européenne ?
« Non », répond le chimiste. Santé Canada a simplement analysé l’additif en se basant sur des données scientifiques qui n’étaient pas connues au moment de l’évaluation européenne, explique-t-il.
Ce qui a mis le feu à la poudre
Les questions autour du dioxyde de titane commencent dès 2006, quand le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), classe l’inhalation de la poudre de TiO2 comme cancérigène possible pour l’humain. « Des études montrent une toxicité chez l’animal par inhalation. Mais il n’y a pas d’évidence chez l’humain », nuance Ciprian Mihai Cirtiu.
Au Québec, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) prend acte de la classification du TiO2 par le CIRC, et des mesures sont imposées pour réduire les risques d’intoxication par voie respiratoire des travailleurs.
En 2017, une étude sur la toxicité du TiO2 par ingestion, menée par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique, en France, alerte l’Autorité européenne de sécurité des aliments. L’étude en question montre que des rats auxquels on donne à boire de l’eau contenant du TiO2 se retrouvent avec des foyers prétumoraux dans les intestins.
En 2020 puis en 2021, deux études dirigées par l’institut de santé belge Sciensano soulèvent par ailleurs de nouveaux doutes au sujet cette fois de la taille des particules de TiO2 utilisées comme additifs alimentaires. Pour offrir des propriétés intéressantes à titre de colorant, les particules doivent avoir une taille de 200 à 300 nanomètres (nm). Les analyses montrent toutefois que 30 % de ces particules ont une taille inférieure à 100 nm et tombent dans le domaine des nanoparticules. Or, à l’échelle nanométrique, les matériaux changent de propriétés et on connaît mal leurs interactions avec le corps humain.
C’est tout cela, particulièrement le risque cancérigène, qui a mené à s’interroger sur la toxicité du TiO2 par ingestion et son utilisation dans l’alimentation.
Cancérigène dans la bouffe ?
« On ne peut pas conclure que si une particule est toxique par voie respiratoire, elle est forcément toxique par voie alimentaire, explique Ciprian Mihai Cirtiu. Les risques ne sont pas les mêmes parce que les particules de TiO2 ne sont pas dans le même environnement. Dans l’estomac, elles vont interagir avec la nourriture, avec le liquide gastrique. Ça change les propriétés des particules et donc leur toxicité. »
« Il faut essayer de produire des conditions expérimentales qui miment le plus possible les conditions réelles d’exposition », dit le conseiller scientifique.
C’est justement une faille repérée par Santé Canada dans l’étude française de 2017, souligne Saji George, professeur agrégé à l’Université McGill et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nanotechnologies durables en alimentation et en agriculture : « Les rats ont été nourris avec du TiO2 nu alors que dans les aliments, il est combiné à d’autres molécules. Cela ne représente pas les conditions réelles de la digestion. La principale raison pour laquelle Santé Canada a rejeté cette étude est qu’aucun autre laboratoire n’a réussi à la reproduire et à obtenir les mêmes résultats », précise le professeur.
Pour évaluer les risques posés par cet additif alimentaire, Santé Canada a préféré se baser, par exemple, sur des études italienne et américaine où le dioxyde de titane était mélangé à de la nourriture et non simplement ajouté à de l’eau. Ces études montrent qu’en présence d’aliments, le TiO2 est entouré d’une couronne de particules alimentaires qui limitent ses interactions avec les cellules et les tissus et en réduisent la toxicité. Ciprian Mihai Cirtiu travaille justement à développer des techniques d’analyse du TiO2 dans les tissus biologiques à son laboratoire de l’INSPQ.
Santé Canada reconnaît que des incertitudes persistent et n’écarte pas la possibilité de revoir ses conclusions à la lumière de nouvelles études.
La question de l’utilisation massive du dioxyde de titane dont une fraction se trouve sous
forme nano s’est posée de façon aigüe au cours des dernières années. En effet, cet additif E
171 est très largement utilisé comme colorant blanc dans de nombreux produits agroalimentaires largement distribués, en particulier les bonbons, sucreries et gâteaux à
destination des enfants. Des publications récentes montrent que la fraction nanométrique de
cet additif est susceptible de pénétrer la barrière intestinale et qu’elle y induit une réponse
inflammatoire chez le rat (Bettini et al. 2017; Dorier et al. 2017; Radziwill-Bienkowska et al.
2018). Cela signifie que ces NP ont passé la barrière intestinale et on les retrouve au niveau
du foie et de la rate. Le mécanisme le plus probable est celui de l’absorption par les cellules M
des plaques de Peyer (agrégats lymphoïdes de l’intestin grêle). Les nanoparticules sont
absorbées de façon différente selon leur charge et leur liposolubilité. Le CPP se félicite de
l’interdiction du colorant E171 (Anses 2019), considérant que le colorant E171 n’a pas de
qualité nutritive propre, voire induit une certaine forme d’appétence pour les aliments sucrés
aux effets délétères sur la santé et parait susceptible de produire des réponses inflammatoires,
il était raisonnable d’invoquer le principe de précaution pour ses utilisations alimentaires,
notamment pour les produits à destination des enfants.
Source : Comité de prévention et de précaution, Nanotechnologie- Nanopaticules : Quels dangers, quels risques?, 2020, p28.
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/CPP%20-%20Nanotechnologie%20Nanoparticules.pdf
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Plusieurs troubles et maladies suspectés
« En raison de leurs petites dimensions, les nanoparticules peuvent traverser différentes barrières physiologiques, comme celle séparant le cerveau de la circulation sanguine (barrière hémato-encéphalique), la peau ou le placenta qui protège le fœtus, et ainsi se répartir dans l’organisme », éclaire Aurélie Niaudet, ingénieure chimiste à la Direction d’évaluation des risques de l’Anses, une agence nationale chargée de s’assurer de la sécurité sanitaire de l’alimentation, et qui a publié en 2020 un rapport consacré aux « Nanomatériaux dans les produits destinés à l’alimentation2 ». Que sait-on à ce jour des potentiels dangers sanitaires ? « Plusieurs études chez l’animal indiquent que certaines nanoparticules peuvent s’accumuler dans différents organes et avoir plusieurs conséquences, dont notamment des retards de croissance, des anomalies dans le développement, des allergies, des effets délétères sur le système nerveux ou encore des cancers », synthétise Aurélie Niaudet. Par exemple concernant le dioxyde de titane (additif E171), destiné à donner une couleur blanche aux viennoiseries et confiseries, une étude sur le rat3 publiée en 2017 par des chercheurs franco-luxembourgeois a montré qu’une exposition orale chronique à ce composé a pu induire des lésions précancéreuses dans le côlon, chez 40 % des animaux exposés. Cela a conduit à son interdiction en France dès 2020, puis en Europe depuis janvier 2022.
https://lejournal.cnrs.fr/articles/ce-que-les-nanoparticules-font-a-nos-cellules
Je suis perplexe quand on invoque qu’une étude controversée n’a pas été reproduite. Qui s’amuse à reproduire intégralement les études des autres surtout quand le financement et les ressources humaines ne sont pas au rendez-vous? On doit attendre combien d’années pour qu’un volontaire (avec une réputation et de bons contacts) se manifeste? On peut s’amuser à comparer des études qui ont été publiées, mais que dire des études avortées ou tablettées par le commanditaire et dont on a aucune trace?