L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.
Ah, le café matinal, quel bonheur ! Si vous en buvez, vous savez à quel point c’est bon et comme ça fait du bien. Même si, j’en suis conscient, ce sont là les propos d’un drogué : offrez une gorgée de café à un enfant et il n’appréciera sans doute pas son goût amer. Mais le cerveau finit par se convaincre que la consommation de cette boisson chaude correspond à un moment de volupté.
Pour ma part, je donne dans le cappuccino, avec des grains fraîchement moulus et un peu de lait chauffé, déposé en mousse. J’y vais modérément : une ou deux tasses me suffisent, sauf les jours où j’enseigne. Je peux alors en enfiler trois ou quatre, question de rester bien dynamique toute la journée.
Le café remplit de bonheur ses adeptes, mais puisque j’écris ici une chronique médicale, le plus important, c’est qu’il s’agit, à ma connaissance, de la seule drogue largement favorable à la santé — ce qui est formidable. Non seulement il ne cause pas de tort, mais son effet est vraiment bénéfique.
Le café et la santé
Si vous pensez que le café est un sujet marginal en médecine, sachez qu’au moment d’écrire ces lignes, on recensait déjà 570 nouvelles publications portant sur ses effets sur la santé depuis le début de l’année 2022 ! Et certaines nous éclairent très bien sur ses bénéfices.
Notons en particulier cette vaste étude réalisée au Royaume-Uni avec 468 629 personnes âgées en moyenne de 56 ans, suivies pendant 11 ans. Pour une « dose » allant d’un demi-café à trois tasses par jour, les chercheurs ont constaté une association avec une baisse de la mortalité et des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Concrètement, cela correspond à un décès de moins sur huit, toutes causes confondues, ainsi qu’à un décès cardiaque de moins sur sept et à un AVC de moins sur cinq. Et quand on parle de « décès cardiaque », il s’agit habituellement d’une crise cardiaque.
Ça ne dit pas que le café est nécessairement la cause de cette baisse, mais ça pointe dans cette direction, comme de nombreuses autres études du genre.
Ce résultat est supérieur à ceux obtenus avec beaucoup de médicaments servant à soigner les problèmes cardiaques. Mais une révélation encore plus étonnante et contre-intuitive concerne cependant l’effet favorable du café sur le rythme cardiaque constaté dans diverses autres études.
Voyons voir. Le cœur est une pompe électrique nourrie par le sang qu’apportent les artères coronaires. À chaque pulsation, il envoie dans l’aorte du sang qui sera ensuite distribué à tous les organes.
Le café est un stimulant qui a en général pour effet d’accélérer le rythme du cœur au repos, surtout lorsqu’on en consomme à fortes doses. Pour cette raison, il peut donner la sensation que le cœur a tendance à s’emballer après deux ou trois espressos.
Mais ce qui est paradoxal, c’est que le café est associé à une baisse du risque d’arythmies — des rythmes anormaux — en diminuant notablement l’incidence de certaines et en ayant un effet neutre sur d’autres.
Réduction du risque de fibrillation auriculaire
Le café pourrait en effet protéger contre une des arythmies les plus fréquentes, qu’on appelle la fibrillation auriculaire, une désorganisation de l’électricité des oreillettes (deux des quatre cavités cardiaques) qui cause une accélération irrégulière du cœur et provoque jusqu’à 20 % des AVC, parce que des caillots peuvent alors se former dans les oreillettes.
Bien qu’on trouve parfois ce type d’arythmie chez les plus jeunes, c’est surtout un problème habituellement associé à l’âge, qui requiert dans bien des cas la prise à vie d’anticoagulants (pour éclaircir le sang et prévenir les caillots) et d’autres médicaments pour ralentir le cœur.
Or, on s’est rendu compte que le fait de boire du café, même s’il s’agit d’un stimulant, est associé à une baisse marquée du risque de souffrir de fibrillation auriculaire. L’effet serait proportionnel à la quantité de caféine, puisque le risque de fibrillation diminue de 1 personne sur 10 en général à 1 sur 50 pour les consommateurs de « doses » de caféine de plus en plus fortes.
D’autres effets favorables
Le café pourrait aussi protéger contre la maladie d’Alzheimer et d’autres démences, du moins en consommation légère à modérée, pas en consommation excessive (plus de quatre tasses par jour).
Par ailleurs, la caféine fait partie des substances qui aident à dilater les bronches, ce qui pourrait être bénéfique pour les asthmatiques. Une analyse des données disponibles publiée il y a quelques années avait montré un petit effet favorable.
Le café possède même des vertus analgésiques. Plusieurs études ont montré que l’ajout de caféine à l’analgésie courante (des médicaments comme l’ibuprophène, par exemple) pouvait diminuer la douleur ressentie. Son effet antimigraineux est toutefois moins certain.
Le café pourrait aussi agir favorablement sur le diabète : il protégerait les reins contre leur perte de fonction provoquée par cette maladie.
D’autres études ont révélé que sa consommation pourrait entre autres prévenir les calculs rénaux et avoir un certain effet préventif contre le cancer du rein.
Des risques ?
Il va sans dire que ceux qui tolèrent mal le café ne devraient pas se forcer à en boire.
Chez certaines personnes, cette boisson cause des effets secondaires, comme des palpitations. D’autres auront parfois des symptômes digestifs tels que du reflux acide, mais l’association n’est pas clairement démontrée.
Par ailleurs, on semble avoir trouvé un lien entre la consommation de café et l’arthrite rhumatoïde, une tasse de café de plus par jour pouvant augmenter de quelque 6 % le risque de souffrir de ce type d’arthrite, qui demeure bien plus rare que les problèmes cardiaques mentionnés plus haut.
Si ce chiffre vous effraie, sachez qu’en absolu, cela représente environ 1 cas d’arthrite de plus pour 16 666 buveurs de café, alors qu’on parle de 1 décès de moins pour 8 consommateurs de café. Bref, boire du café pourrait avoir 2 000 fois plus de chances de vous sauver la vie que de vous donner l’arthrite rhumatoïde.
Cette boisson diminuerait également, de manière notable, le risque de souffrir d’un autre problème causant souvent l’arthrite, la goutte. Elle pourrait par contre, en cas de consommation excessive, entraîner une légère hausse du risque de fracture de la hanche, mais pas de l’ostéoporose.
Et alors qu’on a longtemps pensé que la consommation de café augmentait le risque de cancer de l’estomac, une vaste analyse de 2022 ne semble pas avoir constaté cet effet… sauf peut-être chez nos voisins du Sud, seul endroit où le risque était à la hausse (de l’ordre d’un cancer de plus par tranche de cinq cancers de l’estomac). Et chez nous ? Je n’ai pas trouvé de données. Pour ma part, je ne bois pas de « café américain », même si rien ne dit que c’est lié.
De manière plus générale, la consommation de café n’aurait pas de lien avec les cancers, malgré un effet protecteur probable pour le cancer de l’endomètre chez la femme et le cancer du foie.
Une drogue, et puis ?
Certains croient que le café n’est pas une drogue, puisqu’il pose peu de risques pour la santé et n’entraîne pas de sevrage intense. D’autres le considèrent toutefois ainsi parce qu’il en a plusieurs caractéristiques : il stimule le système nerveux, il est associé à un phénomène de tolérance (augmentation graduelle des doses pour obtenir le même effet), il peut causer une intoxication et il engendre un certain sevrage.
Voilà plusieurs années, j’en abusais un peu, surtout durant mes quarts de soir à l’urgence, sans doute parce que je travaillais trop fort et que j’en avais besoin pour me sentir en pleine forme. Voulant tester la vie sans café, j’avais décidé d’en interrompre la consommation au début de mes vacances d’été.
Bien mal m’en prit : durant plus d’une semaine, j’ai filé de travers, ayant pas mal de maux de tête et une humeur plus maussade que d’habitude, comme bien des gens qui arrêtent subitement de boire du café.
Puis les choses se sont replacées et j’ai remarqué, à mon retour de vacances, que travailler sans café ne me fatiguait plus autant. J’ai donc persisté dans mon abstinence, bien fier de raconter à gauche et à droite que j’avais réussi à en interrompre la consommation. Mieux, mes quarts de soir se déroulaient maintenant très bien sans cette boisson.
J’allais continuer ainsi jusqu’à ce que, en 2017, je révise les données scientifiques sur la question pour l’écriture de mon livre Désordonnances. J’ai alors découvert avec étonnement plusieurs des vertus du café, et suis retombé dans cette (relative) dépendance sans aucune arrière-pensée, dorénavant convaincu que c’était bien un choix santé.
On en boit ou pas ?
Chose certaine, si vous buvez déjà du café en quantité légère à modérée, comme moi, vous n’avez pas beaucoup de raisons de cesser. Vous avez même généralement intérêt à continuer, parce qu’il pourrait protéger contre les risques des problèmes graves et fréquents que sont les arythmies cardiaques, les crises cardiaques, les AVC et les démences, en plus de prévenir une foule d’autres problèmes.
Les effets secondaires sont limités, mais mentionnons tout de même que si vous êtes à risque pour une fracture de la hanche (petit poids, immobilité, histoire familiale ou personnelle, fractures, etc.), il pourrait être préférable d’éviter le café ou du moins de ne pas trop en boire.
Pour ce qui est des mécanismes d’action, ils demeurent incertains, quoique plusieurs molécules présentes dans le café possèdent des propriétés antioxydantes, ce qui pourrait expliquer un effet protecteur sur plusieurs tissus en diminuant le niveau d’inflammation.
Quant à moi, il ne me viendra certainement plus à l’idée de cesser ma consommation raisonnable de la divine boisson, ce que je suggère aussi à mes patients.
Qui pourrait dire le contraire un dimanche matin en sirotant son premier — voire son deuxième — café ? Pas moi en tout cas !
Note
La version originale de cet article a été modifiée le 6 mai pour tenir compte du fait qu’une consommation excessive de caféine peut faire augmenter le risque de fracture de la hanche (et non d’ostéoporose).
On doit se demander si les liens statistiques qui associent meilleure santé et moindre risque de mortalité à la consommation de café indiquent véritablement une relation de cause à effet.
La plupart des gens aiment le café ou le thé. Pourquoi certaines personnes préfèrent-elles ne pas en boire ? Peut-être que ce sont des gens nerveux ou qui tolèrent mal le stress ou dont le sommeil a été perturbé quand ils ont essayé d’en boire. Leur relative fragilité pourrait être la cause de leur rejet de la caféine et de leur plus grand risque de faire un AVC ou autre problème de santé. Le risque accru de subir certaines maux et la consommation de caféine seraient deux effets d’une même cause et non pas l’effet et la cause.
Pour faire la preuve de l’action bienfaisante du café, il faudrait que des gens voient leur santé s’améliorer quand ils se mettent à consommer du café, après quelques années sans en boire. Les abstinents du café ayant fait un AVC réduisent-ils le risque d’en faire un autre s’ils se mettent à boire du café ?
En effet, comme je l’ai mentionné dans le texte. Pour démontrer une causalité, ça prend en général une étude prospective (en temps réel) et randomisée (au hasard) ou du moins qui tient compte dans le détail des nombreuses variables de l’état de santé.
En fait, la presque totalité des données portant sur l’alimentation indique les liens d’associations, et non de causalité, même s’il est possible et souvent plausible que de tels liens de causalité existent réellement. Ce sont les meilleures données disponibles.
Merci de me donner Bonne conscience vis à vis de cette addiction vénielle…. J’avais des problèmes de dépendance au café filtre mais je supporte bien mieux la carence de café depuis que je bois de l’espresso On parlait du contact aqueux à une certaine époque pour expliquer cela. Est-ce fondé? Par ailleurs une tasse de café correspond à quelle quantité ? Difficile d’évaluer ma consommation sans cette donnée.
Je suis aussi un buveux d’expresso. La principale raison de la différence des effets est qu’il y a 2 à 3 fois moins de caféine dans un expresso, contrairement à la croyance populaire. Bon café!
Est-ce la caféine qui agit comme agent protecteur ? J’aimerais savoir si le thé et le café décaféiné ont les mêmes propriétés positives que le café standard.
Question intéressante. Est-ce la caféine du thé ou du café ou d’autres substances qui seraient bienfaisantes ? Quelles seraient ces substances autres ? Qu’est-ce que le café ou le thé ont en commun sinon la caféine ?
Cela dit votre formulation n’est pas rigoureuse. Vous parlez des propriétés positives du café. Hors cela n’est pas démontré. Seulement un lien statistique qui pourrait s’expliquer par le fait que les gens qui sont en meilleure santé aiment plus le café que les gens en moins bonne santé.
Bonjour Dr Vadeboncoeur,
Je suis allée jeter un coup d’oeil à l’abstract de l’article que vous avez cité en ce qui concerne le lien entre la caféine et l’ostéoporose et je crois comprendre que la consommation élevée de café serait liée à une plus faible incidence d’ostéoporose et non plus élevée : «High versus low coffee consumption was associated with a lower risk of osteoporosis» ou peut-être quelque chose m’échappe dans la façon dont les résultats sont présentés dans un article scientifique ? C’est vrai qu’on s’attendrait plutôt au contraire.
Le sujet m’intéresse, il y a de l’ostéoporose dans ma famille et je suis en attente de mon résultat d’ostéodensitométrie – glup!
Surtout, merci pour cet article très intéressant!
Vous avez bien raison. J’ai inversé deux affirmations de l’article, qui parle du risque de fracture de hanche (qui augmente en cas de consommation élevée) et d’ostéoporose (qui n’augmente paradoxalement pas). Je vais ajuster le texte. Merci! (et tant mieux, une raison de plus d’en boire).