Le monde vu de biais

Le Dr Vadeboncœur se demande à quel point notre vision de la réalité est juste, notamment en ce qui concerne notre système de santé.

Photo: Daphné Caron

La journaliste Isabelle Porter rapportait dans Le Devoir que « la réforme Barrette [avait] causé des irritants bien particuliers dans certains coins du Québec », tout en concluant que les pertes de services alléguées n’avaient pas été documentées par les groupes dénonciateurs, sauf dans une des cinq régions mentionnées. Cet article nuancé permet d’illustrer une question qui me tracasse depuis longtemps : jusqu’à quel point notre représentation du monde est-elle fidèle à la réalité, par exemple quand on parle du réseau de la santé ?

Avec nos cinq sens, il faut admettre que nous manquons de moyens pour en prendre connaissance, devant dès lors nous en remettre à des intermédiaires — radio, télé, journaux, livres, magazines, réseaux sociaux, conférenciers, enseignants ou personnes de notre entourage — pour y voir plus clair. Mais après la lecture d’un article de ce genre, rapportant de manière équilibrée les propos de gens crédibles, je suis malgré tout incapable de savoir si la perte de services est réelle ou non.

En particulier, je ne peux exclure qu’on nous présente une vision partiale de la réalité, basée sur un échantillon insuffisant et mal balancé de témoins, et surtout, manquant de faits quantifiables. En science, on parlerait de « biais », dans le sens d’une « distorsion systématique » d’un échantillon — qui est la partie d’un tout. Et comme ce type d’analyse repose entre autres sur l’utilisation raisonnée d’un tel échantillon, toute distorsion compromet le jugement porté sur l’ensemble.

Quand il s’agit de démontrer l’efficacité d’un médicament, on l’administre à la moitié d’un groupe de patients, en comparant l’effet avec celui d’un placébo donné à l’autre moitié, les participants étant répartis de manière aléatoire pour éviter, justement, de biaiser les résultats. Si une différence relevée répond à certains critères statistiques, on conclut qu’elle est probablement due au médicament — donc réelle — plutôt qu’à l’effet du hasard. Mais tout biais important peut également expliquer la différence constatée.

Chaque fois que je lis les grands titres à propos du réseau de la santé, je suis à même de constater la distance par rapport au terrain, où les choses fonctionnent tout de même adéquatement, même si rien n’est parfait.

De même, si nous omettons de prendre en compte les biais potentiels des informations consultées, les conclusions que nous en tirerons risquent d’être tout aussi erronées, ce qui est vrai pour n’importe quel domaine. Mais nous pouvons difficilement mener des expériences tous les matins pour mieux comprendre le monde.

Or, chaque fois que je lis les grands titres, souvent très négatifs, à propos du réseau de la santé, je suis à même de constater la distance par rapport au terrain, que je connais bien, où les choses fonctionnent tout de même adéquatement, de mon propre point de vue — tout aussi subjectif —, même si rien n’est parfait.

Pour ce qui est des conséquences de la réforme Barrette, nous en savons encore peu de choses, même si nous avons quelques raisons de craindre bien des dérives. Au mieux, les échos qui nous en parviennent soulèvent d’inquiétantes hypothèses, même si chaque intervenant — patient, syndicat, gouvernement, professionnel, médecin — défend alors son point de vue, influencé par des intérêts parfois divergents.

Quant au traitement médiatique de ces interventions publiques ou privées, la dynamique actuelle n’aide en rien. La pression de visibilité à l’ère des médias sociaux favorise les titres intenses ; les chroniqueurs ont intérêt à proposer des idées-chocs, surtout s’ils sont payés au clic ; à l’inverse, les journalistes montrant patiemment deux côtés d’une médaille ne feront pas nécessairement la une, surtout s’ils s’attardent à décrire ce qui va plutôt bien. Bref, pour plusieurs raisons, l’époque actuelle n’aide pas à la nuance et pousse à noircir l’interprétation de la réalité.

Même si c’est bien la mission des médias de dénoncer les problèmes, il faut être conscient que les titres accrocheurs, les éditoriaux-chocs et les nouvelles fatalistes construisent peu à peu une perception du monde souvent éloignée de la réalité. Il n’est pas étonnant qu’il soit difficile de juger correctement des choses et de proposer en retour des solutions appropriées, par exemple pour notre système de santé, quand nous en sommes réduits à réfléchir à ces questions complexes en utilisant des loupes déformantes.

S’assurer que les biais interviennent le moins possible dans les faits et analyses qu’on nous présente, par analogie avec ce que la science recherche en travaillant consciemment à leur élimination, est malgré tout un immense défi, qu’il faudra bien un jour relever adéquatement pour continuer d’avancer.

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Dr Vadeboncoeur, faut se demander, entre autre, pkoi la RAMQ, qui a maintenant 50 ans, ne sonde pas les patients/clients ? Aussi, pkoi les médias ne publient pas souvent des comparatifs avec les organisations de santé ailleurs ? On n’investit définitivement pas à la hauteur du 50% que représente la santé dans notre budget provincial afin d’en évaluer sa performance et de mieux orienter les investissements, trop souvent à la saveur du jour ou des négos avec ses intervenants. Comme patient, j’ai hâte de me sentir traité comme un client. Et je ne mets pas en doute la compétence du corps médical, mais je me questionne sur celle de ses gestionnaires. Dr Barrette a beau dire que les patients ne sont pas des boites, mais il aurait intérêt à écouter et analyser un peu les compétences de gestions utilisées dans d’autres secteurs d’activités. Bien gérer le budget de 30B$+, pourrait générer des efficacités et économies importantes. Espérons que cela viendra appuyer les besoins en hausse des patients/clients. Poursuivez vos articles intéressants

Je suis en total désaccord avec vous : je ne veux pas me sentir un client ni comme une boîte quand je me fais soigner, mais comme un être humain et par des êtres humains.

Merci pour cet article sobre, qui explique la réalité dans sa complexité au lieu de dénoncer superficiellement. Vous pointez les clics et les titres accrocheurs avec raison je crois. Les médias sociaux sont encore au prise avec de piètres indicateurs de performance qui mesurent la quantité sans attention à la qualité. Je vous ai lu et j’ai même répondu par un long commentaire cohérent, ça devrait compter beaucoup plus qu’un clic.

Mais il est où le problème?
Je sais que ce n’est pas le personnel médical car il est très compétent. Si vous parvenez à vous faire soigner, on est entre bonne mains. C,est pour se faire admettre que ce situe le problème.
Je crois qu’il y a trop de gestionnaires i.e. un grande majorité de ces gestionnaires étaient comme on dit; de l’autre côté de la clôture. Donc on doit les remplacer par du nouveau personnel (professionnels de la santé). Disons que ce n’est peut-être pas trop stimulant pour les jeunes de s’enligner vers les soins de la santé lorsque l’on constate ce qui se passe dans le système.
Prendre 13 heures à l’urgence pour traiter ou un suivi d’un code 5, ce n’est pas normal. Oui si c’est un cas grave c’est rapide mais il reste quand même que si ce n’est pas un cas de mort, il demeure que la personne aimerait connaitre la raison de son inconfort, des symptômes qui l’affligent. Aller voir son médecin de famille; 3 à 4 semaines d’attente et ça c’est quand nous avons un médecin de famille! Les CSLC devaient agir ou avoir le mandat de remplacement du moins désengorger des urgences. Disons que le mandat est lui d’être ça en ce moment. Tu t’es fais suturer une plaie et tu dois présenter une ordonnance médicale afin que l’on te les enlèvent.
Ce qui est encore plus inquiétant; le vieillissement de la population qui va exiger encore plus du système de la santé! Imaginez faire attendre 13 heures dans un fauteuil à l’urgence une personne âgée de 80 ans qui souffre de….
Pourquoi n’utiliserait-on pas plus le personnel ayant des compétences ex: donner plus de pouvoirs aux infirmières praticiennes (comme dans les autres provinces) aux pharmaciens etc. Je crois sincèrement que l’association des médecins n’accepterait pas pour la seule et unique raison qu’elle perdrait un monopole!
Le système de la santé est malade, les médecins, les infirmiers(ères) tombent en burn-out et ce n’est pas pour rien. Il y a trop de mauvaise administration.

SYNTHÈSE PONDÉRÉE
Les médecins donnent de bons services : oui.
Tout ne va pas si mal : non, tout ne va pas si mal.
En avons-nous pour notre argent : en d’autres termes, payons-nous trop cher et sommes-nous entrés dans une escalade des coûts, tenant compte de l’augmentation des besoins? Nous payons trop cher et il y a escalade des coûts.
La rémunération des médecins et spécialistes est-elle le seul facteur? Non.
La rémunération des médecins et spécialistes est-elle un facteur : oui!
Cette étude sérieuse de l’Iris fournit des données probantes à considérer :
https://cdn.iris-recherche.qc.ca/uploads/publication/file/Re_mune_ration_des_me_decins_WEB_02.pdf
Incidemment, on entend moins parler du pactole récolté lors de la dernière négo….

En lisant cet article, je me demande vraiment comment on peut en venir (encore) à presque banaliser les effets tangibles de la réforme Barrette… Je ne peux m’empêcher de penser aussi que l’auteur fait partie de cette classe privilégiée de la Santé qui a eu droit à des augmentations de salaire incroyables (bonis, primes de toutes sortes, etc.), dans un contexte de restriction budgétaire… Je ne peux m’empêcher de penser aussi que celui qui est à la tête de la Santé est aussi médecin…
Excusez-moi, mais le manque de services et de personnel soignant ne sont pas seulement l’effet circonstanciel d’une seule année (par contre, je crois vraiment qu’il y a présentement pénurie de personnel soignant )… Je crois que c’est une culture qui s’est construite depuis bien plus d’une décennie! Depuis que je suis infirmier au Soutien à domicile (2000), il a toujours été question de budget, de coupures et de moyens d’en faire plus avec moins : avec pour effet d’augmenter la charge de travail de ceux et celles qui prodiguent les soins (avec les effets néfastes que l’on connaît pour leur santé physique et mentale). Le problème d’aujourd’hui est aussi une accumulation de contraintes budgétaires récurrentes et dėmoralisantes… Quand c’est l’argent qui mène, on oublie parfois pourquoi l’on soigne…

Nous sommes dans une société où les « irritants » ne font pas qu’agacer… ils « brûlent » littéralement! C’est la somme de ces inconforts, qui, faute de tolérance ou de non- connaissance, qui font la manchette! Aller expliquer à un « impatient » dans une salle d’urgence(qui soupire depuis plus de 10 heures avec un pouce meurtri) pourquoi il attend autant… Faites-lui un tableau sommaire des « cas » graves derrière votre mur, ne lui procurera pas plus d’empathie de la situation, malheureusement…

Mon parcours hospitalier.

Ce sera anecdotique.

1992 : Hémiparésie sévère droite avec une attente longue à Maisonneuve-Rosemont sans hospitalisation, retour à la maison pour cause de migraine compliquée possible. Retour à l’hôpital deux jours plus tard, longue attente, admission, hospitalisation d’une semaine, retour à domicile. Durée de l’hémiparésie à domicile : un mois.

1997 : Hémiplégie totale gauche. Admission sans aucune attente à St-Luc. Hospitalisation de deux mois à St-Luc et IRM. Tout réapprendre.

2013 : Hémiplégies droite et un peu à gauche (hémiparésie). Admission encore plus rapide à St-Luc et Notre-Dame. Hospitalisation de juillet à octobre 2013 à Notre-Dame et IRGLM. Tout réapprendre : respirer, parler, écrire, marcher, etc

Que déduire de ces trois anecdotes, sans égards aux différents changements social, politique, financier, de personnels, etc ?

Mon parcours hospitalier, toutes choses n’étant pas nécessairement égales, et pour d’autres choses, elles le sont … égales (!), est idem à celui du journaliste français Philippe Lançon, victime de l’attentat de Charlie-Hebdo. Des soins exemplaires !

Je l’ai déjà écrit ici. J’ai eu une meilleure prise en charge, sans conteste, en 2013 !

Qu’en déduire ?

M. Pascal,
Bienvenu dans un monde médical où les patients sont des valeurs de labo. Où les médecins dans le doute se rabattent sur le par coeur d’un savoir 10 ans en retard sur la science enseigné à l’école.

Bonsoir,
Peut-être que les effets sont plus nuancés dans les grands centres urbains ayant plus de ressources, mais je peux vous assurer que ce que j’ai vécu cet hiver à l’hôpital de Hull, vs ce que j’ai vécu suite à mon transfert à l’hôpital d’Ottawa, c’est d’être passée du tiers monde à un hôpital selon les normes occidentales attendues. Est-ce causé par les coupures ou le virage ambulatoire? Je ne saurais dire cependant, mais a Hull, les choses ne se sont définitivement pas améliorées.

D’accord avec ceux et celles qui disent qu’on est bien traites par les professionnels de la sante.
C’est l’administration de la sante qui est malade. Diagnostic: embonpoint.
Deux exemples:
Le CRDS (centre de repartition des demandes de services) telephone 3 fois en une semaine pour demander si la demande de rendez-vous faite par un generaliste 1 an plus tot est toujours d’actualite. Et il faudra encore 3 appels avant un rendez-vous avec le specialiste qui a opere la patiente. Car voila, le dernier rendez-vous remontait a plus de 2 ans.
Un generaliste prend sa retraite en juin 2018. Consciencieux il invite sa patiente a s’inscrire sur la liste des patients orphelins en septembre 2017, ce qui est promptement fait. Dans l’arrondissement de la patiente, le delai d’attente est en moyenne de 203 jours. Plus de 300 jours plus tard la patiente est toujours orpheline. Des appels dans differentes cliniques font ressortir que certains medecins prennent de nouveaux patients mais seulement en pigeant dans la banque de patients orphelins.
Enlevez 2 epaisseurs de l’adipeuse administration et tout le monde s’en portera bien mieux.

Votre billet soulève plusieurs questionnements. Étant un acteur très impliqué à plusieurs titres depuis presque 40 ans, je suis à l’aise de dire que la population a une vue partielle de tout ce qui se passe dans les établissements de santé et dans le réseau, généralement informé de ce qui est percutant et sensationnel. Rien de vraiment faux, mais de par sa complexité, les nuances et explications cruciales se prêtent mal aux règles de communication des réseaux sociaux et des médias, qui laissent peu de place aux explications élaborées.
Le Ministère de la santé contribue à cette réalité en préférant réagir précipitamment à toute allégation avérée du public, mais ignorant souvent les nombreux rapports préoccupants tout à fait authentiques d’acteurs du terrain qui vivent plusieurs situations inadmissibles au quotidien.
Mais ne nous méprenons pas : l’essentiel des soins est dispensé avec qualité et professionnalisme, malgré l’essoufflement des troupes

Le client du système de santé c’est le patient. Pourquoi le patient ne peut pas donner son point de vue? Chez IBM dans les années 1990 chaque département était muni d’une boîte à solution permettant aux employés de fournir une courte proposition pour améliorer l’efficacité des processus. Pourquoi le patient ne pourrait-il pas fournir des commentaires et des propositions de solutions selon son expérience.

Les médias tentent de prendre en charge l’opinion du publique et de nous dire ce qu’on pense. Les dirigeants comme Barette tente de prendre contrôle pour forcer des changements qu’ils croientêtre les meilleurs. Le système de santé avec tous les ordres professionels tentent de faire croire qu’ils connaissent leur job et qu’ils sont les seuls à pouvoir livrer le travail. Mais au bout du compte, c’est le patient qui doit être en charge de sa santé et c’est le patient qui reçoit un service souvent mal adapté à sa propre réalité individuelle. Il serait temps de prendre en compte le point de vue des patients.

Ce n’est pas une question d’arriver à un consensus à partir de toutes les optinions. Il s,agit de rendre le système suffisamment flexibles pour répondre aux besoins multiples et variés des patients et d’aider les patients à passer à travers le système de santé plus rapidement pour recevoir les services dont il a besoin pour prendre en charge sa santé à lui. Au final ce n’est pas le médecin ou l’infirmière qui va aider 95% de la population à être en santé, ce sont tous les patients individuellement.