Le progrès à l’arrêt

L’aventure humaine n’est pas un périple en ligne droite. C’est plutôt une galère pendant laquelle, parfois, l’humanité recule. Sommes-nous à cette étape en 2022 ?

Photo : Antoine Bordeleau pour L’actualité

J’étais aux études supérieures à l’Université Laval lorsque j’ai eu le privilège d’assister à une conférence d’Hubert Reeves, le célèbre astrophysicien et vulgarisateur scientifique québécois. Pendant près d’une heure, ce grand savant nous a parlé de l’Univers, de la vie, d’environnement et d’écologie. Il était aussi sublime dans ses mots et sa présence que l’avait présagé sa réputation. Force est de croire qu’il a laissé son empreinte, car je me souviens toujours de cette conférence plusieurs décennies plus tard.

Un passage de son discours m’a particulièrement marqué. Il expliquait que l’évolution humaine et le progrès scientifique ne suivent pas une courbe linéaire. L’humanité s’est égarée dans les ténèbres à maintes reprises avant de reprendre la route du progrès. Je le cite : « Si ce n’était la chute de l’Empire romain, l’humain aurait probablement découvert l’atome en l’an 1000 ! »

L’an 1000 ?

La réelle découverte de l’atome date du début du XXe siècle, soit presque 1 000 ans plus tard, alors déjà à l’époque cette phrase me semblait une hyperbole. Mes connaissances limitées en histoire de l’Antiquité ne me permettaient pas de juger de la véracité de cette hypothèse, mais qu’importe, l’image était là : le progrès n’est pas linéaire.

Parfois, l’humanité trébuche. Et parfois même, elle se casse solidement la gueule.

À court terme, nous avons profité de cette abondance de ressources et de la capacité de notre planète à absorber nos excès, mais les mathématiques sont implacables 

Après la chute de Rome, de vastes régions du monde occidental furent plongées dans diverses teintes de théocratie. La science a été reléguée aux oubliettes, tandis que la philosophie et les arts ont été soumis à la conformité des Saintes Écritures, qui sans surprise variaient d’un territoire à l’autre. Une nouvelle catastrophe d’ampleur planétaire, la peste bubonique du XIVe siècle (aussi appelée la peste noire), a frappé avant que le progrès puisse reprendre une certaine vitesse en Occident. Mais cette grande noirceur remplie de souffrance et de mise à l’arrêt, ou presque, des avancées de la science a fini par céder le pas à la Renaissance, à la révolution scientifique, au siècle des Lumières.

Or, en cette première moitié du XXIe siècle, jamais l’être humain n’a connu une ère aussi prospère et dont la qualité de vie est aussi élevée que présentement. Peu importe ce que croient les sceptiques, les données actuelles nous montrent qu’il n’y a jamais eu une si mince part de gens vivant dans l’extrême pauvreté, que l’espérance de vie de la vaste majorité des pays du monde est toujours en hausse (malgré les soubresauts de l’année pandémique) et que le progrès social continue de se répandre sur la planète.

Si c’est le capitalisme qui a permis de créer toute cette richesse depuis la révolution industrielle, ce sont d’abord les freins au capitalisme qui ont permis d’atteindre, du moins en Occident et dans les autres pays développés, un certain niveau de justice sociale et de qualité de vie pour les gens qui ne font pas partie du 1 % des mieux nantis.

Sauf que ce progrès, surtout depuis les grandes guerres du XXe siècle, repose sur le besoin d’une croissance économique perpétuelle, avec des ressources naturelles qui sont limitées.

À court terme, nous avons profité de cette abondance de ressources et de la capacité de notre planète à absorber nos excès, mais les mathématiques sont implacables : nous ne pouvons plus produire et jeter autant de plastique et de métaux, nous ne pouvons plus émettre autant de carbone dans l’atmosphère, nous ne pouvons plus continuer de vider nos mers et de raser les milieux naturels comme nous l’avons fait pendant trop longtemps. Poursuivre aveuglément sur cette voie serait l’inverse du progrès.

Malheureusement, la pandémie de COVID-19 nous aura enseigné que la solidarité et le sacrifice d’un tant soit peu de confort personnel pour le bien collectif ne sont pas des ressources renouvelables. Nous avons tenu le coup pendant un bout, nous nous sommes lavé les mains et avons porté le masque en public quelques mois. Cette volonté n’aura duré qu’un temps.

De plus, il y a trop d’argent à faire et tellement de votes à gagner à dire à une population essoufflée exactement ce qu’elle veut entendre. La science est là. Les scientifiques sonnent l’alerte depuis des décennies, mais le leadership politique manque cruellement à l’appel.

Certains liront cela et lèveront les yeux au ciel. Un autre alarmiste. Sauf que l’Europe a connu l’été dernier les pires canicules des annales modernes, et ces phénomènes extrêmes sont de plus en plus fréquents. Le mercure a dépassé 40 °C de manière généralisée sur tout le continent, y compris les îles Britanniques.

À cette température, non seulement l’air n’est pas respirable, mais des récoltes entières sont perdues, des sources d’eau potable asséchées, des infrastructures cruciales endommagées. Ç’a été le cas cet été.

Hubert Reeves racontait que le progrès n’est pas linéaire. Qu’il y a des courbes inverses. Nous sommes sur le point de prouver que même l’humain actuel n’est pas à l’abri de cette fâcheuse tendance.

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Ce texte est fascinant.
J’ajouterais d’autres signes inquiétants : les théocraties, la défiance croissante envers la science, même la plus évidente (eh non, la Terre n’est pas plate) , sans oublier les dérives d’une gauche extrémiste qui défend des aberrations (basta les cours de biologie, le sexe est un choix personnel).

Selon Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau plus connu sous le patronyme de Mirabeau, le progrès c’est le : « mouvement en avant de la civilisation vers un état de plus en plus florissant ». Mirabeau est un pur produit du siècle des lumières : juriste, homme politique, homme de science et débauché….

Il est à lui seul, l’expression même des contradictions de l’humanité dans laquelle le progrès n’est jamais qu’une variable dans cette marche en avant des humains sur un minuscule morceau d’univers où la marche en avant est purement théorique puisqu’elle repose sur une capacité de l’humain qui dispose d’une prédisposition à se déplacer limitée sur cette terre, dans le temps et l’espace.

L’évolution des technologies et des sciences qui lui sont rattachées, tout cela a démontré la relative infériorité de l’humain lorsque d’autres corps, l’atome notamment ― auquel fait référence monsieur Fournier -, peuvent se déplacer théoriquement à une toute autre vitesse (celle de la lumière). Lorsque la parole, des images, des électrons peuvent se propager comme l’éclair partout sur tout la planète.

Ce que nous appelons le progrès montre-t-il que ce monde de 2022 est plus florissant que ne l’était le monde voici une centaine d’année ? Ou est-ce seulement L’environnement changeant qui nourrit cette apparence ? Un aspect qui ne peut être alimenté que par toutes sortes de souffrances infligées aux autres.

Cette nuit, je faisais un drôle de rêve dans lequel j’étais un chimpanzé et je me faisais consoler par ma maman chimpanzé qui me faisait comprendre que cette vie humaine que je vis n’était jamais qu’un rêve de chimpanzé. Voilà qui confondrait peut-être la théorie de Darwin.

Le vrai progrès, l’évolution consisteraient alors à plus simplement nous ramener vers notre nature originelle. Mon rêve d’homme pouvant désormais être plus modestement de redevenir singe.

Et si les peuples autochtones avaient raison? Nous, euro-canadiens descendants des colons français voyons le monde d’une façon linéaire, en avant, avec développement à l’appui.

Or, j’ai vécu longtemps en milieu autochtone et j’ai appris que dans leurs cultures, la vie et la perception de l’univers était circulaire et qu’on retournait souvent aux mêmes questions, sans arrêt. Je serais porté à croire que la science, dont M. Reeves est un des plus éloquents représentants, et les Autochtones sont sur la même longueur d’ondes!

Merci Monsieur Fournier, SVP continuez d’écrire, je syntonise aisément vos fréquences ! Vous semblez un peu jeune pour tant de sagesse, mais, pourquoi pas après tout ! J’ai moi aussi assisté à une conférence d’Hubert Reeves dans les années 80, qui a radicalement bousculé toute ma vision du monde. Je l’ai même croisé, un jour, chez Renaud-Bray et suis resté trop estomaqué pour lui dire simplement Merci. J’avais lu Patience dans l’azur… qui m’avait également totalement déstabilisé. Il y a de ces humains qui nous marquent. Bonne continuation !

Cher Monsieur Fournier, j’ai bien peur que nous foncions tête baissée vers un effondrement de notre civilisation basée sur l’idée absurde d’un croissance infinie dans un monde fini et la destruction de la Nature.

Vous et moi, qui avons des formations scientifiques, comprenons que la science pourrait certes nous aider, mais que le salut de l’Humanité passe par la sobriété, le changement de nos habitudes et le partage. Malheureusement nous sommes entourés de « cornucopiens » qui croient en des ressources illimitées et des innovations miraculeuses.

Il n’y a pas de miracle et la recherche scientifique de solutions prend du temps. Aussi science a des limites et la réalité existe. Par exemple, on ne peut produire plus d’énergie avec un kilo de matière au repos que celle permise par la relation découverte par Einstein, E = mc**2. Aussi, la thermodynamique nous enseigne qu’il y a des phénomènes irréversibles, comme un bout de bois calciné, la mort d’un être vivant ou l’épuisement des gisements de pétrole. Vous échappez une tasse, elle se casse, mais vous pouvez toujours rêver que les morceaux se rassembleront tout seuls et retourneront dans votre main! Aussi, à méditer, les arguments scientifiques du physicien Tom Murphy de l’université de Californie à San Diego (http://bit.ly/2Zdm00Q).

Il importe peu que l’on rase une forêt avec un bulldozer à essence ou électrique, le résultat est le même « la Nature est détruite ».

Malgré tout, je garde un « espoir émotif » dans mon « désespoir rationnel » pour continuer à vivre…

Scientifiquement vôtre

Claude COULOMBE

« D’abord ils vous ignorent. Ensuite ils vous ridiculisent. Et après, ils vous attaquent et veulent vous brûler. Mais ensuite, ils vous construisent des monuments. » – Nicholas Klein 1919 (parfois faussement attribué à Gandhi)