
Depuis 40 ans, l’industrie du sucre recourt aux mêmes tactiques de relations publiques que celles qui ont fait le succès des fabricants de tabac, en vue d’échapper à des réglementations qui pourraient limiter la consommation de ce produit omniprésent dans notre alimentation.
Michèle Hozer en fait une démonstration très convaincante dans son documentaire Sugar Coated, qui sera présenté à Montréal, au Cinéma du Parc, le 10 août prochain, et diffusé en français à Canal D cet automne.
La réalisatrice canadienne, qui a remporté un Emmy pour son documentaire Shake Hands with the Devil : The Journey of Romeo Dallaire et qui a vu son documentaire The Inner Life of Glenn Gould être présélectionné aux Oscars, s’appuie sur des sources sérieuses, et le complot qu’elle dénonce est bien documenté.
Sugar Coated est un film à voir, tout autant que l’excellent Marchands de doute, qui mettait au jour des stratégies similaires exploitées par les lobbys climatosceptiques.
La menace sucrée
Déjà, dans les années 1960, des scientifiques s’inquiétaient que la consommation excessive de sucre puisse être une cause importante d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires, en plus d’être à l’origine d’une véritable épidémie de caries dentaires.
Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a même un temps songé à retirer le sucre de sa liste des aliments généralement reconnus comme sécuritaires (generally recognized as safe).
Flairant la menace, l’industrie a alors entrepris de financer d’innombrables études — menées parfois dans des universités prestigieuses, comme Harvard — visant à semer systématiquement le doute sur tout nouveau résultat scientifique incriminant le sucre.
Le documentaire de Michèle Hozer s’appuie en partie sur des documents internes de l’industrie américaine datant de 1959 à 1971, découverts récemment dans une usine désaffectée par la dentiste Cristin Kearns.
En mars dernier, cette chercheure en a publié une analyse très éclairante dans la revue savante PLOS Medicine. Un texte qui montre comment l’industrie a soutenu des programmes de recherche «alternatifs» afin de contrecarrer les plans du gouvernement américain pour éradiquer la carie dentaire.
Pour expliquer l’épidémie d’obésité, l’industrie a aussi réussi à détourner l’attention sur un autre coupable potentiel : le gras.
Résultat : pendant que chercheurs et autorités se sont concentrés sur les effets du cholestérol alimentaire, ainsi que des gras saturés, insaturés ou trans — tentant ainsi de limiter la consommation de «mauvais gras» au profit de «bons gras» —, l’industrie sucrière a réussi à rester sous le radar en déclinant, sous une cinquantaine d’appellations de toutes sortes, des sucres ajoutés dans les produits sans que jamais le mot «sucre» ne figure sur les étiquettes nutritionnelles.
Conflits d’intérêts
Michèle Hozer révèle également l’étendue des conflits d’intérêts qui minent la recherche et la réglementation du sucre depuis 50 ans.
Nommé en 1970 par Richard Nixon à la tête du comité de la FDA chargé d’examiner les corrélations entre le sucre et les maladies, le biochimiste George Irving était président du conseil consultatif scientifique de l’International Sugar Research Foundation (mise sur pied par l’industrie pour défendre ses intérêts).
L‘industrie continue d’avoir le bras long, prévient Michèle Hozer, qui rapporte notamment les commandites de plusieurs milliers de dollars qu’a reçues le Réseau canadien sur l’obésité d’entreprises comme Coca-Cola ou McDonald’s — des montants aussi dénoncés par le médecin Yoni Freedhov, de l’Université d’Ottawa, spécialiste des problèmes de poids.
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Parlant de conflit d’intérêt, je dois vous signaler que j’ai accepté d’animer la première québécoise de Sugar Coated, à Québec, en juin dernier, non sans avoir vérifié au préalable qu’il ne s’agissait pas de l’un de ces innombrables pamphlets qui diabolise un aliment bien précis.
Le sucre, en soi, n’est pas un poison. Mais on a aujourd’hui des preuves largement solides pour pouvoir affirmer qu’en consommer en quantité excessive est risqué (même si l’industrie continue de nier l’évidence).
Comparées aux nouvelles lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé, les statistiques sur la consommation de sucre, au Canada comme dans d’autres pays, montrent très clairement qu’on en ingurgite beaucoup trop — notamment sous la forme de jus et de boissons gazeuses.
Les trois quarts des aliments transformés contiennent du sucre ajouté.
Les manigances de l’industrie et son habileté à échapper à tout contrôle en font un produit à surveiller de très près.
Des changements dans l’étiquetage
Après des décennies de laisser-aller, Santé Canada a entrepris de serrer un peu la vis.
Annoncé en juin par la ministre Rona Ambrose, le nouvel étiquetage nutritionnel prévoit notamment de regrouper, dans la liste des ingrédients, toutes les formes de sucres à l’intérieur d’une même parenthèse.
S’ils prennent la peine de lire les étiquettes, bien des parents vont découvrir que les céréales pour enfants devraient être rebaptisées «sucres pour enfants», puisque de nombreuses variétés très populaires contiennent plus de sucres que de céréales.
Malheureusement, comme le dénonce la Coalition québécoise sur la problématique du poids, toutes sortes de logos et d’allégations santé (du genre «bonne source de calcium» ou «riches en fibres») pourront continuer de s’afficher en gros et en couleurs sur le devant des boîtes… et continuer d’attirer bien plus l’attention des consommateurs que le décorticage des sobres et discrètes étiquettes nutritionnelles.
À lire aussi dans L’actualité d’août 2015 (présentement en kiosque) : mon dossier «Manger sans angoisser».
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Très intéressant, merci.
Et comment se fait-il que, contrairement au sel dont la limite quotidienne recommandée est bien publicisée, il soit si difficile de connaître la limite quotidienne recommandée à ne pas dépasser pour consommer le sucre?
Je ne suis pas docteur/nutritioniste alors prenez ce que je dis avec un grain de sel (jeu de mot plate).
Selon le American Heart Association, les femmes devraient viser à prendre 24g ou moins de sucre par jour, tandis que les hommes devraient consommer 36g ou moins. Autrement dit, quelqu’un qui boit une canette de Coca-Cola pète déjà sa « limite » recommandée.
Il y a tellement de sucre ajouté partout, c’est incroyable. En plus de ce que vous mentionnez, il y a le ketchup, qui pourrait se définir comme « des tomates au sucre ». Il y en a aussi des tonnes dans la mayonnaise commerciale et le beurre d’arachides qui n’est pas du « naturel » (ne contenant que des arachides).
Je profite de l’occasion pour vous féliciter pour votre dossier « Manger sans angoisser », dans l’Actualité de ce mois-ci. C’était fort intéressant et bien fait.
Il y a beaucoup de sucre ajouté au ketchup liquide de type Heinz mais très peu dans la mayonnaise de bonne qualité comme la Hellmann ou le beurre d’arachide type Kraft (emballage rouge ou vert). Ce beurre d’arachide contient environ 1 g de sucre par portion de 15 g , tout comme le beurre d’arachide 100% arachides ( le chiffre étant arrondi ). Et l’information nutritionnelle indique 0 g de sucre sur le pot de mayonnaise Hellmann.
Le sucre se retrouve en grande quantité dans le Nutella, les sirops, la confiture, les biscuits, les gâteaux, les tablettes de chocolats, les boissons gazeuses, les jus de fruits et quoi encore !
IL est difficile aujourd’hui de trouver des céréales ou même du pain sans sucre (ajouté)Il serait souhaitable que la règlementation soit plus sévère.Dans les années 70 j’avais lu le livre « Sugar Blues.« Très édifiant!
On espérer qu’un jour il y aura une étiquette au devant de tous les produits potentiellement dommageables. Une belle étiquette du genre :
« contient une dose abondante de sucre » ou « contient beaucoup plus de sucre que vous en avez besoin ». Mais ce qu’il faudrait vraiment
c’est une étiquette « contient un poison mortel si consommé en trop grande quantité : le sucre » !!!
Si les gens ne font rien, le monde court à sa perte.
« On espérer qu’un jour il y aura une étiquette au devant de tous les produits potentiellement dommageables. »
S’il fallait qu’on aille jusque là, il y aurait systématiquement une étiquette sur tous les produits.
« Attention, contient du carbone-14! » (présent naturellement)
« Attention, contient des traces de deutérium! » (un isotope également présent dans la nature)
Non, faudrait que ça soit beaucoup plus balisé, quelque chose comme un risque mesurable pour la santé.
Je suis étonné que personne ne mentionne le mot drogue, meme pas Valérie Borde, dont je suis convaincu qu’est le sucre, plus qu’autre chose; comme la nicotine dans le tabac.
Vous avez une étude scientifique évaluée par des pairs qui montre que le sucre est une drogue (encore faudrait-il voir la définition) ?
Peut-être que ceci va répondre à votre question M. Lussier?
http://abc13.com/health/study-sugar-is-as-addictive-as-cocaine/533979/
Travaillez-vous dans l’industrie du sucre?
1- Interdisez le sucre et en peu de temps il n’y aura plus d’obèses.
2- Interdire le sucre et y mettre les règles et les vérifications nécessaires pour que ce soit appliqué, là où il n’est pas utile et nécessaire ainsi que logique d’en ajouter et déjà non seulement on diminuera l’obésité, mais un changement d’habitude alimentaire « forcée » en peu de temps s’accomplira. De nombreux problèmes de santé disparaîtront si non complètement, au minimum en grande partie graduellement et en même temps que les changements apportés.
Non je n’ai pas d’études scientifiques spécifiques qui le démontre, mais il en existe et des spécialistes comme des médecins pourraient, eux, démontrer mes affirmations et citer les études appropriées.
Cherchez un peu et vous trouverez.
J’ai zéro doute que mes affirmations sur ce commentaire sont véridiques.
Le sucre est partout et c’est bien dommage. On peut difficilement trouver des aliments préparés qui n’en contiennent pas. Et l’étiquetage ne permet pas de savoir à quoi s’en tenir sur les quantités de sucre présentes dans ces aliments. Les autorités en matière d’alimentation prennent beaucoup trop de temps à réagir.