
Dans l’ascenseur de l’hôtel New Ark, je ressens un petit frisson. Six jours. C’est le temps qu’il a fallu, en 2010, pour édifier cet immeuble de 15 étages sur un terrain du groupe Broad, à Changsha, capitale de la province du Hunan, dans le sud-est de la Chine.
A priori, le New Ark est pourtant costaud, puisqu’il peut résister à un séisme de magnitude 9. Sur YouTube, la vidéo en accéléré qui le montre pousser sous le ballet des grues a fait un malheur, tout comme celle de la naissance de son « petit » frère de 30 étages, fini en 15 jours en 2012. Étourdissant !
À 100 dollars la nuit, ma chambre semble sortie d’un catalogue Ikea. Elle est confortable et, chose rare en Chine, bien isolée thermiquement. On n’entend pas non plus la circulation infernale en contrebas, et tout juste les incessants feux d’artifice qui annoncent l’ouverture d’un magasin non loin. Mais surtout, je dors — enfin ! — dans de l’air propre, car des filtres éliminent la quasi-totalité des particules fines dans le bâtiment.
Ces fameuses PM2,5 (appelées ainsi parce qu’elles mesurent moins de 2,5 microns) empoisonnent souvent l’air de cette métropole de trois millions d’habitants, qui fait pourtant bonne figure comparée à d’autres villes de Chine.
La veille, j’ai cru laisser mes poumons à Pékin, après cinq jours à un taux de PM2,5 oscillant entre « mauvais pour la santé » et « au-delà du seuil de mesure ». À ce niveau-là, marcher 15 minutes sur le plat sans masque est aussi exténuant — et bien plus dangereux — que de monter en courant les 400 marches de l’escalier du Cap-Blanc, à Québec !
Dans les dernières années, le groupe Broad a raflé de nombreux honneurs à l’échelle internationale. Pas parce que ses immeubles sortent de terre plus vite que des champignons. Plutôt parce que ses techniques rendent la construction, le chauffage et la climatisation des bâtiments beaucoup, beaucoup plus écologiques que ce qu’imposent les standards internationaux actuels. La construction de l’hôtel New Ark a engendré six fois moins de CO2 et environ 100 fois moins de déchets que celle d’un immeuble ordinaire, selon un calcul de l’Université de Cambridge. L’hôtel consommerait aussi cinq fois moins d’énergie pour le chauffage de l’air et de l’eau et pour la climatisation.
Du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, au Nobel Al Gore en passant par le magazine américain Fortune, tous ont cité en exemple la vision du développement durable de Zhang Yue, l’artiste aux multiples talents qui a fondé Broad en 1988. Ses équipements sont déjà vendus dans 80 pays, et il a bien l’intention d’imposer ses constructions durables au reste du monde.
À Changsha, tous les lundis matin, les employés chantent en chœur l’hymne de Broad sous le drapeau chinois, devant… une réplique de la pyramide du Louvre — clin d’œil au pays qui a vu naître la technologie de récupération de chaleur, sortie de l’oubli par Zhang Yue. « L’humanité prospérera éternellement grâce à nous, chantent les employés. Nous sommes les guerriers de la Terre… » Rien que ça !
Sauf que deux semaines en Chine et de nombreuses entrevues avec des experts d’autres pays m’ont convaincue qu’on ne devrait pas trop rire de ces paroles grandiloquentes.
Déjà fin 2014, l’Empire du Milieu est devenu la première puissance économique mondiale. Son ambition aujourd’hui : bâtir la « civilisation écologique » sur laquelle il régnera !
En mars 2014, le premier ministre, Li Keqiang, a annoncé aux parlementaires que son gouvernement avait déclaré « la guerre à la pollution ». À grand renfort de réformes radicales, la Chine s’attaque à son lourd passif environnemental et aux changements climatiques. La lutte ne sera pas facile : pour un groupe Broad, des milliers d’entrepreneurs construisent chaque jour à la va-vite des immeubles d’un bout à l’autre du pays ! Mais si le plan réussit, il aura des effets planétaires. Parce que la Chine, qui compte pour près d’un cinquième de la population du globe, émet 30 % de ses gaz à effet de serre. Et aussi parce que les technologies propres chinoises ont déjà commencé à conquérir la planète !
Dans les énergies renouvelables ou les transports électriques, des entreprises du reste du monde pourraient être terrassées par ce nouveau géant vert. Dans d’autres secteurs, les progrès en environnement donneront à la Chine un nouvel avantage concurrentiel.
Trente ans de développement économique à toute vapeur ont engendré un niveau de pollution ahurissant, sur lequel les autorités chinoises lèvent peu à peu le voile. « S’attaquer à la pollution, quitte à renoncer à quelques points de croissance économique, est une question de survie pour le pays », m’explique Arthur Hanson.
Cette sommité préside depuis 20 ans le groupe d’experts étrangers qui participent au Conseil chinois de coopération internationale en environnement et en développement. « Jusqu’en 2008, une agence très marginalisée était chargée des questions d’environnement au sein du gouvernement chinois. Elle a été remplacée par un vrai ministère, de plus en plus puissant. Et cette année, le vice-président chinois en personne a assisté à notre réunion d’experts externes qui conseillent le gouvernement ! » raconte le spécialiste.

Depuis quelques années, la révolte gronde dans la population. Plus instruite, ouverte sur le monde et préoccupée par sa santé, la génération née de la politique de l’enfant unique (implantée en 1979) se montre plus exigeante à mesure qu’elle s’enrichit et qu’elle constate les ravages environnementaux. Depuis 2007, les manifestations contre des projets polluants n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Mais un phénomène en particulier a tout changé : le smog.
En décembre 2011, des analyses de l’air, réalisées par l’ambassade américaine à Pékin, apparaissent sur le réseau social chinois Sina Weibo, qui compte plus de 600 millions d’utilisateurs. Elles révèlent des taux de smog jusqu’à 40 fois supérieurs au maximum recommandé par l’Organisation mondiale de la santé.
Dès lors, la pression s’accentue sur les dirigeants pour qu’ils agissent. La pollution et ses ravages font la une des journaux, alors que sur Sina Weibo des personnalités disent leur ras-le-bol. Les ambassades et les multinationales peinent à empêcher leurs employés étrangers, préoccupés par leur santé et celle de leurs enfants, de quitter le pays. Les organisateurs de rendez-vous internationaux et les représentants de l’industrie du tourisme mettent sous pression les dirigeants chinois.
L’« airpocalypse », comme l’ont baptisée les médias, est devenue une honte nationale. Les autorités doivent fermer régulièrement usines, aéroports et écoles à cause de la pollution. Depuis 2012, on ne compte plus les études sur les conséquences dramatiques de la pollution sur les taux de cancers et de maladies cardiovasculaires…
« Le plus révolutionnaire dans la stratégie chinoise, c’est l’accent que les autorités mettent sur la participation citoyenne, la transparence et ce qu’elles appellent la gouvernance sociale de l’environnement », croit Arthur Hanson. La Chine reste critiquée pour ses violations des droits de la personne et la mainmise qu’elle exerce sur les médias (obtenir un visa de journaliste pour y enquêter sur la guerre à la pollution n’a pas été une mince affaire). Mais pour s’attaquer aux pollueurs, assainir l’environnement et, surtout, regagner la confiance de la population, le pays semble prêt à — presque — tout.

En 2014, la Chine a, pour la première fois en 25 ans, réformé sa loi sur l’environnement pour obliger les entreprises à divulguer les quantités de polluants qu’elles émettent, accroître les amendes infligées aux délinquants et permettre, dans certaines conditions, aux organisations non gouvernementales de poursuivre les contrevenants directement. En janvier 2015, une amende de 32 millions de dollars a été imposée à six pollueurs, un record pour le pays.
Le gouvernement a aussi changé les règles d’évaluation des performances des officiels du parti, qu’ils soient maires ou chefs d’entreprise : désormais, ils sont notés sur les résultats économiques de leur organisation, mais aussi sur son bilan environnemental.
Ma Jun, le militant vert le plus célèbre de Chine, voit dans toutes ces réformes un signe très encourageant. En 2004, cet ancien journaliste s’est fait connaître en publiant un livre coup-de-poing sur la crise de l’eau en Chine, que l’on compare souvent à Silent Spring (Printemps silencieux), de l’Américaine Rachel Carson,qui a lancé l’alerte sur la pollution aux États-Unis dans les années 1960.
À 46 ans, Ma Jun dirige une organisation non gouvernementale, l’Institut des affaires publiques et environnementales (IPE), qu’il a fondée pour inciter le gouvernement à la transparence. Pariant sur la collaboration avec les autorités plutôt que sur l’affrontement, il a peu à peu gagné leur confiance et a mis au point un outil de mobilisation publique unique au monde.

Dans son bureau de Pékin, Ma Jun me fait découvrir l’application mobile que son équipe de 21 personnes élabore à partir de la base de données accessible sur le site Internet de l’IPE. En temps réel, au moyen de leur téléphone intelligent, les Chinois verront d’ici quelques mois toutes les analyses de pollution réalisées dans les usines du pays ainsi que dans l’air et l’eau des villes.
Cette information est extraite des sites des différents paliers de gouvernement, géolocalisée et mise en forme par l’équipe de l’IPE, puis augmentée : l’ONG ajoute quelque 174 000 cas de violations des lois environnementales, qu’elle a recensés depuis huit ans. « Le portrait que cela donne de la pollution est encore partiel, mais on s’approche de la vérité », se réjouit Ma Jun, un homme réservé, qui a reçu en 2012 le prix international de la Fondation Goldman en environnement, une sorte de Nobel de l’environnement.
L’application de l’IPE permettra aussi aux 700 millions de Chinois propriétaires de téléphones intelligents de dénoncer la pollution, en téléchargeant dans la base de données leurs photos de déversements illégaux ou leurs mesures de la qualité de l’air. De quoi mettre la pression sur les industriels et alimenter les tribunaux !
Les autorités admettent désormais que l’exploitation du charbon, qui comble les deux tiers des besoins énergétiques du pays, a un impact environnemental dévastateur. En 2014, elles ont annoncé vouloir en limiter — d’ici 2020 — la consommation. Une révolution !

Dans la foulée, le président chinois, Xi Jinping, et son homologue américain, Barack Obama, ont signé un accord historique sur les émissions de gaz à effet de serre de leurs pays, qui comptent pour 45 % du bilan mondial : en 2030 au plus tard, la Chine devra plafonner ses émissions à 10 milliards de tonnes de CO2 par an et tirer 20 % de son énergie de sources renouvelables.
Trop beau pour être vrai ? Pas selon Arthur Hanson, qui croit que le fait que l’économie chinoise soit planifiée, et qu’elle soit pensée sur le long terme, lui donne une chance de parvenir à ses fins.
« Si cette entente est respectée, cela mettra beaucoup de pression sur les autres pays », dit pour sa part Guy Saint-Jacques, ambassadeur du Canada à Pékin, qui fut un temps négociateur pour le climat pour Ottawa.
Chose certaine, à quelques mois de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, à Paris, l’accord sino-américain suscite beaucoup d’espoir.
L’entente renforce également la coopération entre les deux plus grands pollueurs de la planète en matière de recherche sur les technologies vertes. « On a maintenant 15 labos chinois et 12 américains qui travaillent ensemble pour rendre la combustion du charbon plus efficace et plus propre, et pour capter et stocker les émissions de CO2 », explique James Wood, professeur à l’Université de la Virginie-Occidentale, aux États-Unis, qui pilote les équipes américaines. « Les industriels chinois font de vrais efforts, et leurs nouvelles centrales, dites “ultrasupercritiques”, sont déjà les plus performantes au monde ! »
Pékin finance la recherche à coups de milliards de yuans. Dans les universités, l’environnement est un sujet populaire, m’explique Zhang Shiqiu, économiste à l’Université de Pékin, qui a contribué à mettre sur pied de multiples programmes d’études dans les universités du pays.
Dans les années 1980, cette pionnière faisait partie du groupe d’experts qui a élaboré le protocole de Montréal pour préserver la couche d’ozone. « À cette époque, les gens pensaient que je nettoyais les rues quand je leur disais que je m’intéressais à l’environnement ! » me raconte en riant cette professeure de 50 ans dans son bureau rempli de plantes vertes. « Jusqu’à récemment, on devait courir après les étudiants pour qu’ils s’inscrivent en environnement. Maintenant, on ne prend que les meilleurs. »
Originaire d’une région que l’industrie du charbon a sortie de la misère en même temps qu’elle l’a défigurée, Zhang Shiqiu étudie aujourd’hui des stratégies pour limiter la pollution sans nuire aux emplois.
En 2013, le gouvernement chinois a accepté de tester l’idée d’échanges de droits d’émission de gaz à effet de serre et lancé sept projets-pilotes de Bourses du carbone dans de grandes villes. Il pourrait étendre cette expérience au pays entier dès 2016. De quoi donner un grand élan à cet outil que beaucoup de spécialistes dans le monde considèrent comme une arme de choix dans la lutte contre les changements climatiques.
Lors de la mission économique du premier ministre du Québec, Philippe Couillard, en octobre 2014, des dirigeants ont évoqué une possible entente tripartite sur un marché du carbone qui réunirait la Californie, le Québec et Shanghai. Dans cette métropole, qui compte presque autant d’habitants que le Canada tout entier, 80 grandes entreprises échangent des droits d’émission de carbone, ce qui aurait permis, selon les chiffres officiels, de diminuer de 5,3 millions de tonnes les émissions de la ville depuis 2011. Une telle entente pourrait bien forcer les entreprises québécoises à améliorer leur bilan carbone si elles ne veulent pas se ruiner !
« L’ex-dirigeant chinois Deng Xiaoping disait qu’il fallait traverser la rivière en tâtant les pierres, explique Maud-Andrée Lefebvre, représentante du Québec à Pékin. Tout comme la Chine s’est ouverte à l’économie de marché en implantant d’abord des zones économiques spéciales, elle avance en environnement à coups d’expériences, qu’elle généralise si elles fonctionnent. » Une fois lancé, le rouleau compresseur chinois est bien difficile à arrêter.
Avec les énergies renouvelables, cette approche a très bien fonctionné. Après avoir financé des projets-pilotes dans les années 1990, le Congrès chinois a inscrit à son 11e plan quinquennal, en 2005, des objectifs chiffrés pour le solaire et l’éolien, et offert des tarifs de rachat très avantageux aux producteurs d’électricité. Dans les années suivantes, d’immenses « champs photovoltaïques » ont vu le jour dans les régions isolées de l’ouest de la Chine, ce qui a fait passer la puissance installée en énergie solaire du pays de quasiment 0 à 20 gigawatts en 2013, soit l’équivalent de toutes les centrales hydroélectriques de la Baie-James. Et en 2014, la Chine a installé plus de panneaux solaires que les États-Unis au cours de toute leur histoire ! Ce marché énorme a permis aux industriels de baisser leurs coûts de production et de casser les prix. En quelques années, les 400 fabricants chinois de panneaux solaires ont eu raison de la plupart de leurs concurrents allemands, américains et japonais.
En moins de 10 ans, la Chine est aussi devenue le premier producteur mondial d’énergie éolienne, atteignant en quelques années une puissance installée à peine inférieure à celle de l’Europe. Et elle entend encore tripler sa capacité d’ici 2020.
D’abord dominé par des constructeurs étrangers, invités à former des entreprises mixtes, le marché est aujourd’hui en bonne partie aux mains d’intérêts chinois. Le troisième fabricant mondial de turbines à vent, Goldwind, originaire de l’ouest de la Chine, a construit 17 parcs d’éoliennes aux États-Unis et en Amérique du Sud depuis 2009.
« Face aux Chinois, la plupart des entreprises occidentales n’ont aucune chance de survie dans les énergies renouvelables, car les coûts de production des sociétés chinoises vont rester inférieurs pendant encore des années », croit Kurt Sorschak, président de Xebec, établie à Blainville, au nord de Montréal.
En 2008, Xebec a ouvert une usine dans la banlieue de Shanghai, pour y fabriquer à moindres coûts ses systèmes de purification du gaz naturel, qu’elle vend dans 40 pays. Elle compte aujourd’hui 60 employés à Blainville et 30 en Chine, où elle tente de s’implanter dans le marché émergent du biogaz récupéré dans des sites d’enfouissement.
« Il y a environ 700 grands dépotoirs en Chine, que le gouvernement désire moderniser, car la population ne veut pas d’incinérateurs. C’est un très gros gisement d’énergie renouvelable… et un marché gigantesque pour des entreprises comme la nôtre », m’explique Kurt Sorschak, un Autrichien d’origine, qui se rend plusieurs fois par an en Chine pour serrer la main de ses employés. Actuellement, ceux-ci gagnent en moyenne 33 000 dollars par an, contre 82 000 pour les employés de Xebec à Blainville. Même si les salaires des ingénieurs augmentent vite en Chine, il reste une bonne marge de manœuvre…
Pour l’instant, l’énorme marché chinois de l’environnement représente encore une chance à saisir pour les entreprises étrangères, à condition qu’elles parviennent à s’y implanter, à trouver des partenaires fiables et, surtout, qu’elles exploitent des technologies porteuses.
Ainsi, TM4, une filiale d’Hydro-Québec établie à Boucherville, s’est installée dans l’Empire du Milieu l’an dernier afin d’y produire des moteurs électriques pour les autobus. Elle a formé une coentreprise avec Prestolite Electric, un fabricant de pièces de moteurs, et ouvert une usine dans la banlieue de Pékin, au-delà du sixième périphérique de cette ville tentaculaire.
« Si nous nous sommes associés à TM4, c’est parce qu’ils sont les meilleurs au monde », me dit avec un sourire goguenard Zhang Li, un des patrons de Prestolite Electric.
La première commande que la coentreprise, baptisée PEPS, a décrochée, à l’automne 2014, a toutes les allures d’un gros lot : 100 autobus d’un coup ! Dans l’usine de PEPS, on a vu grand : la capacité de production passera à 500 moteurs par mois d’ici la fin de 2015.
Lors de mon passage, les techniciens s’affairent à tester le robot qui assemblera le rotor et le stator, deux éléments clés du moteur. Les grands patrons, en blouse bleue comme tout le monde, mettent la main à la pâte. « On n’a pas de temps à perdre ! » me lance Zhang Li.
Le trésor qu’il convoite, ce sont les quelque 70 000 autobus électriques que la Chine veut mettre sur ses routes d’ici 2017. On a bâti au cours des dernières années un réseau de transports électriques d’une efficacité redoutable. Depuis 2009, environ 2 500 km de lignes de métro et 20 000 km de lignes de trains à grande vitesse ont été mis en service, et des milliers d’autres sont en chantier. Les constructeurs chinois ont acquis du savoir-faire et, en janvier dernier, l’un d’eux a remporté un premier gros contrat à l’étranger : 284 voitures de métro pour la ville de Boston ! Bombardier devrait peut-être s’inquiéter…
À Shenzhen, dans le sud du pays, les 10 millions d’habitants sont servis par 850 taxis électriques et plus de 6 000 autobus électriques, hybrides ou alimentés avec d’autres carburants de substitution. C’est le plus important parc de véhicules verts au monde, qui a valu en 2014 à cette ville le prix, dans la catégorie du transport urbain, du C40 Cities Climate Leadership Group, un réseau mondial de grandes villes qui luttent contre les changements climatiques.
Shenzhen a pris de l’avance grâce à la présence sur son territoire de BYD (pour Build Your Dream), une entreprise qui fait trembler bien des constructeurs de véhicules électriques dans le monde.
Premier constructeur chinois de voitures, BYD doit surtout sa réputation à la e6, une petite berline 100 % électrique, avec 300 km d’autonomie, qu’elle destine principalement aux parcs de taxis. Après Shenzhen, de nombreuses villes dans le monde l’ont essayée… et adoptée. Fin 2014, des centaines de taxis e6 sillonnaient les rues de Bogotá, de Rotterdam et de Londres. À Bruxelles, BYD a été choisie devant Renault et Nissan, qui avaient aussi répondu à l’appel d’offres.

L’entreprise chinoise s’est aussi lancée dans la construction d’autobus 100 % électriques, qu’elle a commencé à vendre en Chine et ailleurs dans le monde. En 2013, elle a ouvert une usine en Californie pour alimenter le marché nord-américain, où elle vient d’obtenir sa certification.
Au Canada, quelques villes, dont Montréal, ont testé ses autobus. « Nos clients et nos chauffeurs ont adoré, mais il nous faudra relever bien des défis logistiques avant d’intégrer ce type d’autobus à notre parc », explique François Chamberland, directeur exécutif des services techniques à la Société de transport de Montréal.
Pour l’instant, malgré les mesures incitatives de l’État, les ventes de voitures électriques en Chine restent faméliques. Il faudra tout un changement de mentalité, et d’énormes efforts des autorités, pour que la consommation écoresponsable s’impose, en matière d’automobile comme dans bien d’autres domaines.
La révolution verte aura sans doute un effet pervers : comme l’ont fait avant elle les pays développés, la Chine compte délocaliser sa pollution vers des régions du monde moins regardantes. Dans quelques années, le CO2 qui ne sera plus émis en Chine risque fort d’être remplacé par celui qui viendra de l’Asie du Sud-Est ou de l’Afrique, où les industriels chinois sont de plus en plus présents et où ils contribuent déjà largement à dégrader l’eau et les sols.
« Même à l’intérieur de la Chine, on voit beaucoup de déplacements d’industries vers l’ouest du pays, loin des grands centres et du regard de la population… mais plus près des grands espaces naturels, dont on doit protéger la biodiversité et les ressources en eau », s’inquiète Ma Zhong, doyen de l’École de l’environnement et des ressources naturelles de l’Université Renmin, à Pékin.
Cet expert, que je rencontre sur le vaste campus à l’américaine de l’université, en plein cœur de la capitale, croit que les dirigeants chinois n’ont pas encore bien compris les dommages environnementaux que cette stratégie pourrait faire subir à ces régions éloignées et, par ricochet, au pays tout entier.
L’an dernier, Greenpeace a découvert une immense mine de charbon illégale dans ce far west chinois. « Elle fait 14 fois la taille de Londres, en plein dans une aire soi-disant protégée ! » me raconte Ma Tianjie, directeur de Greenpeace en Chine. Depuis, les autorités l’ont fermée… mais il n’est pas dit qu’elle ne rouvrira pas.
Ma Zhong croit que les réformes doivent aller beaucoup plus loin, et plus vite. « La Chine a les moyens d’en faire bien plus. L’an dernier, les industriels ont fait des profits de 1 000 milliards de dollars… et ils n’ont payé qu’un milliard pour toute l’eau qu’ils utilisent et polluent. C’est ridicule ! » s’insurge-t-il.
Cet automne, le Congrès chinois publiera son 13e plan, qui couvrira les années 2016 à 2020. On sait déjà qu’il comprendra des objectifs précis en matière d’énergie. Mais quelle place y prendront les préoccupations environnementales, et quelles voies seront privilégiées ? Les paris sont ouverts…
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La population s’implique
À la suite de dénonciations, le gouvernement chinois a épinglé, en juin 2014, 19 grandes entreprises qui avaient triché dans leurs déclarations d’émissions de dioxyde de soufre, un polluant majeur. Les cinq plus grands producteurs d’énergie du pays en faisaient partie…

Une pollution ahurissante
Selon les chiffres officiels chinois, qui sous-estiment sans doute la réalité…
• Plus de 70 % des cours d’eau et des lacs sont gravement pollués, dont la moitié présentent un danger au simple contact.
• On dénombre 450 « villages du cancer », où la pollution industrielle a fait exploser les cas.
• 20 % des terres agricoles renferment des niveaux toxiques de métaux lourds comme l’arsenic ou le plomb. La moitié du riz consommé dans la ville de Canton, haut lieu de la gastronomie, contient des quantités dangereuses de cadmium.
Combattre la pollution… et la congestion
En 10 ans, le nombre de voitures vendues en Chine est passé de 2 millions à 20 millions par an. Un conducteur sur 10 a obtenu son permis au cours de la dernière année.
Les militants montent au front
Les ONG écologistes sont de plus en plus nombreuses en Chine… avec la bénédiction du gouvernement.
Le gouvernement chinois lève peu à peu les restrictions qu’il impose aux militants écologistes, car leur contribution lui permet de repérer les cas de fraude ou de corruption qui, autrement, lui échapperaient.
Apparues dans les années 1990, les organisations environnementales étaient plus de 3 500 en 2008, et leur nombre continue d’augmenter, comme le raconte le journaliste et chercheur britannique Sam Geall dans China and the Environment : The Green Revolution, publié en 2013. Elles sont aussi mieux financées, notamment par de riches philanthropes qui partagent leurs préoccupations.
L’IPE, par exemple, est soutenu par la toute nouvelle fondation Alibaba, qu’a créée en 2014 le milliardaire Jack Ma. Le fondateur d’un important site de commerce en ligne entend consacrer ses quelque trois milliards de dollars principalement à la préservation de l’environnement et de la santé des Chinois.
Les ONG étrangères, comme Greenpeace, sont aussi bien présentes. « Nous avons débuté en 2002 avec 10 personnes à Pékin, avec comme priorités les OGM et les déchets électroniques, raconte Ma Tianjie, directeur de Greenpeace en Chine. Nous sommes maintenant 80 employés, presque tous des Chinois d’origine, et les changements climatiques et la pollution par le charbon sont notre principal cheval de bataille. »
En 2013, à l’issue de six mois d’enquête, l’organisme a publié un rapport dévastateur sur les pratiques de la société Shenhua, plus important producteur de charbon au monde, dont les énormes mines assèchent une partie de la Mongolie-Intérieure, déjà gravement menacée par le manque d’eau et la pollution. Sous les pressions, Shenhua s’est engagée, en avril 2014, à ne plus puiser son eau dans les nappes phréatiques et à construire plusieurs stations d’épuration des eaux usées.
Place à la ville verticale !
Après avoir raflé de nombreux prix internationaux — et fait un tabac sur YouTube — grâce à ses hôtels écolos de 15 et de 30 étages érigés en quelques jours seulement, le groupe Broad se lance dans la construction… d’une tour-ville !
Sky City, encore à l’état de maquette, comptera 202 étages, hébergera 30 000 habitants, un hôpital, cinq écoles, des terrains de tennis, des fermes hydroponiques… bref, tout pour éviter aux résidants de se déplacer à l’extérieur, d’y respirer de l’air vicié et de générer encore plus de pollution par leurs transports.
Ces tours-villes sont l’avenir de la planète, croit Zhang Yue, fondateur du groupe Broad, car elles empêcheront les mégalopoles de s’étendre à l’infini en grugeant des terres arables et réduiront radicalement l’impact écologique de l’urbanisation nécessaire au développement des pays pauvres.
La construction d’une « mini-Sky City » de 57 étages a débuté à la fin de l’automne dernier et devrait durer six mois. Tout commence dans l’usine de Broad, à Changsha. Les ouvriers fabriquent de grandes plaques d’acier et de béton, sur lesquelles ils préinstallent le rêvement de sol, la plomberie, les fils électriques et les tuyaux de chauffage et de climatisation. Sur chaque plaque sont ensuite déposés les éléments qui viendront s’y fixer, comme les murs intérieurs, les portes ou les fenêtres. L’ordre de fabrication suit celui dans lequel les plaques seront assemblées sur le chantier. Quand tout est prêt, elles sont transportées par camion, puis assemblées en un temps record, comme un grand Lego, par des grues qui grimpent au fur et à mesure sur les parois.
Une visite de 26 étages déjà bâtis de la « mini-Sky City » me fait voir l’originalité du concept : dans la vaste cour intérieure, une rue piétonne monte en spirale au cœur du bâtiment ; elle est cernée d’appartements de deux à cinq pièces et d’emplacements pour les services et bureaux à venir.
Les ingénieurs de Broad testent une nouvelle idée : ramener la taille des plaques à celle d’un conteneur. De cette manière, ces immeubles préfabriqués pourront être exportés par bateau. Bientôt dans un lotissement près de chez vous ?
Bravo pour cette prise de conscience des Chinois !
La Chine fait de gros efforts certes, mais le développement durable c’est le trinôme des objectifs d’intégrité environnementale, d’équité sociale et d’efficience économique. Son développement accéléré se fait au détriment des conditions de travail et au profit d’un capitalisme sauvage. Tout comme la production des pièces destinées à l’énergie dit renouvelable qui justifie l’exploitation des chinois défavorisés et encore une fois inflige d’atroces conditions ET qui demande beaucoup d’énergie de production.