Légionellose : à qui la faute ?

Aurait-on pu éviter l’éclosion de légionellose qui touche le centre-ville de Québec si le gouvernement avait écouté ses experts en santé publique qui, en 1997, recommandaient que des normes s’appliquent pour l’entretien des tours de refroidissement ?

Malheureusement pour les proches des victimes tentés de poursuivre le gouvernement pour négligence et pour les politiciens comme le ministre de la santé libéral Yves Bolduc qui n’ont eu de cesse de rejeter la faute sur leurs adversaires dans les dernières semaines de la campagne électorale, les choses ne sont pas si simples. Voilà pourquoi.

La légionelle est une bactérie naturellement présente dans l’environnement, et on risquera toujours de croiser son chemin. Elle aime l’eau chaude, mais pas bouillante : son «optimum thermique», là où elle se multiplie le mieux, se situe entre 25 et 43 degrés. Même si cela ne se produit qu’à l’occasion, elle est donc toujours susceptible de coloniser de l’eau tiède, sauf si celle-ci a été désinfectée peu de temps avant.

Même contaminée, l’eau stagnante pose peu de risque, car on ne la respire pas. Mais si elle est projetée dans l’air, via un pommeau de douche, les bulles d’un bain tourbillon ou une tour de refroidissement d’immeuble, elle peut se retrouver dans notre système respiratoire. Et si celui-ci est fragilisé par une maladie préexistante ou par le tabagisme, il risque de ne pas pouvoir s’en défaire.

Une personne en bonne santé qui respire des légionelles s’en débarasse presque toujours. La plupart des malades aussi, par un traitement antibiotique ordinaire.

C’est pour minimiser le risque de légionellose qu’on conseille de fixer la température de consigne des chauffe-eau au dessus de la température de confort de la légionelle, soit à au moins 49 degrés. Mais il restera toujours des gens prêts à tout pour économiser un peu sur le chauffage de l’eau, ou des chauffe-eau qui se dérèglent accidentellement.

La grande majorité des cas de légionellose surviennent ainsi de manière sporadique, touchant seulement une ou deux personnes à la fois, souvent à cause de chauffe-eau défectueux ou mal réglés.

À moins de mettre un policier et un plombier derrière chaque tuyau, impossible donc d’espérer éradiquer complètement la légionelle !

À l’occasion, une éclosion se déclare quand, dans un périmètre donné, on trouve plusieurs personnes ayant contracté la légionellose en quelques semaines. L’expérience montre que ce sont alors presque toujours les tours de refroidissement des immeubles qui sont en cause.

Quand elle n’a pas été traitée depuis longtemps, l’eau tiède qui circule dans ces tours peut permettre aux légionelles de l’environnement qui auraient pénétré dans le système de se multiplier. Lorsque l’eau contaminée passe en suspension dans l’air, elle peut alors infecter plusieurs personnes parmi les occupants de l’immeuble et dans les alentours.

Depuis la découverte de cette bactérie en 1977, de nombreux organismes dans le monde ont établi des procédures d’entretien des tours de refroidissement. Au Québec, c’est en 1997, après la dernière éclosion survenue à Québec, que la Direction de la santé publique de Québec et la Régie du bâtiment ont publié un guide de bonnes pratiques.

Les propriétaires d’immeubles étant tenus de fournir à leurs occupants des conditions de vie salubres, ils devraient en principe suivre ces guides. Mais le font-ils vraiment ? Personne n’a jamais vérifié.

Après une simple inspection visuelle des tours de refroidissement du secteur touché par l’éclosion de cet été, la Direction de la santé publique de Québec et la Régie du bâtiment ont estimé que les conseils d’entretien ne semblaient pas avoir été suivis pour le tiers d’entre elles (ce qui ne veut pas dire qu’elles soient pour autant insalubres…). Toutes les tours du secteur ont été nettoyées, mais on saura seulement dans quelques semaines – le temps de faire les analyses de laboratoire – si certaines d’entre elles étaient contaminées par la légionelle.

Comme toutes les tours susceptibles d’avoir été contaminées ont été nettoyées, on ne devrait plus trouver de nouveaux cas d’ici peu.

À moins que les tours de refroidissement ne soient pas la cause de cette éclosion, ce qui est peu probable et l’est d’autant moins qu’on n’a rien trouvé dans les autres sources potentielles – notamment à la papeterie White Birch, que de nombreux résidents voyaient comme un coupable possible puisqu’elle a redémarré peu avant l’éclosion.

En 1997, l’enquête de la Direction de la santé publique de Québec (attention : pdf de 4 Mo) qui avait suivi l’éclosion avait trouvé un seul immeuble contaminé. Cela avait suffi pour qu’elle recommande au gouvernement de nommer un organisme responsable d’adopter des normes d’entretien et de les faire appliquer.

Il est certain que de cette manière, on aurait diminué les risques d’une nouvelle éclosion.

Celle-ci aurait cependant pu se produire de toute manière, car il y aura toujours des délinquants, tout comme les policiers et les limites de vitesse sur les routes ne garantissent pas qu’il n’y aura jamais de chauffard. En cas d’éclosion, on aurait toutefois pu punir les coupables de mauvais entretien.

Mais pour que ces normes servent à quelque chose, encore faudrait-il payer des gens pour les faire respecter – tout comme on peut supposer que sans policiers, les limites de vitesse sur les route auraient un effet… limité. Des milliers d’immeubles à surveiller impliquent un budget conséquent.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Alors que le budget de la santé a littéralement explosé dans les dernières années, n’importe quel politicien responsable aurait d’abord voulu connaître l’efficacité potentielle d’une telle mesure pour sauver des vies, comparé à d’autres dépenses en santé publique, sur la lutte au tabagisme, la grippe ou je ne sais quoi, qui tuent beaucoup plus de gens que la légionelle.

Chose certaine, rien n’oblige un ministre de la santé à suivre ce genre de recommandation. Son travail est de gérer les priorités, pas d’acquiescer les yeux fermés à tous les avis.

Dans son rapport de 1997, la Direction de la santé publique de Québec recommandait aussi qu’on effectue une évaluation de l’état des tours de refroidissement au Québec. Cela aurait certainement dû constituer une priorité. Mais ni la Régie du bâtiment, ni l’Institut national de santé publique, ni les ministères de la santé du gouvernement péquiste de l’époque, puis du gouvernement libéral, ne se sont attelés à cette tâche. La Direction de la santé publique de Québec n’est pas allée plus loin non plus. Et personne dans la population, dans les médias ou chez les proches des victimes ne l’a réclamé haut et fort.

Il faut dire que la légionelle tue beaucoup, beaucoup moins de gens que nombre d’autres problèmes de santé publique. La lutte à cette maladie n’a jamais été, jusqu’à cet été, considérée comme une priorité.

Il aurait pourtant peut-être suffi d’une enquête statistique auprès de quelques dizaines d’immeubles pour qu’on puisse se faire une idée de l’état des tours de refroidissement. On aurait alors pu estimer la pertinence de réglementer l’entretien, en se basant aussi sur ce qui se fait ailleurs dans le monde.

En France, par exemple, la surveillance de la légionelle est obligatoire pour toutes les tours de refroidissement, et dans l’eau de tous les lieux recevant du public depuis janvier 2012.

En ordonnant une enquête publique sur le travail de la santé publique dans ce dossier, le ministre de la sécurité publique Robert Dutil cherche avant tout à rassurer la population… et à se faire du crédit politique.

Et je ne serais pas surprise qu’il aboutisse à la conclusion que la crise actuelle est avant tout due au fait qu’une bactérie présente naturellement dans l’environnement s’est multipliée, à la faveur d’un été caniculaire, dans un quartier défavorisé comme Saint-Sauveur, qui abrite un grand nombre de personnes pauvres plus vulnérables aux maladies infectieuses telles que la légionellose et beaucoup de tours de refroidissement. Est-ce vraiment la faute de la santé publique ?

Une enquête épidémiologique sur l’éclosion serait bien suffisante.

Plutôt que de chercher à tout prix un bouc émissaire, on ferait mieux de rattraper le temps perdu et d’évaluer une bonne fois pour toutes l’état des tours de refroidissement des immeubles au Québec, histoire de voir si nous courrons réellement de grands risques avec cette bactérie en l’absence de normes… Après tout, les éclosions ne sont pas si fréquentes que cela : la dernière date de 15 ans !

Si on découvrait qu’un immeuble sur 10 000 au Québec est susceptible de propager la légionelle, adopter une norme et payer des inspecteurs ne serait peut-être pas raisonnable.

Mais si cette proportion atteint un immeuble sur trois, particulièrement aux environs de quartiers défavorisés, il est très certainement temps d’agir !

Chose certaine, la décision devrait se prendre sur des bases rationelles, et non pour simplement rassurer la population ou se faire du crédit politique.

Pourquoi Québec ?

Comment cela fait-il par ailleurs que c’est la seconde éclosion à toucher la ville de Québec en 15 ans? Y a-t-il quelque chose que l’on fait particulièrement mal à Québec qui expliquerait cette «malédiction» ? Est-ce dans l’air ? Un nouveau «mystère de Québec » ?

Les deux explications les plus probables sont malheureusement bien moins excitantes :

1. Parce que depuis l’éclosion de 1996, les médecins de Québec et les autorités sont particulièrement vigilantes et habiles à détecter les légionelles. Car pour trouver des cas de légionellose… encore faut-il les chercher !

Onze morts, pour la plupart âgés et malades, peuvent parfairement passer inaperçus par un été caniculaire. Tout comme les 150 personnes chez qui on a découvert, parfois fortuitement, la bactérie. Plusieurs d’entre elles n’avaient ni fièvre, ni autres symptomes indiquant une légionellose, mais comme elles étaient âgées et résidaient dans le secteur, on les a testées… au cas où. Et on a trouvé des légionelles, dont elles se seraient probablement débarassées même sans antibiotiques.

2. Le hasard, que l’on oublie toujours de considérer quand on veut un coupable à tout prix. Qu’une telle éclosion touche deux fois en quinze ans une ville plutôt qu’une autre ne veut strictement rien dire en termes de probabilités…

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Les commentaires sont fermés.

Bonjour,

Cette grave situation est l’exemple parfait de la »petite » politique. plutot que de TOUT faire afin de mettre un terme à cette épidémie les politiciens se jettent la blame l’un sur l’autre. Des personnes meurent…AGISSEZ!

Bravo, qu’elle analyse pertinente et juste de cette épidémie. Pour une fois que je lis un article qui sans être alarmiste, explique les faits et surtout nous fait comprendre quels sont les risques réels, ça fait changement de l’enflure journalistique habituelle.
Clair, net et concis, merci.
J.Baril md

Excellent résumé de la situation. Il présente bien la réalité et le contexte souvent complexe et nuancé des interventions des autorités de santé publique. Une réalité dont peu de gens du public
ont connaissance (peut-être un point à améliorer de la part des autorités). Merci de faire oeuvre utile en la présentant de façon claire et succinte.

Je suis d’accord avec votre pronostic sur l’issue probable de l’enquête publique.

article très bien écrit et qui résume très bien la situation et émet des constats et des hypothèses peritnents.

On blâme les politiciens, les fonctionnaires, la santé publique, mais aucun mot sur les propriétaires immobiliers criminellement responsables de cette épidémie. des tout croche qui n’ont qu’un dieu, l’argent.

C’est toujours la faute des autorités, mais ils vont encore s’en tirer.

La légionnelle est une bactérie sous-terraine qui est dispersée dans l’air lors de travaux d’Excavation profonde comme la construction du Centre des congrès, il y a 15 ans ou cette de l’édifice actuellement en construction aqu coin de D’aiguillon et Honoré-Mercier.
De là, les bactéries sont incubées dans les tours à refroidissement et sont redispersées à partir de là.
Il faut surveiller les travaux d’excavation et les tours à refroidissement en aval des vents qui peuvent la transporter.
Pas de mystère là.
Il s’agit d’apprendre.

Pourquoi Québec ?

Peut-être qu’à Québec on se préoccupe plus du future nouveau Colisée, de Labaume et des radio poubelles que de la santé des citoyens.

«Lorsque l’on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ça n’est pas forcément le pot qui est vide.»
[Confucius]