L’équité, un indicateur essentiel dans le suivi de la COVID-19

La pandémie a frappé de façon disproportionnée les communautés les plus vulnérables de la société. L’exemple de la Ville de Toronto, qui a recueilli et analysé des données pour évaluer l’équité de ses stratégies d’aide, pourrait inspirer d’autres administrations.

Angelina Bambina / Getty Images / montage : L’actualité

La Dre Nakia K. Lee-Foon (Ph.D.) est boursière postdoctorale à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto. Ses travaux vont de l’examen de l’équité dans les systèmes de soins de santé à l’exploration des connaissances en matière de santé sexuelle des jeunes hommes qui s’identifient comme noirs et qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes à Toronto.

Le Dr Adalsteinn Brown est professeur et doyen de l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto. Ses recherches portent sur les politiques de santé, la mesure de la performance des systèmes de santé et l’amélioration des programmes de formation des doctorants. 

La pandémie de COVID-19 a profondément remis en question la capacité des gouvernements à combattre efficacement les menaces pour la santé publique. Une analyse minutieuse de ce qui est arrivé et de ce qui aurait dû arriver révélera sans aucun doute des problèmes allant des lacunes dans la surveillance de la maladie à l’approvisionnement limité en équipements de protection individuelle, en passant par les difficultés dans la communication et l’utilisation des preuves émergentes par les chercheurs et les décideurs.

Il est indéniable qu’au début de la pandémie, les nombreuses autorités n’ont pas tenu compte de l’effet inéquitable des maladies infectieuses sur les sociétés, un fait largement reconnu.

Au commencement de la crise sanitaire, le Canada n’était pas préparé à la propagation rapide du SRAS-CoV-2 ni à ses conséquences sur les systèmes de santé. Une fois que la contamination est devenue incontestable, les réponses de nombreuses provinces ont été brutales, avec pour seul objectif de réduire les contacts entre les personnes et, par le fait même, la transmission du virus. Bien que ces mesures aient permis de réduire les taux d’infection et probablement de sauver des milliers de vies, certains chercheurs et responsables de la santé publique ont très tôt préconisé de mettre l’accent sur l’effet inéquitable de la pandémie, mis en évidence par des statistiques provenant de pratiquement toutes les administrations et montrant systématiquement une surreprésentation des populations racialisées ou à faible revenu et d’autres groupes marginalisés parmi les victimes de la COVID. Ces populations constituent une part importante de la main-d’œuvre essentielle qui, directement ou indirectement, a une incidence sur la vie et la santé de tous les membres de la société. Cette surreprésentation a fait ressortir le décalage entre l’objectif des gouvernements de diminuer les effets de la COVID et la perturbation de la société qu’elle a entraînée.

Il n’existe pas de définition universelle de l’équité en santé. Nous la définissons donc ici comme la réduction des disparités évitables en matière de santé ainsi que de leurs facteurs dans les groupes fondés sur les déterminants sociaux de la santé ou les privilèges découlant du statut socioéconomique, de l’identité sexuelle, de la race, de l’éducation et d’autres types de distinctions. Au Canada, certains chercheurs ont adopté une optique d’équité en santé pour analyser et traiter la COVID. Cependant, on constate des différences dans la façon d’envisager la réduction des maladies sous cet angle. Les approches et les cadres divers compliquent les efforts en ce sens, malgré le lien entre l’amélioration des déterminants sociaux et la santé.

Ces variations ont entraîné une concentration de la maladie dans les quartiers racialisés et à faible revenu. De nombreux gouvernements, à tous les niveaux, ont tardé à mettre en place des politiques visant à remédier à ces inégalités. Par exemple, au début de la pandémie, en janvier 2020, l’Ontario a fait de la COVID une maladie à déclaration obligatoire. Il a également instauré de vastes mesures de santé publique au printemps. 

Bien que les chercheurs aient constaté des disparités entre les strates socioéconomiques dans les premiers mois de la crise sanitaire, les réponses provinciales axées sur l’équité n’ont commencé qu’au milieu de la deuxième vague, à l’exception d’un moratoire sur les expulsions de locataires annoncé au cours de la première vague. Ces réponses tardives et incohérentes ont incité des groupes tels que les hôpitaux et les centres de santé et organisations communautaires à élaborer leurs propres interventions pour lutter contre les inégalités au sein des communautés qu’ils desservent.

Les données canadiennes sur les cas de COVID montrent sans équivoque que les approches et les cadres de travail axés sur l’équité en matière de santé doivent considérer les facteurs qui rendent les populations racialisées et à faible revenu plus vulnérables à l’exposition à la COVID et au décès qui peut en découler.

L’exemple torontois

La nécessité d’un tel angle est évidente en Ontario, province qui compte le plus grand nombre de cas de COVID au pays.

En l’absence de règles normalisées à l’échelle de la province pour recueillir des données fiables sur les facteurs sociaux, certains services de santé publique ont pris l’initiative d’extrapoler l’effet de la COVID sur les populations vulnérables. Par exemple, le plus grand service de santé publique de la province, Toronto Public Health (TPH), recueille des données sur certains des principaux déterminants sociaux de la santé (par exemple, l’identité raciale, le revenu, la taille du ménage). Les axes de collecte des données (les questions sociodémographiques notamment) s’appuient sur les données relatives aux maladies recueillies dans d’autres localités, et ces axes influent grandement sur d’autres résultats en matière de santé. Les observations sont destinées à informer le TPH, la Ville de Toronto ainsi que les services de santé de la Ville et les collaborateurs de la communauté sur les efforts déployés pour lutter contre les disparités liées à la COVID, en particulier parmi les populations et dans les quartiers le plus durement touchés par le virus.

Les données ont révélé des tendances étonnantes, mais non surprenantes, de la maladie. Par exemple, la plupart des cas de COVID (72 %) se trouvent parmi les populations racialisées et 44 % chez les ménages à faible revenu. Les communautés racialisées et les nouveaux arrivants sont souvent surreprésentés dans les services essentiels à bas salaire et sont en contact direct avec le public. Ils s’exposent donc à un risque de transmission plus élevé en raison de la nécessité de poursuivre leur travail (indispensable) et des difficultés d’accès aux ressources essentielles telles que les équipements de protection individuelle, sans compter leurs logements exigus. Ces facteurs, combinés à la comorbidité, au racisme, à l’exclusion sociale et aux quartiers mal desservis en services de toutes sortes, augmentent leur risque de contracter la COVID.

À l’automne 2020, le TPH a été chargé de créer un ensemble d’indicateurs d’équité relativement à la COVID qui ont été intégrés dans le tableau de surveillance de la pandémie de la Ville. Ce tableau de bord du coronavirus semble être l’un des rares au Canada à présenter explicitement des données sur l’équité et la race. Il comporte également des indicateurs sur : la propagation et l’endiguement du virus, les tests de laboratoire, la capacité du système de soins de santé et la santé publique. Il fournit des informations sur l’état actuel de la pandémie et suit les variations des taux de maladie dans la ville. La catégorie « équité » vise à signaler les inégalités de revenu, de race et de quartier par rapport aux taux de vaccination et de cas de COVID. Ces indicateurs peuvent mettre en évidence les zones qui nécessitent une attention, un examen et des mesures supplémentaires. En outre, ils aident les chercheurs, les décideurs, les fonctionnaires et les membres de la communauté à suivre de près les populations présentant un risque accru d’exposition, les progrès accomplis dans la lutte contre le coronavirus et les disparités entre les taux d’infection.

Ces données peuvent avoir renforcé le caractère équitable des interventions de la santé publique et contribué à réduire les taux de COVID dans ces populations. Par exemple, la première analyse des données sociodémographiques réalisée par TPH en juillet 2020 a révélé que les Noirs et les Latinos avaient des taux de COVID de 6 à 11 fois plus élevés que les Blancs. Ces données ont amené la Ville à mettre rapidement en œuvre diverses interventions dans des zones durement touchées et à organiser des consultations communautaires afin de réagir plus équitablement aux maladies. Les actions allaient des annonces multilingues de la santé publique à la gratuité des services d’urgence de garde d’enfants.

La reconnaissance de l’inégalité a façonné les politiques relatives à la COVID de la Ville et a contribué à protéger la vie des populations présentant un risque accru d’exposition à la maladie et d’infection. Cet effet confirme à nouveau la nécessité de s’éloigner de la collecte de données agrégées, une méthode couramment utilisée dans les établissements de santé canadiens. En rendant facilement accessibles les données désagrégées, on s’assure que les ressources en santé peuvent être distribuées d’une manière qui répond mieux aux besoins des populations. Comme l’a noté une étude évaluant les rapports sur la COVID axés sur l’équité en matière de santé au Canada, l’absence de données relatives aux milieux à risque ou aux marqueurs sociaux peut masquer des disparités plus importantes autour de la COVID.  

Un modèle à suivre

Le tableau de bord de Toronto offre aux établissements de santé municipaux et nationaux un modèle d’intégration de l’équité dans leurs rapports et leur planification concernant la COVID. Cela peut se faire principalement de deux façons :

Premièrement, il faut inclure des indicateurs d’égalité dans les tableaux de bord de la COVID. Il ne suffit pas d’affirmer que l’équité est une composante de lutte contre la COVID, il faut préciser comment elle est évaluée, mesurée et mise en œuvre. Ces informations peuvent aider les établissements de santé à mieux comprendre la propagation des maladies et, éventuellement, à cerner les inégalités sous-jacentes et s’y attaquer. Pour recueillir des renseignements pertinents, les chercheurs doivent examiner de manière critique les facteurs préexistants qui aggravent les problèmes de santé et les utiliser pour bonifier leurs indicateurs.

Les indicateurs doivent aussi servir à évaluer l’équité des soins offerts par les établissements de santé. Cette mesure est importante, car la Ville de Toronto affirme que ses indicateurs d’inégalité ne permettent pas de déterminer les stratégies visant à y remédier, mais que les données peuvent être utilisées pour évaluer le degré d’équité entre les différentes stratégies. Cela permet de s’assurer que les stratégies sont examinées minutieusement en fonction de leur capacité à fournir des services de qualité, efficaces et accessibles, qui répondent aux besoins de la population.

Deuxièmement, il faut procéder à une collecte de données désagrégées en santé. Bien que cette suggestion ne soit pas nouvelle et que certains scientifiques canadiens spécialisés dans le domaine réclament depuis des années un effort concerté en ce sens, la COVID en a encore souligné la nécessité, au même titre qu’elle a révélé d’autres lacunes majeures et évitables dans les connaissances sur les soins de santé. Si elles sont recueillies correctement et mises en contexte par des organismes communautaires ou des intervenants qualifiés, les données peuvent être utilisées pour améliorer les soins de santé dans leur ensemble. 

Alors que les établissements de santé sont toujours contraints de mieux lutter contre la COVID, il est vital de disposer d’un tableau de bord qui montre les inégalités émergentes relatives au coronavirus en temps réel. Ce type de tableau peut non seulement révéler les tendances, mais aussi contribuer à sauver la vie de ceux qui sont souvent négligés par les approches traditionnelles de surveillance des maladies.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site Healthy Debate.

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