Maximilian de Courten est professeur de santé publique et directeur de l’Institut Mitchell à l’Université de Victoria, en Australie. Moira Junge et Shantha Rajaratnam sont respectivement psychologue et assistante de recherche, et professeur de médecine du sommeil et du rythme circadien, à l’Université Monash, en Australie.
Si vous avez souvent du mal à vous endormir ou à passer une nuit de sommeil correcte, vous vous êtes peut-être demandé s’il serait utile de recourir à une application pour téléphone intelligent, à un bracelet connecté ou à un autre dispositif de suivi du sommeil pour tenter de résoudre le problème. Cette tendance à l’autosurveillance du sommeil a le vent en poupe. Elle pourrait cependant aboutir à un paradoxe en mettant en place des schémas de stress et d’éveil qui exacerbent les troubles au lieu de les régler. Explications.
Qu’est-ce qu’un sommeil « normal » ?
La quantité de sommeil nécessaire ainsi que les préférences du coucher, tôt ou tardif, varient beaucoup d’une personne à l’autre. Certaines de ces différences sont liées non seulement à l’âge, mais aussi à des facteurs culturels, environnementaux ou comportementaux. D’autres sont, au moins en partie, d’origine génétique.
En plus de ces écarts entre individus, tout un chacun est naturellement soumis à un degré assez élevé de variation du sommeil (tout en restant dans ce qui est considéré comme la norme) — la qualité de notre sommeil n’est jamais exactement la même d’une nuit à l’autre, et cela ne nous surprend généralement pas. La plupart des adultes ont besoin d’autour de 8 heures de sommeil par 24 heures, mais selon les gens, ce besoin peut osciller entre 6 et 9 heures environ.
Les causes de cette variation « normale » du sommeil ne sont pas encore bien comprises. Toujours est-il que certaines personnes qui jugent leur sommeil, en quelque sorte, inadéquat craignent tellement de ne pas passer une « bonne » nuit qu’elles se voient envahir par une sorte d’anxiété de performance, ce qui crée une angoisse au moment de dormir.
Comment fonctionnent les applications de suivi du sommeil ?
La plupart des applications récentes de suivi du sommeil utilisent des données telles que le son, la fréquence cardiaque et le suivi des mouvements (lesquels sont censés indiquer la période durant laquelle l’utilisateur est couché ou levé) pour estimer ce qui se passe durant la nuit.
Nombre de ces applications utilisent des données provenant de dispositifs portables, tels que la montre Apple Watch, pour calculer un score de sommeil et créer des graphiques qui illustrent les modifications survenues au fil du sommeil. Ces analyses basées sur les sons, les mouvements et la fréquence cardiaque du dormeur peuvent être complétées par des questions sur la qualité du sommeil.
Les auteurs de ces applis prétendent qu’elles peuvent mesurer combien de temps un dormeur passe en sommeil léger, en sommeil profond et en sommeil paradoxal, caractérisé par des mouvements oculaires rapides (MOR), ainsi que le nombre de dérangements qui se produisent au cours de la nuit. Mais est-ce vraiment le cas ?
Ces applications sont-elles précises ?
Souvent, les sites Web qui comparent les applications de sommeil pour déterminer lesquelles sont les plus performantes se contentent de lister et de tester les fonctionnalités et les caractéristiques proposées, sans toutefois vérifier si les mesures réalisées sont vraiment aussi justes que leurs concepteurs le prétendent.
Or, bien que ces traceurs soient devenus relativement précis pour ce qui est de distinguer l’état de sommeil de l’état de veille, leur capacité à évaluer les différents stades du sommeil demeure peu fiable et manque encore de cohérence.
L’utilisation des applications de suivi du sommeil présente-t-elle des risques ?
Il ne faut pas accorder trop d’importance à ces données, qui peuvent être vagues. Et surtout, il faut éviter de se fixer des objectifs de sommeil irréalistes, qui pourraient nous rendre trop anxieux à ce sujet. On ne doit pas d’emblée considérer qu’un sommeil non uniforme est problématique ni que les réveils nocturnes sont anormaux.
Jusqu’ici, seul un nombre restreint d’études ont évalué la manière dont ces accessoires pourraient être utilisés efficacement pour susciter un changement de comportement positif en matière de « santé du sommeil ». Et les travaux qui ont été menés ont recouru à de petits échantillons. L’étude la plus récente a révélé un léger effet bénéfique — mais cela concernait des volontaires en bonne santé n’ayant aucune difficulté à dormir.
L’attention accrue portée à l’optimisation de ces données biométriques risque en revanche d’entraîner des problèmes inattendus, tels qu’une focalisation sur l’obtention des bons chiffres. Cela est en train de devenir si courant qu’un nom a été forgé pour le désigner : l’orthosomnie.
Qu’est-ce que l’orthosomnie ?
Décrite comme un phénomène anxieux qui touche les gens obsédés par les résultats de leurs applications ou dispositifs de suivi du sommeil, l’orthosomnie n’est pas un trouble médical. Les connaissances actuelles sur le sujet ne reposent que sur de petites études de cas portant sur peu de participants.
Les personnes souffrant d’orthosomnie ont tendance à penser que les dispositifs de suivi offrent des informations très précises sur le sommeil. Elles se fient davantage à ces données qu’à des tests plus objectifs, comme un examen complet du sommeil mené durant toute une nuit dans une clinique spécialisée (polysomnographie).
Cela peut les conduire à adopter des comportements peu efficaces pour améliorer la qualité du sommeil (comme passer plus de temps au lit afin de bonifier les données collectées, ce qui, paradoxalement, détériore la qualité et la quantité de sommeil).
Faut-il désinstaller les applications de suivi du sommeil ?
Pour les personnes qui dorment bien et qui sont intéressées par l’analyse de leurs données, ces dispositifs peuvent présenter un attrait certain. Dans ce contexte, ils sont dénués de risque. Cependant, si la qualité de votre sommeil vous préoccupe et constitue une source d’anxiété, vous n’êtes probablement pas le candidat idéal pour ce type de suivi.
Et il faut surtout garder à l’esprit qu’aucun dispositif commercial n’égale votre propre cerveau quand il s’agit de vous faire comprendre que vous ne dormez pas assez… Si vous demeurez alerte et capable de vous concentrer (sans la béquille de la caféine), si vous avez l’impression d’avoir une bonne qualité de vie au travail et à la maison, alors vous dormez sans doute suffisamment !
Cet article est republié à partir de La Conversation sous licence Creative Commons.

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