Les États-Unis à la chasse aux ovnis

La traque des « phénomènes aériens non identifiés » a repris, mais les initiatives sérieuses de l’armée américaine et de scientifiques pour les étudier restent bien embourbées dans la croyance aux extraterrestres.

Illustration : Catherine Gauthier pour L’actualité

Alex Dietrich a vu un ovni en 2004 sur la côte sud de la Californie. Pilote de chasse de la marine américaine maintenant retraitée, elle a raconté l’événement plus tard dans les grands médias, comme le New York Times, le réseau PBS et l’agence de presse Reuters. « Nous sommes entrés en contact visuel avec un phénomène aérien non identifié. Ça ressemblait à un bonbon Tic Tac, mais en plus grand, blanc, oblong, sans ailes ni moyen de propulsion apparent. Il manœuvrait d’une façon que nous ne sommes pas parvenus à reconnaître, ni à classer, ni à identifier. »

Le témoignage est corroboré par les enregistrements de caméras et de radars, et par trois autres pilotes. Avec environ 400 autres, il nourrit une croyance aux extraterrestres qui enflamme la sphère sociale et, par contamination, la sphère politique américaines. Depuis quelques années, le Congrès exige donc du Pentagone, qui collige depuis toujours les témoignages de ses pilotes, qu’il rende des comptes. En cette ère de fake news et de méfiance envers les autorités, le département de la Défense, bien malgré lui, alimente ainsi les thèses extraterrestres et les théories du complot.

D’un côté, une partie du peuple convaincue que des extraterrestres nous visitent depuis des décennies et qu’on nous cache des choses. De l’autre côté, des sceptiques qui admettent l’existence de phénomènes inexpliqués, sans pour autant sauter à la conclusion qu’il s’agit de visiteurs. La classe politique, elle-même issue du peuple, compte bien sûr des gens des deux clans.

Et au centre de cette mêlée, le département de la Défense, depuis longtemps avare de détails sur ces « rencontres », sécurité nationale oblige.

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Les programmes officiels se sont succédé au fil des décennies. Sign, en 1948, n’apporte aucune explication, pas plus que Grudge, en 1949, qui tente carrément d’étouffer les rumeurs de visites extraterrestres. Blue Book, de 1952 à 1969, analyse plus de 12 500 témoignages — la plupart renvoyant à des explications naturelles, à l’exception d’environ 700. Le rapport final déclare que la science n’a rien d’intéressant à trouver concernant le phénomène des ovnis, ce qui met un terme à la recherche scientifique dans ce domaine.

Mais en 2017, mis devant des vidéos de pilotes qui ont fuité sur le Web, le département de la Défense admet qu’un autre programme secret portant sur les ovnis, l’Advanced Aerospace Threat Identification Program (programme avancé d’identification des menaces aérospatiales), a été actif de 2007 à 2012. La machine à rumeurs s’emballe.

En avril 2020, le Pentagone tente de montrer qu’il ne cache rien : il rend officiellement accessibles trois vidéos, dont celle d’Alex Dietrich. Les films en teintes de gris et au grain grossier laissent voir des objets flous bougeant de façon inexplicable. Loin d’apaiser les esprits, cela émoustille jusqu’aux membres du Congrès, qui ordonnent au Pentagone de créer à nouveau un bureau consacré aux ovnis et de produire des rapports annuels.

En août est mis sur pied le Groupe de travail sur les phénomènes aériens non identifiés (Unidentified Aerial Phenomena Task Force). Notez que les objets volants non identifiés, ou ovnis (unidentified flying objects, ou UFO), sont maintenant des phénomènes aériens non identifiés (unidentified aerial phenomenas, ou UAP). On tente ainsi de faire une coupure avec l’hypothèse extraterrestre, trop spontanément associée au terme UFO. La mission officielle du bureau : déterminer si ces phénomènes constituent une menace pour la sécurité du pays. Un an plus tard, le mandat s’élargit encore et le bureau est rebaptisé Groupe de synchronisation de l’identification et de la gestion des objets aéroportés (Airborne Object Identification and Management Synchronization Group).

Le 25 juin 2021 est publié un court rapport sur 144 observations faites par des pilotes de 2004 à 2020. Même si de simples blogueurs avaient déjà trouvé des explications toutes terrestres à certaines vidéos, le rapport ne fournit aucune explication rationnelle ; mais pour l’une des premières fois, le gouvernement reconnaît l’existence de ces signalements.

Le Congrès en redemande. Le 17 mai 2022, le Pentagone confirme — sans établir de lien avec des visiteurs de l’espace — que les UAP sont réels et qu’ils représentent une menace sérieuse. Il mentionne que les signalements sont fréquents et continus, particulièrement autour des bases militaires et des zones d’entraînement. 

L’astrophysicien Abraham Loeb a lancé le projet Galileo, voué à l’étude scientifique des phénomènes aériens non identifiés.

En juin, le Congrès et le public apprennent d’un journaliste que le rapport déposé un an plus tôt avait à sa tête l’astrophysicien Travis Taylor, star de la téléréalité et adepte notoire de l’hypothèse extraterrestre. « Je commence à comprendre pourquoi la Task Force a eu tellement de difficulté à déterminer la nature de ses UAP », écrit sur son blogue Robert Sheaffer, grand sceptique de la question ufologique régulièrement cité dans les médias. « Les études sont dirigées par quelqu’un qui croit au surnaturel. » Pour l’aura de rigueur, le Pentagone repassera. Un mois plus tard, la branche des ovnis précise sa mission et change encore de nom pour devenir le Bureau de résolution des anomalies pour tous les domaines (All-domain Anomaly Resolution Office)… 

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Mais comment expliquer ces « Tic Tac » volants ? « La réponse honnête, c’est “on ne sait pas” », répond Robert Lamontagne, astrophysicien retraité de l’Université de Montréal. Et, rappelle-t-il, il s’agit là d’une réponse scientifique tout à fait acceptable. « Mais ce n’est pas une raison pour se tourner vers l’hypothèse extraterrestre, il y a plus plausible. » Phénomènes atmosphériques, artéfacts d’appareils radars et de caméras, illusions sensorielles… « Au-delà de quelques centaines de mètres, par exemple, les humains sont très mauvais pour évaluer à quelle distance se trouve un objet. Et s’il était plus près qu’on le croit et que, de ce fait, il bougeait moins vite qu’on le pense ? » Dans bien des cas signalés, les pilotes volaient à haute vitesse et ont aperçu l’objet pendant une seconde ou moins…

Selon l’astrophysicien, on pourrait compenser certains biais, par exemple avec les images des avions de chasse, qui incluent de nombreuses données, comme la vitesse de l’avion, l’altitude, l’angle d’observation… « Les rapports présentés sont de simples recensements de cas, sans réelles tentatives d’explication. Aucune analyse de ces données n’a été publiée pour préciser la distance et la vitesse des objets. »

Mais un scientifique pourrait bien fournir un jour des données probantes sur la nature de ces ovnis : Abraham « Avi » Loeb. Astrophysicien à l’Université Harvard, il a lancé en juillet 2021 le projet Galileo, un regroupement d’environ 70 chercheurs voué à l’étude scientifique des UAP. « Au lieu d’analyser des témoignages imprécis et sporadiques provenant d’observateurs sous le coup de la surprise », explique-t-il régulièrement dans les médias et sur sa chaîne YouTube, « nous installons des capteurs dans les endroits où les phénomènes sont fréquents et nous surveillons le ciel méthodiquement, afin d’avoir des données contrôlées et fiables. »

Le chercheur a obtenu des millions de dollars du privé pour mettre au point une unité d’observation en dôme, grosse comme un parapluie, truffée de caméras optiques et infrarouges, de senseurs audio et d’antennes radio. Plusieurs centaines de ces dispositifs seront déployés partout sur la planète. Le système enregistrera tout ce qui passe dans le ciel : insectes, avions ou drones. Des algorithmes d’intelligence artificielle lanceront une alerte lorsqu’un objet inusité sera détecté.

Cependant, selon une enquête faite par la revue Science, l’équipe d’Avi Loeb compte des tenants de la thèse extraterrestre. « Des chercheurs enclins à croire aux visiteurs, ça inspire difficilement confiance, souligne Robert Lamontagne. Vouloir des données brutes est une excellente idée. Mais encore faut-il ne pas être partial dans l’analyse de ces données. »

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L’astrophysicien Robert Lamontagne me paraît manquer d’objectivité scientifique en mettant en doute au départ les conclusions du projet Galileo parce que certains de ses membres ne rejettent pas l’hypothèse de l’origine extra-terrestre des phénomènes observés.

Le but du projet Galileo est de faire la lumière sur le phénomène des OVNI en ne rejetant aucune hypothèse. Ça semble en accord avec la méthode scientifique de ne rejeter aucune hypothèse pour expliquer un phénomène observé tant qu’une autre hypothèse plus probable ne l’ait écartée.

La plupart des chercheurs ont traditionnellement eu un biais à cet effet en rejetant en partant toute possibilité d’explication extraterrestre des phénomènes d’OVNI observés.

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