Les histoires fabuleuses que me raconte votre électrocardiogramme

L’ECG révèle beaucoup plus que la vitesse du courant électrique qui traverse le cœur, comme on l’a vu dans STAT cette semaine. Le Dr Alain Vadeboncœur explique de quelle manière ce test donne d’incroyables indices sur une foule de problèmes de santé. 

Photo : Daphné Caron pour L’actualité

Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran. 

En 1892, quand le futur Prix Nobel de médecine Willem Einthoven réalise le tout premier électrocardiogramme (ECG) humain, transférant ainsi sur papier cette surprenante captation de l’électricité cardiaque, il ne sait pas jusqu’où mèneront ses remarquables travaux.

Non seulement l’ECG est devenu un des tests le plus souvent effectués en médecine, mais il nous raconte d’incroyables histoires, que son créateur n’a jamais pu imaginer. Je vais vous en conter quelques-unes.

Une intoxication insoupçonnée

Dans l’épisode de STAT du 9 février, un patient admis pour coma, placé sous respirateur en raison d’une hypothermie sévère, se met soudainement à convulser. L’urgentologue demande à voir… l’ECG. Cela vous paraîtra peut-être curieux, les convulsions concernant plutôt le cerveau que le cœur !

Il y trouve pourtant tout de suite un signe lui permettant de soupçonner la cause des convulsions : une intoxication probable à un « bloqueur des canaux sodiques », soit plusieurs substances, des antidépresseurs à la cocaïne en passant par les antiarythmiques et même… certains anticonvulsivants.

Ces produits se trouvent à bloquer les canaux « ioniques » (le sodium est un « ion ») essentiels dans la genèse de courants électriques vitaux, qui assurent non seulement l’activité cardiaque, mais aussi celle de notre cerveau et même de nos muscles.

Lorsqu’on bloque les canaux de transport cellulaire du sodium, l’ECG se modifie rapidement, affichant un signe particulier qui vous semblera sans doute incompréhensible : une grande « onde R » dans l’une des 12 zones de l’ECG, nommée « aVR ». Sur le schéma, la flèche en rouge pointe une onde R élevée et anormale, en comparaison avec l’aspect normal à gauche.

Ce mystérieux signe est une clé essentielle pour décider d’administrer sans tarder des injections de bicarbonates qui contrecarrent les effets mortels des produits mentionnés.

L’ECG : un test remarquable

L’ECG complet correspond à l’enregistrement, transcrit sur papier ou visible sur un écran, des courants électriques traversant le cœur durant 10 secondes. On peut aisément les capter par des électrodes placées à la surface du thorax et sur les membres.

Chaque ECG est divisé en 12 sections, chacune correspondant à une dérivation électrique distincte, en lien avec une vision différente de l’électricité cardiaque. Elles portent des noms bizarres : 

  • aVR, aVL et aVF pour les dérivations des membres (bras droit et gauche et jambe gauche)
  • I, II, III pour les dérivations calculées entre les électrodes des membres (bras droit à bras gauche, bras droit à jambe gauche, bras gauche à jambe gauche) 
  • V1 à V6 pour les six dérivations placées sur le thorax, de droite à gauche du cœur

La séquence normale d’un cycle électrique apparaît comme une suite d’ondes baptisées par Einthoven lui-même « P-QRS-T », lues de gauche à droite. Chacune correspond à une partie précise du trajet de l’électricité dans le cœur :

·  L’onde P coïncide avec le premier passage de courant dans les oreillettes (droite et gauche), ces cavités de petite taille en haut du cœur par où le sang arrive dans les deux sections parallèles du cœur.

·  La QRS représente le passage de l’électricité dans les deux ventricules (droit et gauche), cavités plus grandes d’où le sang se trouve ensuite propulsé vers les artères, pulmonaire à droite, aorte à gauche.

·  L’onde T concerne pour sa part l’importante phase du retour des ventricules à l’état d’équilibre électrique (et de repos physique). Notez qu’une onde U suit parfois cette onde T, surtout… si votre potassium est bas !

Source de l’illustration : https://kingoflifescience.blogspot.com/2020/12/electrocardiograph.html 

Comme on diagnostique les arythmies cardiaques en analysant notamment les altérations de cette séquence électrique normale « P-QRS-T », l’ECG sert d’abord à les repérer. On y trouve alors, par exemple, des ondes supplémentaires appelées « extrasystoles » :

Pour ce qui est des arythmies rapides, on observe des circuits anormaux dans les oreillettes ou les ventricules, comme dans une tachycardie ventriculaire : 

Quand le chaos frappe les oreillettes, on parle de fibrillation auriculaire :

Si c’est plutôt le chaos dans les ventricules, il s’agit d’une fibrillation ventriculaire, arythmie mortelle pendant laquelle le cœur cesse tout pompage. 

Inversement, les rythmes anormalement lents montrent directement les divers degrés de ralentissement ou de blocage des ondes variées.

Au-delà de l’analyse des arythmies, l’ECG permet aussi d’examiner les répercussions des blocages des coronaires, ces artères qui nourrissent le cœur, ce qui cause le terrible « infarctus ». Il est habituellement diagnostiqué par une élévation du « segment ST », situé entre le QRS et l’onde T, sur une portion de l’ECG.

L’analyse de l’ECG permet également de soupçonner une foule d’anomalies cardiaques moins urgentes, allant de l’hypertrophie du puissant muscle ventriculaire aux élévations de pression dans le cœur droit, et de la dilatation d’une des oreillettes aux affections génétiques cardiaques les plus diversifiées.

Et même au-delà du cœur !

L’ECG est aussi une étonnante fenêtre sur plusieurs problèmes de santé souvent rencontrés à l’urgence, mais qui ne touchent pas directement le cœur, plutôt son environnement immédiat.

Par exemple, les péricardites, inflammations de l’enveloppe du cœur, produisent sur l’ECG d’autres types d’élévation du segment ST environ deux fois sur trois. Et si du liquide s’accumule autour du cœur en cas de péricardite sévère, des signes étranges apparaissent, comme une alternance des signaux électriques en raison du ballottement du cœur dans le liquide.

Encore un peu plus loin du cœur, si on souffre d’un caillot dans les poumons (phénomène appelé « embolie pulmonaire »), l’ECG sera habituellement anormal.

On y retrouvera alors différentes manifestations allant de sa simple accélération jusqu’à un aplatissement des ondes T ou même des signes de pression élevée du ventricule droit, parce qu’il doit pousser le sang à travers un gros caillot situé dans une artère pulmonaire.

En-dehors de la cage thoracique

Sortons maintenant de la cage thoracique. L’intoxication mentionnée plus haut est un bon exemple d’un diagnostic systémique posé directement à la lecture de l’ECG.

Il est d’ailleurs possible que le patient vu dans STAT, amené pour une hypothermie sévère causée par une noyade, ait présenté une autre anomalie du début du segment ST, appelée onde d’Osborn, assez typique de l’hypothermie.

Plusieurs problèmes d’ions sanguins se reflètent également de manière très évidente sur l’ECG. J’ai déjà mentionné l’onde U, qui apparaît quand le potassium sanguin s’abaisse, nous envoyant ainsi la main pour nous dire : « Hey, je suis bas, faites-moi une prise de sang pour le vérifier SVP ! » 

Une autre intoxication pouvant conduire à plusieurs altérations de l’ECG est l’ingestion de lithium, médicament donné aux personnes souffrant d’un trouble bipolaire.

Inversement, ce même potassium sanguin monte parfois à des niveaux dangereux en cas d’affection rénale, ce qui produit des changements complexes où tout le tracé semble s’étirer sur le long. Un aspect comme le suivant est suffisant pour décider d’un traitement urgent avant même de recevoir le dosage, ce qui peut sauver une vie :

Tout cela n’a rien de surprenant, parce que le potassium, comme le sodium, est un ion important pour la genèse des courants électriques et la contraction cardiaque.

Un troisième ion souvent en cause et que vous connaissez bien, le calcium, tout aussi essentiel dans le fonctionnement électrique et mécanique du cœur, produit d’autres manifestations assez particulières à l’ECG lorsqu’il est trop élevé ou trop bas, une baisse marquée pouvant d’ailleurs provoquer des arythmies cardiaques graves.

Et jusqu’au cerveau !

On peut s’éloigner encore plus du cœur et malgré tout retrouver des anomalies à l’ECG. Par exemple, lors d’une hémorragie au cerveau, des anomalies très variées apparaissent sur l’ECG, probablement en raison de la décharge d’adrénaline intense qui accompagne une telle catastrophe neurologique.

Et comme elles peuvent ressembler aux changements rencontrés pendant un infarctus… l’ECG peut alors nous tromper, parce que si on traite ce « faux » infarctus à l’aide de médicaments couramment donnés en cas d’infarctus pour éclaircir le sang, on risque d’aggraver le saignement cérébral ! Comme vous voyez, l’ECG peut raconter bien des choses !

Un conteur d’histoires

Un simple ECG permet donc de mettre le doigt (médical) sur une foule de problèmes de santé plus ou moins graves et urgents. C’est un outil très utile, même pour des événements fort éloignés du cœur lui-même, notamment pour pointer plusieurs problèmes urgents.

La prochaine fois qu’on vous en fera un, retenez que l’information obtenue pourrait même décrire indirectement ce qui se passe dans votre tête !

Parce que l’ECG, vous ne le saviez peut-être pas, est un étonnant conteur d’histoires, pour peu qu’on prenne le temps de bien le lire. Même s’il en rajoute parfois un peu pour mystifier ses auditeurs.

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Merci! C’est toujours un plaisir de voir que ce genre d’explications rejoint les gens intéressés. 👍

J’ai fait un acv, je ne m’était même pas rendu compte et en par deux fois et cela deux moins d’interval jù,ai fait des crises d’épylepsies ( en jouanr au tennis trés intensément)…Le tout commençait par mon bras droit, des picotements, en fine bref je me suis ramassé à Hosto et j »ai toujours soupconné mon ceur. J’ai un coeur avec une paroi épaisses….Merci pour cette article…B.

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Quel cours magistral ! Je n’ai certes pas tout retenu — il y a tellement de renseignements… Mais votre exposé m’a bien évidemment permis de « comprendre » un tout petit peu mieux comment fonctionnent toutes ces choses mystérieuses qui impactent directement notre santé cardiaque et bien au-delà. Merci beaucoup. Même si mon père était médecin ( psychiatre-neurologue ), je dois avouer que toutes ces questions ( aux implications primordiales dans le vécu de sa santé, comme de la mienne et de tous mes descendants ) n’ont jamais été aussi claires pour moi. Votre exposé d’aujourd’hui, même si je n’en retiendrai manifestement que les « grandes lignes », m’a permis de connecter bien des éléments de ce que j’ai vécu, comme mon père l’a fait, de son côté — lui qui fut un « patient cardiaque » à l’histoire mouvementée. Les divers « accidents » qu’il a vécus, durant les 40 dernières années de sa vie, l’ont manifestement conduit à sa destinée ultime et à son décès.

J’ai noté, en plus, cette brève mention de l’administration prolongée de Lithium, comme médicament pour soigner des troubles bipolaires. Elle aurait pu mener, chez ma mère ( c’est du moins ce que je soupçonne personnellement ) à des « effets secondaires délétères », à long terme, comme l’assèchement de la bouche, la constipation, et ( en combinaison avec un glaucome pas très bien soigné ) à la perte de son oeil droit. Elle qui avait été pianiste, jouait encore ses « morceaux d’antan », avec une main droite parfaitement intacte, mais « sans la main gauche »… Très curieux phénomène, que je n’ai jamais pu expliquer…

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Vraiment intéressant le dessin du cœur qui bat et de la ligne ECG en parallèle. J’y suis revenue plusieurs fois pour mieux comprendre vos descriptions. Merveilleuse machine humaine

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me semble que le moniteur cardiaque montrait une tachycardie à complexe étroit, malgré une FC au moniteur à 27 BPM?
me trompes tu? STat à quelques problèmes, comme une chirurgienne qui fait une évaluation de séquelles neuro cognitives post réanimation…

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Quel article intéressant et surtout instructif! Merci de réussir à si bien vulgariser autant d’informations importantes! Bonne continuation.

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