Éric Duhaime a le sens de la formule-choc. Invité à Tout le monde en parle, le nouveau chef du Parti conservateur du Québec a critiqué le port du masque en classe pour les enfants des établissements primaires en zone rouge. Or, ses arguments ne tiennent pas la route. « Les pédiatres ne sont pas du bord d’Éric Duhaime », m’a confirmé le Dr Marc Lebel, pédiatre-infectiologue au CHU Sainte-Justine et président de l’Association des pédiatres du Québec, exaspéré que le politicien ait encore affirmé cela récemment. « Nous restons persuadés que dans les circonstances actuelles, imposer le masque en classe est une mesure souhaitable et importante, puisqu’elle permet aux enfants de fréquenter l’école. »
Quel est le rôle des écoles dans la pandémie ?
Plus la recherche avance, plus cela se clarifie. Dans sa revue de 102 études publiées jusqu’au 15 mars 2021, un groupe de recherche en santé publique de l’Université McMaster, en Ontario, estime que les écoles ont joué un rôle mineur dans la crise. Les chercheurs se gardent bien de chiffrer la contamination directement attribuable à la présence des élèves dans ces établissements, car son ampleur déclarée dépend énormément de la manière dont elle a été mesurée ainsi que du moment et du lieu où elle a été observée. Mais les études les plus récentes et solides qu’ils ont compilées penchent toutes vers une faible contribution des écoles à la dynamique de la pandémie.
Il faut toutefois préciser que les travaux dont les chercheurs ont tenu compte ont été réalisés dans des régions du monde ayant implanté diverses règles sanitaires pour amoindrir le risque de transmission en classe. On ne sait donc pas si l’influence de l’école aurait été aussi minime sans des mesures telles que la distanciation, la diminution de la taille des groupes et la séparation des activités en « bulles-classes », la ventilation et la désinfection accrues, ainsi que le port du masque obligatoire pour les enseignants et les élèves. Au Québec, le cocktail de mesures semble avoir empêché que les éclosions dans les écoles deviennent un moteur de la pandémie, comme l’a notamment calculé le journaliste scientifique Jean-François Cliche au début de février.
Par ailleurs, aucune étude n’a pour l’instant pu confirmer si, à lui seul, le port du masque par les enfants a un effet notable. Pour diminuer les risques de contamination dans les écoles, on applique le fameux modèle du fromage suisse popularisé par Ian Mackay, de l’Université du Queensland, en Australie. Il consiste à postuler que la superposition de plusieurs mesures imparfaites — comme des tranches de fromage suisse avec leurs trous — permet d’ajouter des barrières sur le chemin du virus. Le port du masque pédiatrique par les enfants ne constitue pas une précaution idéale, puisqu’il est parfois mal porté, mal ajusté ou trop manipulé, par exemple. Mais, jumelé aux autres mesures, il se révèle une protection à ne pas négliger.
Pour minimiser les risques d’éclosions dans les écoles, chaque pays a sélectionné, parmi toutes les tranches de fromage suisse, les interventions qui semblaient le mieux adaptées à sa problématique. Le Québec a choisi de miser principalement sur les « bulles-classes », les masques pour les enseignants, l’isolement des cas, la désinfection des surfaces et l’enseignement à distance, surtout au secondaire. Ses efforts insuffisants pour améliorer la ventilation, avec un protocole tout croche et mal suivi, font en sorte qu’il reste bien du progrès à faire de ce côté-là. Un essai est aussi en cours pour voir si des tests de dépistage rapides pourraient aider.
Le masque, un problème pour les petits ?
Le masque n’est pas idéal en classe, concède le Dr Marc Lebel, puisqu’on entend moins bien ceux qui le portent. Le médecin estime toutefois, comme la plupart des spécialistes dans son domaine, que cette mesure est un pis-aller tout à fait acceptable si elle permet aux enfants de continuer à fréquenter l’école.
Partout dans le monde, les pédiatres partagent largement ce point de vue. L’American Academy of Pediatrics, qui fournit de nombreux conseils aux parents, prend même la peine de souligner qu’elle préconise fortement l’utilisation universelle des masques faciaux dans les écoles, et que la grande majorité des enfants, y compris ceux qui souffrent de maladies, sont capables de s’en servir en toute sécurité et efficacement. La Société canadienne de pédiatrie ajoute que les petits ayant des problèmes respiratoires comme l’asthme peuvent porter un masque.
L’Organisation mondiale de la santé et l’Unicef recommandent pour leur part que les pays puissent imposer le masque aux enfants âgés de plus de cinq ans si la circulation du virus est importante, à condition que ceux qui ont des difficultés particulières soient exclus de cette obligation, que des masques propres puissent être fournis aux enfants et que des adultes leur montrent à bien les utiliser. Plusieurs gouvernements et autorités qui n’étaient pas férus de couvre-visages, comme la France, la Suisse, les écoles privées de Chicago ou une partie de la Caroline du Nord, ont d’ailleurs ordonné le port du masque aux enfants des établissements primaires dès la rentrée de l’automne 2020.
Que faut-il savoir au sujet des variants ?
Quand la souche B.1.1.7 est arrivée, la donne a changé. Plus contagieuse que la première, elle s’est rapidement imposée comme moteur de la troisième vague, au Royaume-Uni où elle a d’abord été isolée, puis en Europe et au Canada, entre autres. Ce variant a vite été estimé plus contagieux pour les gens de tout âge, tout comme le variant P1 venu du Brésil et le B.1.351 issu d’Afrique du Sud.
À plusieurs endroits, les chercheurs ont constaté que même si les enfants ne sont pas nécessairement plus malades avec le variant B.1.1.7, là où il domine, comme au Québec, ils semblent plus contagieux qu’avant auprès des adultes. Par ailleurs, il y a de fortes chances que plus le nombre d’adultes vaccinés va augmenter, plus la proportion de contaminations touchant des enfants va aussi s’accroître. Pour arriver à mater le virus, il deviendra de plus en plus important que les petits ne se le transmettent pas entre eux. Comme les écoles sont les lieux où ils se côtoient le plus, il faudra mettre en place d’autres tranches de fromage suisse, ou combler une partie des trous, pour diminuer le risque.
Pour contenir l’augmentation rapide des cas dus aux variants, plusieurs pays ont largement reconfiné les populations et se sont résignés à refermer temporairement les écoles, à court de nouvelles options pour y faire baisser les risques.
Au Québec, le gouvernement Legault a annoncé que les élèves de la première à la sixième année du primaire devraient porter un masque médical en classe en tout temps dans les zones rouges à partir du 8 mars. Les petits ayant des besoins particuliers, comme les enfants autistes, en sont dispensés. En zone orange, cette mesure n’est obligatoire que pour les élèves de cinquième et sixième année. Le 31 mars, on a fermé les écoles, pour une période de 10 jours, dans trois régions où le nombre de cas était monté en flèche. Il était cependant clair qu’il faudrait plus de temps pour calmer cette flambée et, de report en report, les fermetures se sont prolongées. Cette semaine, le gouvernement a annoncé que toutes les écoles primaires rouvriraient le 3 mai, sauf dans deux sous-régions, la Beauce et Bellechasse, ainsi qu’en Outaouais, où il y a encore beaucoup de cas.
L’Ontario a aussi rendu les masques obligatoires en classe à tout âge en février, avant de se résigner à ordonner la fermeture de tous les établissements scolaires de la province le 12 avril, pour une durée indéterminée. Certaines régions de l’Ontario avaient déjà pris cette décision dans les semaines précédentes. À Sudbury, par exemple, les écoles sont vides depuis le 15 mars.
Comme le note Éric Duhaime, la responsable de la santé publique britannique, la Dre Susan Hopkins, s’est farouchement opposée au port du masque à l’école dans une conférence de presse, le 26 février. Son point de vue est cependant très minoritaire, et le Royaume-Uni est loin d’être un modèle pour la gestion des établissements scolaires. Alors que le nombre de cas avait déjà commencé à augmenter rapidement, le premier ministre Boris Johnson a d’abord annoncé le 3 janvier que les enfants pourraient retourner en classe quelques jours plus tard. Puis, le 5 janvier, il a fait volte-face et fermé toutes les écoles jusqu’au 8 mars ! Aucun pays industrialisé n’a autant privé les écoliers de cours en mode présentiel durant cette troisième vague. Par contre, à la réouverture des classes, le Royaume-Uni a instauré un programme de dépistage régulier des cas dans les établissements d’enseignement. On ne sait pas encore s’il donne des résultats, car l’organisation de ces tests est un énorme casse-tête.
Que faut-il faire maintenant ?
« Le Québec a fait beaucoup mieux que les autres provinces canadiennes pour garder les enfants à l’école malgré la troisième vague », estime le Dr Marc Lebel. « Il ne faut cependant pas que le masque dans les classes des écoles primaires devienne la norme à long terme, et on doit préparer une voie de sortie pour que cette mesure ne soit pas au programme à la rentrée d’automne », prévient le pédiatre.
Une des manières d’y parvenir consiste à s’attaquer plus sérieusement à la ventilation, puisqu’il semble de plus en plus évident qu’il s’agit du maillon faible. Il faudra voir aussi si les essais avec des tests rapides confirment leur utilité dans les écoles. Même si on peut espérer commencer une campagne de vaccination pour les adolescents à la fin de l’été ou cet automne, les plus jeunes devront attendre, car les vaccins ne sont pas encore prêts pour eux.
Selon un nouveau rapport de l’Unicef, dans 14 pays, dont 9 en Amérique latine, les écoles fermées au début de la pandémie n’avaient toujours pas rouvert en février 2021. Pas moins de 168 millions d’enfants se sont ainsi vus privés de leur droit fondamental à l’éducation, une situation que l’Unicef juge dramatique. Les États-Unis sont de loin le pays riche ayant gardé ses écoles fermées le plus longtemps.
Il ne fait pourtant aucun doute que maintenir les écoles ouvertes durant cette pandémie doit être la priorité afin de perturber le moins possible le développement des enfants, leur permettre de progresser dans leurs apprentissages et favoriser leur socialisation.
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Votre titre est trompeur…
Votre article mentionne que le variant P1 est venu du Bresil , que le B.1.351 est venu d’afrique du sud . Alors le variant B.1.1.7 vient de ou ? Cette manie de deux poids deux mesures m’agace et trouve ce comportement infantilisant pour les lecteur . A croire que les lecteur vont volontairement stigmatiser le pays de provenance de certains variant et pas d’autres. Si il est scientifiquement démontrer que B.1.1.7 vient d’un endroit precis alors il faut le dire.
Une leçon à retenir !
Le port du masque à l’école semble donner des résultats positifs durant la présente pandémie. J’espère que les autorités de Santé publique retiendront la leçon et inciteront les élèves et les enseignant-e-s à répéter le geste durant la prochaine période de grippe d’influenza, en décembre et janvier prochains.
Donnons ce répit aux employé-e-s du réseau de la santé !
le masque aux enfants c’est carrément de la folie, on ne parle pas de la détresse psychologique qui a augmenté de façon significative… pour une poignée de mort au Québec, on impose des masques aux enfants toute la journée alors que pour eux, c’est risque 0. C’est évident que ce pédiatre ne parle pas pour l’ensemble des médecins. En tant que parent je refuse que mes enfants soient obligés de porter des masques sans un débat public qui invite des experts impartiaux et sans études sur les risques à long terme pour nos enfants.
Chère Madame Borde,
Encore une fois, bravo pour cet article fouillé et éclairant.
J’ai bien aimé la métaphore du fromage suisse du Dr Ian Mackay de l’Université du Queensland, en Australie. Il faut dire qu’au Québec le fromage on connaît ça!
Par contre le cafouillage de la ventilation dans les écoles vient ajouter des trous inutiles dans notre fromage… Justement des trous qui se forment lors de la maturation des fromages par dégagement de gaz carbonique (CO2) 😉 (tentative de blague)
Remarquez que quand on réfléchit deux secondes, le vecteur normal d’une maladie pulmonaire est l’air et celui d’une maladie intestinale l’eau ou la nourriture. Je me réfère au choléra où on a longtemps parlé de «miasme atmosphérique» avant de découvrir que c’était principalement l’eau. De manière analogue la tuberculose se transmet essentiellement par les aérosols, mais cela n’a été découvert que vers 1960 (https://bit.ly/2PSukjP). Donc les rhums, ls grippes se transmettent par aérosols!
À vos masques, partez!
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE