L’auteur est communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. Il est titulaire d’un baccalauréat en biochimie et d’une maîtrise en biologie moléculaire. En plus d’écrire de nombreux articles, il coanime le balado The Body of Evidence.
À l’ère des médias sociaux, les discussions sur la virulence sont devenues virales, la plupart d’entre nous s’interrogeant sur l’évolution du nouveau coronavirus. À mesure que les variants surgissent et gagnent en importance, nous nous posons les mêmes questions : celui-ci est-il plus transmissible que les autres ? Est-il plus dangereux pour nous ? Nos vaccins l’arrêteront-ils ?
Il y a un courant séduisant dans ces discussions, un peu de sagesse commune, nous dit-on. Les virus finissent apparemment toujours par devenir moins mortels avec le temps. Comme les loups domestiqués transformés en chiens, les virus pathogènes semblent se laisser apprivoiser dans un effort de survie. Le raisonnement est que, tôt ou tard, le SRAS-CoV-2 devra perdre ses crocs et devenir aussi ennuyeux que le rhume.
Il peut paraître cruel d’arracher l’un des rares refrains optimistes qui nous restent dans cette pandémie incessante, mais il faut corriger le tir. L’idée que les organismes pathogènes deviennent toujours bénins — une hypothèse connue sous le nom de théorie de l’avirulence — a été démentie.
C’est une histoire qui implique un peu de complexité, mais aussi de jolis lapins.
Ne faites pas de bruit, je chasse le lapin
Nous sommes en 1859. Un conte de deux villes, de Charles Dickens, paraît pour la première fois sous la forme d’une série de fascicules hebdomadaires. Charles Darwin publie son célèbre ouvrage De l’origine des espèces. La même année, des lapins européens sont introduits en Australie pour être chassés.
En effet, un riche colon du nom de Thomas Austin a fait venir 13 lapins qu’il a laissés gambader librement sur ses terres. Cinquante ans plus tard, les lapins s’étaient répandus dans toute l’Australie, nuisant aux espèces indigènes et aux cultures. On peut dire qu’ils se sont reproduits comme des lapins.
Vingt-huit ans à peine après leur introduction dans le pays, ils étaient devenus un tel fléau que le gouvernement australien a offert un prix à quiconque pourrait maîtriser la croissance de leur population. Une suggestion était d’utiliser un virus mortel.
Il s’agissait du myxome, choisi parce qu’il était censé affecter spécifiquement les lapins. On a multiplié les tentatives d’importer le virus et de le lâcher dans la population de lapins. Au début des années 1950, ce fut un succès. Le virus était mortel dans 99,8 % des cas. Cependant, lors d’une épidémie ultérieure chez les lapins, son taux de mortalité n’était que d’environ 90 %. En fait, le virus, en entrant en contact avec son hôte, avait été très virulent, mais au fil du temps, sa virulence avait diminué. Cela a confirmé une théorie qui avait été proposée dès 1904 : les virus deviennent nécessairement moins virulents avec le temps.
D’une manière générale, on entend par virulence le dommage ou la réduction de la valeur adaptative qu’un organisme pathogène, comme un virus, inflige à son hôte. La théorie de l’avirulence, étayée par l’expérience des lapins australiens, était logique. Si un virus tue son hôte instantanément et systématiquement, ce dernier ne pourra pas le transmettre à quelqu’un d’autre. En fait, le virus « meurt » avec son hôte dans ce que l’on a appelé une victoire à la Pyrrhus: obtenue au prix de si lourdes pertes qu’à bien y penser, on aurait peut-être dû laisser tomber la bataille. Du point de vue de l’évolution, c’est loin d’être avantageux. C’est plutôt une impasse. Évoluer pour être moins virulent semble être un meilleur pari.
Il est important cependant de souligner que l’évolution ne repose sur aucune intelligence et que les virus ne sont pas capables de penser. Ils ne sont que des paquets d’instructions génétiques qui appellent leur propre duplication, un processus qui, comme la saisie d’une lettre manuscrite, se prête aux erreurs de frappe, c’est-à-dire aux mutations. Il est hasardeux de croire qu’un virus a une volonté de survie et qu’il souhaite donc que son hôte s’accroche à la vie suffisamment longtemps pour contribuer à sa propagation. La théorie de l’avirulence berce notre désir d’anthropomorphiser les milliards et les milliards de virus qui peuplent notre planète.
Mais en réalité, il n’y a pas de grand dessein ; ce sont plutôt des forces qui agissent à la fois sur les virus et sur les hôtes. Notre compréhension scientifique a fini par dépasser la théorie de l’avirulence pour aboutir à une pensée plus nuancée : tout est question de compromis.
C’est toujours plus compliqué qu’il n’y paraît
La tuberculose existe depuis des centaines d’années et elle est toujours mortelle. La virulence de la dengue a augmenté au cours des dernières décennies. Et le virus du myxome, tueur de lapins ? Selon des données limitées datant des années 1980, il a lui aussi développé des crocs plus mortels, un pourcentage plus élevé de ce virus en Australie étant hautement virulent par rapport à la décennie précédente. La théorie de l’universalité de l’avirulence comporte simplement trop de contradictions. Les virus n’évoluent pas toujours vers la bénignité.
Les mathématiques ont joué un rôle important en apportant une compréhension plus fine de l’interaction entre les virus et leurs hôtes, ce qui a permis d’élaborer et de tester des modèles plus précis. Comme toujours, les choses se sont avérées beaucoup plus compliquées que prévu. Voilà un slogan pour les personnes à l’esprit scientifique.
Explorons quelques scénarios qui illustrent cette complexité en transplantant nos cerveaux dans des virus et en voyant le monde de leur point de vue. Imaginons que nous soyons le virus de la rage. Devons-nous évoluer pour être bénins chez les humains afin de survivre à long terme ? Non, et il est évident que nous ne l’avons pas fait. Une fois les symptômes apparus, la rage est essentiellement mortelle à 100 % chez l’humain. Et ce n’est pas grave, car nous pouvons survivre et nous propager plus facilement chez un hôte animal, comme les chiens, les chauves-souris et les ratons laveurs.
Si nous sommes le SRAS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, et que nous nous propageons dans des zones où beaucoup de gens se rassemblent à l’intérieur, le coût de la mort de notre hôte est beaucoup plus faible que si nous essayons de nous propager dans un endroit où peu de gens vivent, car la transmission serait plus difficile. Nous pouvons donc être plus virulents dans les secteurs à forte densité et nous nous circulerons quand même.
Enfin, la virulence n’est pas qu’une question de létalité ; il s’agit aussi de nuire à l’hôte. En tant que SRAS-CoV-2, nous pouvons nous permettre d’être virulents, et donc de rendre la guérison lente. Plus nous restons longtemps dans un hôte, plus nous pouvons fabriquer des copies de nous-mêmes, et plus notre hôte sera susceptible de nous transmettre à ses semblables. Si l’on considère la virulence sous cet angle, il y a à la fois des coûts et des avantages à être un mauvais virus. C’est une question de compromis.
En fait, lorsqu’un virus demeure en contact avec une personne pendant des semaines, il a plus de temps pour muter. Cela peut se produire si l’hôte est immunodéprimé, par exemple. Le virus est autorisé à s’attarder, et donc à faire de plus en plus de fautes de frappe dans son code. Même si le virus n’en est pas conscient (car il n’a pas de cerveau), ce qu’il fait s’apparente à un jeu de hasard. Si vous jouez à une seule table de roulette, vos chances de gagner sont faibles. Mais si vous pariez sur 50 tables différentes, elles augmentent (bien que dans cet exemple imparfait, l’investissement et les chances de perdre augmentent aussi). Plus vous faites des copies de vous-même, plus il y aura de mutations, et plus la probabilité qu’une ou plusieurs d’entre elles soient payantes est élevée.
C’est l’une des hypothèses — et j’insiste sur le mot « hypothèse » — qui sous-tendent l’émergence du variant Omicron : le coronavirus serait resté un certain temps dans une personne dont le système immunitaire était affaibli et aurait ainsi accumulé une série de fautes de frappe qui, par hasard, lui auraient donné un avantage. C’est de cette façon qu’Omicron serait né.
Une nuée de mutants
La capacité du matériel génétique à muter pour améliorer son adaptation à son environnement est au cœur de l’évolution. Les mutations peuvent être silencieuses, c’est-à-dire qu’elles ne modifient pas la protéine encodée en raison de redondances dans le code lui-même. Les mutations peuvent être mauvaises (pensez à celles qui prédisposent une personne au cancer, comme certaines mutations des gènes BRCA1 et BRCA2). Mais de temps en temps, une mutation peut être bénéfique. Et les virus sont très bien placés pour jouer la carte de la chance.
Une personne infectée peut produire mille millions de particules virales infectieuses au cours d’un seul épisode d’infection. Comme l’a récemment écrit le Dr Jonathan Yewdell, de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, dans la revue Immunity, pour les virus qui mutent rapidement, cela signifie qu’un seul individu infecté produit un « essaim [qui comprend] des virus ayant des mutations à chaque position du génome ». C’est un degré impressionnant de diversité génétique.
Si ces mutations bouleversent la manière dont le virus interagit avec notre système immunitaire — comme la forme de la protéine de spicule du coronavirus —, ce passage du virus original à une nouvelle version est appelé dérive antigénique. Et si deux virus différents sont présents dans la même cellule et que des morceaux de ceux-ci sont accidentellement cousus ensemble, à la manière de la créature de Frankenstein, on obtient une cassure antigénique. Les souches de grippe pandémique auxquelles nous avons dû faire face par le passé, telle la H1N1 de 2009, étaient probablement dues à ce type rare de cassure antigénique chez un animal ; mais les variants du SRAS-CoV-2 que nous devons supporter aujourd’hui sont le résultat d’une dérive antigénique plus courante. Et de multiples pressions s’exercent sur ces variants pour tester leur vigueur dans les corps humains dans lesquels ils peuvent se développer.
Dans une publication sur les raisons pour lesquelles les parasites nuisent à leur hôte, Pierre-Olivier Méthot, alors boursier postdoctoral en Europe, aujourd’hui professeur au Québec, a écrit une belle phrase lapidaire vers la fin : « La conquête de l’équilibre est toujours précaire. » Les virus mutent. Les hôtes s’adaptent. Certains virus deviennent moins virulents, tandis que d’autres gagnent en virulence. L’être humain met au point des vaccins. Les virus subissent des dérives et des cassures. Les scientifiques améliorent leurs vaccins. C’est une course aux armements biologiques.
La théorie de l’avirulence rendait la prédiction de l’avenir simple, mais fausse. Si cette pandémie nous a appris quelque chose, c’est de rester sur le qui-vive. Le virus s’adapte, nous devons en faire autant.
Message à retenir :
– L’idée que les virus finissent toujours par devenir moins mortels parce que c’est avantageux pour eux est une vieille théorie qui s’est révélée fausse.
– Les virus peuvent devenir plus ou moins virulents au fil du temps en fonction d’un certain nombre de pressions qui s’exercent sur eux.
– Les virus peuvent développer des mutations aléatoires qui modifient la façon dont ils sont reconnus par notre système immunitaire (dérive antigénique) et, plus rarement, des morceaux de leur code génétique peuvent être recombinés avec le code génétique d’un autre virus pour créer un tout nouveau virus (cassure antigénique).
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.
Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇
Wow, quel article! Immensément bien écrit… et épeurant! Merci beaucoup!
Oui mais réaliste.
Merveilleux de clarté
Article qui pourrait être intéressant si son auteur qui parle de virus n’associait pas la tuberculose aux virus alors que la tuberculose est est une maladie infectieuse provoquée par une mycobactérie donc bien d’origine bactérienne et non virale. Ce constat me fait douter de la compétence et de la rigueur scientifique de l’auteur et des affirmations qui se trouve dans cet article.
Nulle part l’auteur parle du ‘virus de la tuberculose’. Je suppose que les mécanismes de survie entre virus et bactéries infectieuses sont comparables?
Très bon article selon moi…