Les personnes âgées sont-elles « mignonnes » ?

Les mots ont un poids. Les choisir avec soin a un effet réel sur les aînés et leurs proches, nous dit le gériatre Quoc Dinh Nguyen. 

Ridofranz / Getty Images ; montage : L’actualité

L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Nous sortons d’une chambre, les étudiants et moi, pendant la tournée des patients de l’unité de gériatrie. Tandis que nous nous lavons les mains, une des étudiantes s’exclame : « J’adore Mme Tremblay, elle est trop cute ! »

Entre l’indifférence des jeunes, leur déplaisir et leur attendrissement à l’égard des personnes âgées, je préfère de loin l’attendrissement lors de contacts intergénérationnels où la différence de vécu dépasse régulièrement les 60 printemps ! Mais dire des personnes âgées qu’elles sont cute (ou mignonnes), est-ce un manque de déférence à leur endroit ?

Je prends cet exemple pour aborder la question du choix des mots quand on considère le vieillissement — en fait, la vieillesse, qui est le mot juste pour décrire la dernière période de la vie. Devrait-on parler de personnes âgées, de vieux, d’aînés, ou de « nos » aînés, comme le disent parfois les politiciens ? Devrait-on dire que certaines personnes âgées sont « placées » ou « hébergées » en CHSLD ? Il est évident que certains mots créent des malaises alors que d’autres les masquent, comme je l’ai compris lors de mes discussions avec mes patients et leurs familles.

Ces mots qui dérangent

Prenons d’abord « vieux », qui fait sourciller bien des gens lorsqu’il désigne les personnes âgées (les vieux). Qu’est-ce qui nous trouble, puisqu’à l’autre extrémité on dit « les jeunes » sans gêne ? Peut-être qu’avec le temps et l’usage, les mots acquièrent des connotations qui deviennent indissociables des mots eux-mêmes. Tout ce qui touche au vieillissement, à l’accumulation des années et des déficits s’y expose davantage que ce qui concerne la jeunesse, une période où beaucoup de choses restent inexplorées. Notons que « vieux » est utilisé pour des objets (une vieille auto, une vieille maison), alors que « jeune » ne l’est pas — dire « une jeune auto » serait plutôt inusité. Comme l’emploi de « vieux » pour le non-vivant est souvent péjoratif, il n’est pas surprenant qu’il le soit aussi pour les personnes.

Les défenseurs de « vieux », plus rigoureux avec la langue, rétorqueront qu’on doit considérer un mot pour ce qu’il définit directement plutôt que pour ses connotations inévitables, sur lesquelles nous avons peu d’emprise. Après tout, une personne de 90 ans est bel et bien vieille. À ce propos, il est intéressant de noter que les gériatres d’expérience (pour ne pas dire d’un certain âge) sont ceux que le mot semble heurter le moins, tel le Dr Réjean Hébert, qui n’a pas hésité à le mettre dans le titre de son récent livre Soigner les vieux (Éditions La Presse, 2023). Personnellement, je n’ai pas de préférence marquée entre vieux, personnes âgées ou aînés… Je m’adapte en fonction des circonstances et des attentes de mes interlocuteurs, comme pour tous les autres mots d’ailleurs. 

Ces mots qui dérangent ne sont-ils pas surtout le reflet des maux qui, eux, dérangent réellement ? En médecine, les termes « démence » et « trouble neurocognitif majeur » (TNCM) désignent exactement la même chose, soit une affection des fonctions du cerveau altérant l’autonomie quotidienne. Mais « démence » a aussi pour définitions communes « conduite folle, déraisonnable » et « alinéation mentale, folie ». Le terme « TNCM » a été récemment proposé, prenant en compte la perspective des patients et des proches aidants, notamment, pour s’éloigner des sens courants de « démence ». Perd-on au change lorsqu’on a recours à ces dispositifs qui tiennent en partie de l’euphémisme ? Un des problèmes est que la définition de TNCM n’est pas connue de tous… 

Nombre de mes patients préfèrent qu’on leur dise « les vraies affaires », spécialement lorsque leurs capacités cognitives sont intactes. Ces derniers sont capables d’en prendre. Toutefois, pour ceux qui sont plus vulnérables cognitivement, la justesse du choix de mots revêt une grande importance. Je dois viser un équilibre entre les termes factuels et les connotations et interprétations qui en découlent. La plupart du temps, quand j’annonce un diagnostic de démence, j’évite de mettre l’accent sur ce mot. Je me concentre sur ce qu’il signifie : vous avez des problèmes de mémoire ou de cognition plus importants que ce à quoi on s’attend chez les gens de votre âge. C’est plus long, mais c’est plus clair !

Faire mieux avec les mots qui dérangent

Au fil des rencontres avec mes patients et leurs proches, je crois avoir discerné au moins trois éléments qui expliquent pourquoi certains mots dérangent.

D’abord, il y a la différence entre un processus (tel que le vieillissement) et un état (la vieillesse). La vieillesse et le déclin qui y est associé sont souvent perçus comme une fatalité. Or, qu’on prenne le vieillissement « normal » ou les affections médicales qui y sont liées (comme la maladie d’Alzheimer), la réalité, c’est que ce sont des processus qui s’opèrent progressivement. Un état est permanent, tandis qu’un processus est évolutif, parfois temporaire. Comme pour un mariage, les dernières décennies de nos vies sont en grande partie ce qu’on décide d’en faire au quotidien. C’est pourquoi je préfère souvent « vieillissement » à « vieillesse » pour parler de ces années, afin de m’éloigner de l’idée d’un état définitif, dans lequel on perdra toute maîtrise. Cela aide parfois mes patients à accepter la réalité de certains deuils et même à faire des gestes pour amenuiser leurs répercussions. Ma préférence pour « relocalisation » ou « réinstallation » plutôt que « placement » en CHSLD tient aussi de cette distinction.

Ensuite, la différence entre l’identité et le contexte. Dans plusieurs domaines, on ne réfère plus à une personne par sa maladie (un diabétique) ou par son contexte de vie (un itinérant), on dit plutôt « vivant avec le diabète » ou « en situation d’itinérance ». Ce n’est pas qu’une mode. Malgré la lourdeur de ces formulations, cette distinction est fondamentale dans mes interactions avec mes patients. Lorsque j’annonce un diagnostic d’alzheimer, je renforce toujours l’identité de mes patients, je leur dis « vous êtes qui vous êtes malgré la maladie ». Cette dernière est une étiquette qui explique les changements qu’ils vivent, non pas qui ils sont désormais.

Finalement, une idée d’amalgame se cache fréquemment derrière les mots « aînés », « vieux » ou « personnes âgées ». Le recours à l’explication générale de l’âge ou de la vieillesse pour toutes sortes de phénomènes est souvent réducteur. Car pour une personne âgée qui oublie, il s’en trouvera plusieurs vives d’esprit ; pour une aigrie, il s’en trouvera plusieurs affables. Ce n’est pas comme si par défaut il fallait être jeune et qu’à défaut de l’être, on ne pouvait être que… vieux.

À propos de cute

La plupart du temps, j’entends « cute » lors d’interactions avec des patients âgés dont le vieillissement est perçu comme « réussi » (pensez à des personnes âgées bien mises, dans leurs habits du dimanche). C’est une forme d’âgisme dissimulé : les personnes âgées qui sont en deçà de nos standards collectifs sont « vieilles », alors que celles qui les dépassent sont cute !

J’entends parfois ce mot aussi quand une personne âgée fait montre d’une vulnérabilité qui nous attendrit — comme un aîné qui se déplace avec un déambulateur, courbé mais souriant. Dans ce cas, c’est comme si la fragilité et les difficultés inhérentes à la vieillesse outrepassaient l’identité et l’individualité de chaque vieux, son parcours de vie. Comme si l’inversion des rôles (un jeune prend soin du vieux) renvoyait la personne aînée vers le monde de l’enfance, période toute désignée pour être cute. La ligne entre une bienveillance envers cette fragilité et un sentiment implicite de supériorité est bien mince. J’ai donc des réserves au sujet de l’utilisation du mot « cute » dans ce contexte. Le risque d’infantilisation rôde. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il faut se demander s’il est justifié de parler de « nos » aînés. 

Contrairement à nos enfants, « nos vieux » nous appartiennent-ils vraiment ? 

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Dans les communautés autochtones qui ont l’anglais comme langue coloniale, le mot «elder» comprend un certain respect car on chérit l’expérience et les connaissances des «elders». On a traduit en français le mot «elder» par «aîné» mais ça ne vient pas avec ce respect qu’on trouve chez les peuples autochtones, au contraire. De tous ces mots, aîné, vieux, personne âgée etc. la société québécoise les voit comme une espèce de dernière étape à la vie, une fin de vie qu’on préfère ne pas voir et ce sont surtout les jeunes qui sont mal à l’aise avec ces mots car ils craignent cet avenir qui les attend.

Pour un vieux comme moi, ces mots ne me font pas peur mais je les comprends un peu car ça vient bien plus vite qu’on ne le pense quand on est jeune et ce manque de respect pour les gens âgés transpire non seulement dans le vocabulaire mais dans tout ce que la société fait. Je n’oublierai jamais l’espèce de mépris du PM Legault au début de la pandémie quand il a envoyé les vieux de 70 ans et plus «à maison». On met au rancart les aînés le plus possible, souvent en les infantilisant (ils ne peuvent pas prendre soin d’eux-mêmes en temps de pandémie), et comme société nous n’avons pas le réflexe de puiser dans l’expérience, les connaissances ni parfois la sagesse des «elders»; on préfère les tasser pour prendre leur place et réinventer la roue: OK Boomer! Tasse-toi mon oncle!