Les pièges du marché du carbone

Les mauvaises nouvelles pour le marché du carbone s’accumulent. Au point où il pourrait bien ne pas suffire à réduire significativement les émissions de gaz à effet de serre du Québec.

De la fumée s'élève des cheminées de la centrale au charbon de La Cygne, au Kansas. (Photo: AP Photo/Charlie Riedel)
De la fumée s’élève des cheminées de la centrale au charbon de La Cygne, au Kansas. (Photo: AP Photo/Charlie Riedel)

Pour atteindre ses ambitieuses cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le Québec compte massivement sur son marché du carbone. Mais cet instrument économique va-t-il tenir ses promesses ? Certains observateurs commencent à sérieusement s’inquiéter.

De décembre 2013 à février 2016, le marché du carbone a rapporté environ 1,2 milliard de dollars au gouvernement du Québec. Selon le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, environ 3 milliards de dollars provenant du marché du carbone seront versés dans le Fonds vert de 2013 à 2020.

Mais pour l’instant, note le Commissaire au développement durable, Jean Cinq-Mars, le marché du carbone n’a eu aucun impact sur les émissions liées au transport routier, qui représentent pourtant 40% des émissions de GES du Québec et continuent d’augmenter.


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Les automobilistes sont restés indifférents au faible signal de prix découlant du marché du carbone, qui s’est chiffré à environ 4 cents par litre d’essence. « Il faudra adopter des mesures appropriées pour s’assurer que cette tendance s’inverse et qu’il y aura une réduction des émissions de GES dans ce secteur », dit le commissaire dans son dernier rapport.

Deuxième problème : pour que ce marché joue vraiment son rôle, il faut que le prix du carbone augmente progressivement au fur et à mesure que la quantité de droits d’émission disponibles diminue. Or pour l’instant, les unités d’émissions gratuites et crédits accordés à des émetteurs lors du démarrage du marché font en sorte qu’il n’y avait pas encore de rareté de droits d’émissions en 2014 et donc que le prix du carbone a peu augmenté.

Selon Jean Cinq-Mars, il va falloir sortir très rapidement de cette phase de démarrage. Entre l’enchère de novembre 2014 et celle de février 2016, note-t-il, le prix d’une unité de carbone a certes augmenté de 29%, mais cela tient surtout au taux de change. Si celui-ci était resté constant, l’augmentation de prix n’aurait été que de 7 %. Pas de quoi inquiéter les émetteurs de GES.

Le Commissaire s’interroge aussi sur la réelle efficacité de ce système pour changer les comportements dans la mesure où les émetteurs assujettis au marché du carbone peuvent aussi bénéficier des subventions du Fonds vert. Sortir de l’argent d’une poche pour la remettre dans l’autre semble bien peu productif, même si cela pourrait en théorie encourager les gros émetteurs de GES à moderniser leurs installations.

Le ministre de l’Environnement David Heurtel a proposé récemment des modifications législatives pour renforcer la gouvernance du Fonds vert, dont l’opacité avait été durement critiquée en 2014 par le même Commissaire au développement durable. Le Fonds sera enfin assujetti à une reddition de comptes annuelle, qui devrait être publiée pour la première fois en février 2017. Quand on saura vraiment où passe l’argent, on pourra commencer à estimer s’il diminue efficacement les émissions de GES.

Autre mauvaise nouvelle pour le marché du carbone, la faible participation des entreprises aux plus récentes enchères. Lors de la dernière enchère, le 18 mai dernier, seulement 11% des unités mises en vente ont trouvé preneur. Seulement 43 émetteurs ont participé à cette enchère, contre 82 en février et 99 en mai 2015.

Est-ce parce qu’ils ont encore le temps de «faire le plein» dans les prochaines enchères avant de faillir à leurs engagements? Ce marché est-il sur le point de s’écrouler comme le prétend le Wall Street Journal ? Pour l’instant, ce n’est pas clair. Mais face à ces piètres résultats que certains qualifient de crash, l’Ontario songerait à retarder son entrée dans ce marché, prévue pour 2017.

Chose certaine, le Commissaire au développement durable fait bien d’instruire les parlementaires. Car si le Québec veut vraiment tenir ses engagements envers le climat, on a intérêt surveiller de près les performances de cet instrument économique…

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Les commentaires sont fermés.

Depuis toujours, j’ai éprouvé des doutes sérieux quant aux avantages (multiples) qu’apporterait le marché du carbone. Selon moi, ce sont des cibles précises, progressives secteurs par secteurs qui restent le meilleur moyen d’atteindre les objectifs. D’autant plus que ce sont les consommateurs qui en payant toujours plus sur tout, financent indirectement ce nouveau marché.

Quand quelques clefs sont plus simples qu’il n’en parait, comme l’amélioration constante de la productivité, une optimisation des transports, la fin du gaspillage, etc.

Le dialogue, des négociations, la recherche et le développement de solutions pour y arriver, sont probablement la meilleure méthode pour amener tout le monde — et pas seulement les industries — à parvenir à leurs fins. Sans oublier le plaisir et l’estime de soi que nous pourrions avantageusement tirer d’un environnement plus sain.

Au point où nous en sommes, c’est comme si une catastrophe devrait tôt ou tard se produire… inéluctablement. Pas seulement et pas nécessairement en premier chez nous. Si ce n’est qu’il ne reste plus qu’à savoir où (au pluriel), dans combien de temps et surtout précisément quand.

Merci au commissaire au développement durable, de nous rappeler qu’il va falloir intéresser un peu plus les gens au bon développement en général, nos politiciens qui avec le secours des économistes, devraient travailler forts pour repenser les fondamentaux du développement économique, pour nous dire qu’on ne décarbonise pas une planète en fixant seulement un prix sur une matière première (la forme gazeuse du carbone) qu’on ne sait définitivement toujours pas comment on pourrait s’en servir pour la transformer (et donc la valoriser).

Et puis pendant que nous y sommes : quel prix pour la tonne de méthane qui pourtant repose en quantité astronomique au fond de nos océans ? Déjà la fonte du pergélisol donne un petit avant-goût de toutes ces belles choses qui tôt ou tard pourraient bien nous arriver.

Je vais de ce pas faire le plein d’air pur en cannettes. Avant que le prix fixé sur l’air pur ne devienne absolument prohibitif. Quoiqu’il en soit, les humains étant à toutes fins pratiques une race mutante, rien ne dit que l’espèce ne survivrait pas d’ici quatre ou cinq générations, même avec dix fois plus de pollution.

Une autre « patente à gosses » pour faire entrer plus de revenus dans les poches de l’État et qui ne rapporteront strictement RIEN aux contribuables.