La crise dans les CHSLD est plus aiguë dans la région de Montréal, avec 75 % des CHSLD infectés, qu’ailleurs au Québec. C’est avant tout, on s’en doute, en raison de la taille des établissements et de la densité de la population. La région montréalaise compte aussi davantage d’agences de placement, ce qui favorise la dispersion des ressources dans nombre de CHSLD, propageant du même coup le virus.
En région, la pénurie se fait sentir aussi, mais les préposés qui travaillent dans les CHSLD sont souvent originaires du coin et ont un plus grand sentiment d’appartenance. Les cas où un préposé s’occupe de son ancien voisin ou d’un membre de sa famille ne sont pas rares.
Les travailleurs qui choisissent d’œuvrer dans le secteur de la santé le font pour aider les plus vulnérables. Ils y trouvent un sens et une motivation. Comment, alors, expliquer qu’un groupe de professionnels décide ainsi d’abandonner le navire quand la grande majorité de leurs collègues mettent en péril leur santé et celle de leurs proches pour aller au front ?
Quitter le navire

Je suis professeur agrégé en pédagogie des sciences de la santé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Mes projets de recherche visent à comprendre et valoriser l’importance des pratiques du care (prendre soin) pour la santé.
Contrairement au cure, qui fait référence aux actes médicaux, le care concerne les gestes professionnels qui s’adressent au côté humain des patients et qui constituent la plus grande partie du travail des professionnels de santé. Les préposés aux bénéficiaires (PAB) sont des membres importants de l’équipe de soins en CHSLD puisque ce sont eux qui prodiguent une grande partie du care aux résidents, en les aidant à se lever et à se laver, entre autres.
Nous inspirant des travaux de Joan Tronto aux États-Unis et de Pascal Molinier, en France, nous avons comme objectif de changer la valeur attribuée aux pratiques de care en général et d’inculquer aux professionnels la volonté d’accomplir ces tâches avec compétence et humanité dès le début de leur formation.
Chose certaine : pour que les pratiques de care puissent se développer et apporter le maximum de bénéfices aux patients, la continuité du lien entre patient et soignant devient primordiale.
Un emploi valorisant
En 2017, j’ai collaboré à une étude portant sur les adultes sans diplôme qualifiant. Ces adultes qui, pour de multiples raisons ont dû interrompre leur parcours scolaire, se retrouvent dans l’un des multiples programmes de formation permettant d’accéder rapidement à un emploi à court terme.
L’un de ces programmes est un programme de 900 heures d’assistance à la personne en établissement ou au domicile APED. Il se donne dans plusieurs commissions scolaires au Québec et a été amélioré avec le temps pour attirer davantage les jeunes. Mais comme rapporté au mois de janvier 2019 dans Le Devoir, il n’y avait pas beaucoup d’inscriptions.
Le travail accompli par les préposés aux bénéficiaires quotidiennement est essentiel pour le bien-être des patients, mais il demeure « invisible » parce qu’il est sous valorisé.
Ainsi, il va de soi que dans un certain nombre de cas, ils occupent des postes réguliers du système public. Ces PAB accumulent de l’ancienneté, sont bien rémunérés, ont accès à des jours de congé payés, et à d’autres avantages sociaux. Le fait de ne pas vivre dans la précarité fait en sorte qu’ils valorisent leur travail et éprouvent une fierté à bien le faire.
Or, les plus grandes compressions dans le réseau de la santé l’ont été dans ce genre de poste — ce qui a diminué l’intérêt pour ces programmes de formation et les emplois en CHSLD en particulier. Bien que les coûts de notre système de santé ont pu être « contrôlés » grâce aux politiques d’austérité, le besoin de soins, notamment chez les aînés, n’a pas cessé d’augmenter. Tout cela fragilisait le réseau bien avant la pandémie.
Fragilisation du lien d’emploi
En temps normal, les directeurs des CHSLD avec qui nous travaillons dans nos projets de recherche dépensent beaucoup de leur énergie à demander aux préposés aux bénéficiaires d’« entrer » à tel ou tel moment, souvent en soirée, ou pendant la fin de semaine. Nous savons que les heures supplémentaires, parfois obligatoires, sont le lot de bon nombre de professionnels de la santé.
L’effet de la pénurie de main-d’œuvre dans ce secteur a été atténué par l’émergence du travail temporaire, ce qui a contribué davantage à la fragilisation du lien entre employé et employeur. L’emploi devient une sorte de denrée qui se vend au meilleur prix, déterminé par l’offre et la demande.
Au fur et à mesure que les institutions publiques coupaient dans les services, les ressources humaines étant l’une des cibles principales, les agences de placement de travailleurs temporaires sont venues combler la demande. Le système de santé, accablé par les compressions, est ainsi devenu un marché important pour ces agences et c’est dans le contexte actuel que l’on prend toute la mesure des effets négatifs engendrés par ce type de relation d’emploi.
La fin des « petits riens »
Les CHSLD sont des clients importants des agences de placement de travail temporaire. Dans de telles conditions, où le lien d’emploi est faible, le travailleur parvient difficilement à établir des liens chaleureux et empreints d’humanité avec les résidents. Ainsi, c’est toute la qualité des soins qui diminue.
Comment des préposés aux bénéficiaires, qui donnent des soins de proximité et qui sont envoyés dans différents milieux, peuvent-ils établir des liens stables et humains avec les résidents ? Qu’en est-il du care et des petits riens qui constituent une grande partie des soins prodigués ?
Pourquoi, en tant que société, avons-nous appuyé des gouvernements qui prônaient la diminution des effectifs, fragilisant ainsi le système de santé public ? N’aurait-il été plus sage d’investir dans la formation et le maintien en emploi d’employés réguliers et compétents, qui auraient pu développer rapidement les capacités nécessaires pour faire face à cette pandémie ?
La réponse à la question de savoir comment des professionnels de la santé peuvent soudainement décider de ne pas aller travailler alors que l’on a le plus besoin d’eux m’apparaît claire : leur travail, celui du care, n’est pas reconnu à sa juste valeur.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.
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Très belle analyse me permettant de comprendre les enjeux en cause.
Les statuts sociaux sont trop souvent déterminés par le niveau d’étude et non l’utilité de la tâche et son importance sur le terrain. Que les administrateurs en tirent des leçons.
Bien dit. Il est plus important pour un directeur du personnel d’avoir un personnel avec un secondaire 5 ,que une reele scolarité. Un jeune sepresene à l’emploie, secondaire 5 mais avec 15 ans de scolarité.. A cause de disclectxie il n’a pas le secondaire demande. Il y en a quelques un comme cela. Incompétence administrative ou couper au plus court sans regarder la valeur
de pa personnes.
Pour avoir travaillé dans le milieu de la santé et heureusement retraitée aujourd’hui, s’il y a un employeur qui a aussi peu de considération pour son personnel c’est bien dans le réseau de la santé et des services sociaux. Concernant les préposés aux bénéficiaires, je modifierais leur titre d’emploi pour celui d’aide-soignant-e; ce qui me semble plus conforme au véritable travail qu’exerce ce personnel. Deuxièmement, j’arrêterais de parler d’hôtellerie quand il s’agit d’une institution d’hospitalisation ou encore de résident en CHSLD; si ce n’est pour satisfaire certains gestionnaires du réseau. Par ailleurs, ce n’est pas sans raison qu’on parle de patient, qui est le véritable ses de ceux et celles qui doivent y séjourner. Jamais je n’oserais me présenter dans ces lieux pour prendre des vacances dans un hôpital. Les soit-disant bénéficiaires sont en général mal nourri, mal servi et souvent manquent de soins… surtout en raison du manque de personnel et non de gestionnaires. Plusieurs services ont plus de chefs que d’indiens. Et je n’ai pas parlé de la Covid-19 dans tout ça. Ce serait au moins un début de réflexion.