Les ratons laveurs de ville : de plus en plus futés ?

La cohabitation des humains et des autres espèces pose certains défis. C’est aux humains de trouver les solutions, souligne notre collaboratrice, la Dre Caroline Kilsdonk.

Anne Wright Dobbelsteyn / Getty Images

L’auteure est médecin vétérinaire et éthicienne. Ex-présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, elle travaille au Groupe de recherche en épidémiologie des zoonoses et santé publique, offre des formations et intervient régulièrement sur les relations humains-animaux et l’approche Une seule santé.

On a beau essayer de garder les ratons laveurs à l’écart de nos aliments et de nos déchets, ils déjouent nos astuces et réussissent tout de même à y accéder ! Leurs incursions dans nos bacs de compostage et nos potagers sont certes déplaisantes, mais ce n’est rien en comparaison des dommages qu’ils peuvent causer quand ils s’installent dans les greniers de nos maisons ou, pire, quand ils s’attaquent à nos poules, à nos chats ou à nous. 

Le mois dernier, j’ai participé à l’organisation d’une journée de réflexion sur le thème de la cohabitation des humains et des animaux non humains en milieu urbain. J’aime bien parler d’« animaux non humains » plutôt que d’animaux tout court. Cela nous rappelle que nous faisons partie du règne animal et partageons nos écosystèmes avec les autres espèces. Nous avons tendance à les oublier, surtout en ville, mais elles sont bien là, et même si certaines se font discrètes en étant nocturnes, elles arrivent à vivre dans des environnements modifiés par nos activités humaines. Il y a bien sûr des insectes, des oiseaux, des batraciens comme les grenouilles et les crapauds et de petits rongeurs comme les souris, les rats et les écureuils, mais il y a aussi des opossums, des marmottes, des moufettes, des lapins, des chats errants sans propriétaire, des renards et des coyotes.

Les ratons laveurs : ces adorables bêtes masquées

Aujourd’hui, c’est des ratons laveurs que je souhaite vous parler. Avec leur mignon petit museau et leurs yeux bordés de noir comme s’ils portaient un masque, ils ont la réputation d’être très intelligents. Cette perception ne date pas d’hier, comme le montre un article sur l’intelligence des ratons laveurs publié dans une revue scientifique de psychologie… en 1907 ! L’étude se concluait ainsi : les ratons sont véritablement plus attentifs et curieux que la moyenne des autres espèces, et il y a des différences dans le tempérament des individus. En psychologie, on s’intéresse aux émotions, au comportement et à la cognition des animaux pour mieux les comprendre, bien sûr, mais aussi pour faire de la psychologie comparée, une discipline très vivante et instructive.

Nous le savons maintenant : l’intelligence, ce n’est pas que la capacité de faire des raisonnements abstraits comme y arrivent les humains… Pas du tout, même ! L’intelligence se présente sous de nombreuses formes. Comme je le dis souvent à la blague, mon talent pour comprendre des textes complexes et faire des mathématiques ne me garderait pas longtemps en vie si je devais assurer ma survie en forêt.

L’attrait pour la nouveauté caractérise les ratons laveurs. Ils explorent avec curiosité les nouveaux endroits et objets, en plus de faire preuve d’une grande persévérance. Ce sont là des qualités bien utiles pour apprendre à se débrouiller dans une situation inédite.

La ville de Toronto compte une population particulièrement importante de ratons laveurs, et les défis de cohabitation y sont plus visibles que dans d’autres villes. Il y a quelques années, la Ville, conseillée par une chercheuse en comportement animal de l’Université York, Suzanne MacDonald, a donc proposé à ses citoyens un bac à compost « à l’épreuve des ratons laveurs ». Ceux-ci ont cinq doigts par patte, mais leur pouce ne peut pas servir à saisir et à serrer des objets, une faiblesse exploitée par les concepteurs du bac, qui ont créé un mécanisme d’ouverture demandant une certaine force.

La Ville a distribué ses bacs en grande pompe. Serez-vous surpris si je vous dis que certains ratons laveurs ont réussi malgré tout à déjouer le mécanisme ? À force de renverser les bacs et de tenter leur chance nuit après nuit, les ratons les plus brillants sont finalement parvenus à ouvrir ceux dont le mécanisme interne était un peu moins bien tendu.

Ces bacs ont quand même leur utilité en compliquant la tâche aux petits voleurs. Vous pouvez tout apprendre sur cette passionnante — et hilarante — saga dans cet article du Toronto Star

Ratons des villes, ratons des champs

On comprend que le comportement des ratons laveurs des villes soit distinct de celui de leurs congénères des campagnes, le contexte et les défis n’étant pas les mêmes. Mais est-il possible que l’espèce évolue différemment selon le milieu ? Les ratons laveurs femelles commencent à se reproduire à l’âge d’un an. En un siècle d’urbanisation, il y a donc une possibilité de 100 générations. Si le milieu exerce une sélection, certains gènes seront transmis plus que d’autres, et on pourra constater une évolution.

Des chercheurs de l’Université du Wyoming et de l’Université de l’Oklahoma ont voulu tester les capacités des ratons laveurs. Ils les ont capturés, leur ont fixé un petit émetteur pour suivre tous leurs déplacements et les ont relâchés. Au moment de la capture, ils ont noté le comportement de chaque raton. Tout comme les chercheurs de 1907, ils ont constaté des différences de tempérament. Certains étaient plus dociles, d’autres réagissaient avec plus d’agressivité.

Les chercheurs ont aussi installé sur le territoire des boîtes avec deux boutons, dont l’un, lorsqu’il était actionné, distribuait un aliment. Ils ont pu ainsi mesurer la capacité d’apprentissage de chaque raton laveur. Par la suite, ils ont inversé la fonction des deux leviers, ce qui leur a permis d’évaluer la capacité d’adaptation à une nouvelle situation de chacun des ratons. L’hypothèse des chercheurs était que les moins dociles, les plus audacieux, seraient ceux qui auraient la meilleure capacité d’apprentissage et d’adaptation.

Or, les scientifiques ont constaté avec étonnement que c’étaient les plus dociles qui réussissaient le mieux, comme ils le rapportent dans leur étude publiée l’an dernier. Ceux qui ont du front tout le tour de la tête seraient donc moins aptes à nous déjouer…

Les ratons ratoureux favorisés

Qu’en est-il des ratons laveurs qui s’attaquent aux humains ? Est-ce une légende urbaine ? C’est l’exception, mais ça existe. J’ai eu vent de plusieurs anecdotes de ce type, même si elles ne font pas toujours les nouvelles. Généralement, on élimine les ratons coupables. C’est une intervention sensée quand on veut éviter les récidives et qu’on sait que la majorité des animaux qu’on tente de déplacer meurent assez rapidement. 

Et quelle est la conséquence d’éliminer des individus ? Eh bien ceux-ci ne se reproduiront plus, et ne transmettront pas leurs gènes à une hypothétique descendance. Si les gènes associés au tempérament téméraire et agressif ne sont plus transmis, on aura de plus en plus d’individus plutôt discrets et timides. Or, comme nous venons de l’apprendre, ces traits sont liés à l’intelligence et à la débrouillardise. Nous serions donc, bien involontairement, en train de participer à la sélection génétique des individus les plus doués pour apprendre et s’adapter, ce qui laisse présager que nos problèmes de cohabitation avec cette espèce ne sont pas en voie de résolution… 

En m’inspirant des propos de Suzanne MacDonald, celle qui a conseillé la Ville de Toronto, je conclurai sur une note encourageante. Si les ratons laveurs ont trouvé des moyens de vivre avec nous, nous pouvons sûrement utiliser nos cortex cérébraux pour trouver des moyens de vivre avec eux. Alors qu’ils évoluent et deviennent encore plus débrouillards et astucieux, nous devrons nous aussi déployer des trésors d’ingéniosité. Si ce défi a l’effet collatéral de nous faire prendre conscience que nous, les humains, sommes partie prenante d’écosystèmes à préserver, ce sera ça de gagné !

Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇

Laisser un commentaire

Les commentaires sont modérés par l’équipe de L’actualité et approuvés seulement s’ils respectent les règles de la nétiquette en vigueur. Veuillez nous allouer du temps pour vérifier la validité de votre commentaire.

Très intéressant comme article. C’est fascinant de voir que ce qui nous semble si évident s’avère faux finalement. Donc il faut se méfier des doux ratons laveurs car ils auront le dessus sur nous.

Répondre