Les scientifiques qui nous aident à comprendre : Montrer la voie

Ils se sont lancés dans la bataille contre le virus, pour chercher des solutions et guider les politiques sanitaires, mais aussi pour nous donner l’heure juste.

De gauche à droite : Benoît Mâsse, Gaston De Serres, Caroline Quach-Thanh, Gary Kobinger et Karl Weiss (Photos : Rodolphe Beaulieu et Emilie Nadeau)

Des professeurs Tournesol parlant un jargon dans leur tour d’ivoire : cette image caricaturale des scientifiques a pris toute une claque en 2020 ! Face à un ennemi invisible qui a mis sur pause la planète au complet et a déjà tué plus de 1,2 million de personnes, ils se sont lancés dans la bataille, pour chercher des solutions et guider les politiques sanitaires, mais aussi pour nous donner l’heure juste. 

« La participation de la population, c’est au moins 80 % de la réponse à une épidémie. Le reste ne sert à rien si on n’a pas la confiance des gens. Les experts doivent se mobiliser, car ils ont plus de capital de confiance que les politiciens », dit Gary Kobinger, de l’Université Laval, impliqué dans la réponse aux épidémies depuis 14 ans.

Gary Kobinger fait partie, avec Gaston De Serres, Benoît Mâsse, Caroline Quach-Thanh et Karl Weiss, des scientifiques à qui L’actualité a choisi de rendre hommage. Ils se sont illustrés par la qualité des nombreuses explications qu’ils ont données aux Québécois, en plus des autres efforts qu’ils ont déployés face à la pandémie. 

Bien informer la population exige un investissement de temps qui ne rapporte ni argent ni avancement de carrière, et de trouver de la place dans des agendas que la crise sanitaire a fait exploser. Ensuite, pour donner l’heure juste, il faut aller au-delà de ses propres activités de recherche, en suivant à la fois la littérature scientifique et les décisions des autorités, tout en décodant le contexte social et géopolitique. Finalement, il faut trouver le ton et les mots justes en faisant preuve d’empathie.

Le microbiologiste Karl Weiss s’est imposé une discipline militaire pour affronter l’ennemi : se lever à 6 h pour lire les journaux scientifiques et suivre l’actualité internationale, enchaîner le travail clinique à l’hôpital, les réunions de coordination — notamment avec les 215 médecins microbiologistes-infectiologues québécois dont il préside l’association — et les entrevues aux médias, puis se coucher vers minuit et demi, après des tâches d’écriture. Il n’a pas pris une journée de congé de mars à mai.

Gary Kobinger et la médecin Caroline Quach-Thanh, du CHU Sainte-Justine, ont tous deux travaillé de 16 à 18 heures par jour. Pendant la semaine et demie de vacances qu’elle a prise cet été, la pédiatre n’a fait que dormir. Elle espère tenir le coup pour la suite de la crise, qu’elle aimerait voir se terminer d’ici son 50e anniversaire, en mars 2022. Et après ? « Je ne serais pas étonnée de tomber en burn-out ! » raconte celle qui a l’impression de revivre le jour de la marmotte depuis mars dernier. 

À 65 ans, Gaston De Serres voyait 2020 comme… l’année où il allait commencer à lever le pied ! « En mars-avril, mon équipe recevait des demandes d’information du ministère de la Santé presque chaque heure. Il a fallu s’organiser très rapidement pour arriver à donner des avis scientifiques robustes, compréhensibles pour les décideurs et basés sur des études qui sortaient à un rythme effréné », relate le spécialiste des maladies infectieuses à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Toujours posé et rassurant, il a accordé au moins trois entrevues par jour depuis mars, à peine moins cet été.

Le professeur Benoît Mâsse a quant à lui fait de l’éducation aux médias sa grande priorité, passant un temps fou à bien expliquer à chaque journaliste les subtilités de l’épidémiologie ou du design des essais cliniques, sans rien attendre en retour. « J’ai appris à vulgariser en travaillant sur la prévention du VIH dans les régions rurales de l’Afrique du Sud. Je me suis bien planté les premières fois ! » raconte-t-il, les yeux rieurs derrière ses lunettes carrées.

Bien d’autres scientifiques ont multiplié les efforts sur tous les fronts. « En quelques semaines ce printemps, les Fonds de recherche du Québec ont reçu 700 propositions de projets », souligne le scientifique en chef de la province, Rémi Quirion. Pour coordonner les efforts afin que les études les plus cruciales soient attaquées en priorité, il a collaboré avec le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que celui de l’Économie et de l’Innovation et créé le Réseau québécois COVID-pandémie (RQCP), qui réunit des milliers de spécialistes de toutes les disciplines, de la virologie à la robotique en passant par l’organisation des soins et l’éducation.

Dans bien des cas, ces nouveaux projets se sont ajoutés plutôt que substitués aux activités habituelles. Quand Gary Kobinger s’est mis à la recherche d’un vaccin contre le SRAS-CoV-2, par exemple, il n’a pas mis sur pause ses essais d’un vaccin contre le VIH !

Dans l’anonymat des labos, les professionnels de recherche et les étudiants des cycles supérieurs sont nombreux à avoir dû remplacer leurs patrons débordés ou changer de sujet au milieu de leur thèse, tout en étant souvent loin de leur famille — plus du tiers des étudiants aux cycles supérieurs sont étrangers. « Étudiants et professionnels de recherche ont joué un rôle fondamental », insiste Nathalie Grandvaux, codirectrice du RQCP. 

À tous, chapeau bas !

Benoît Mâsse

Biostatisticien, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chef de l’Unité de recherche clinique appliquée au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine

Quand le coronavirus fait son apparition, le chercheur de 58 ans travaille à un grand essai clinique sur la prévention de l’obésité chez les enfants chinois, avec des collègues de Shanghai. Mais il connaît bien les maladies infectieuses, lui qui a passé sept ans à Seattle comme statisticien en chef du HIV Prevention Trials Network, un réseau de recherche sur la prévention du VIH. 

Mi-février, les chiffres l’inquiètent. « J’ai écrit à une ancienne collègue, membre de l’équipe de modélisateurs de l’Imperial College de Londres [qui a fait les premières projections sur la pandémie], pour savoir si, comme moi, elle pensait qu’on allait droit dans le mur. Elle m’a répondu : “Prépare-toi à vivre en dedans pendant longtemps !” » 

Sachant que l’adhésion de la population aux mesures de santé publique n’est jamais acquise, le chercheur se soucie toujours, dans ses nombreuses interventions publiques, de donner l’heure juste, mais aussi de proposer des idées pour nous aider à mieux vivre. « Le gouvernement ne doit pas qu’interdire », insiste-t-il. Lui-même joueur de hockey à ses heures, il sait que remplacer un sport d’équipe par une marche dans le quartier n’a rien de palpitant. 

Le biostatisticien s’est impliqué dans la modélisation des projections de la pandémie réclamée par l’INSPQ et travaille à des modèles qui aideront à guider les futures campagnes de vaccination. Il garde toutefois du temps pour ses étudiants, qu’il ne veut surtout pas laisser tomber pendant cette crise. « Benoît en fait beaucoup pour encourager les jeunes et les faire progresser », souligne un de ses collègues et anciens étudiants, le professeur Simon de Montigny.

Gaston De Serres

Épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec

Médecin de famille venu à l’épidémiologie lors de l’épidémie de rougeole qui a frappé le Québec en 1989, professeur à l’Université Laval jusqu’en juin 2020, Gaston De Serres a rejoint l’Institut national de santé publique du Québec dès sa création, en 1998. Depuis mars dernier, jour après jour, il analyse les données sur la pandémie, pour comprendre où et comment la maladie se propage à chaque instant. Il donne du sens aux chiffres qu’on s’est habitué à surveiller. 

Dans l’ombre, il joue un rôle crucial pour alimenter les décisions prises par Québec, partageant son temps entre analyses, réunions et collaborations avec d’innombrables chercheurs, en compagnie desquels il recueille les données qui manquent afin de mieux gérer la crise. Durant l’été, il a notamment piloté une enquête menée en un temps record auprès de 5 000 des 13 000 travailleurs de la santé ayant contracté la COVID-19 lors de la première vague. Le rapport de près de 80 pages publié mi-octobre permet déjà de tirer des leçons.

Pilier du Comité sur l’immunisation du Québec, dont il fait partie depuis 20 ans, le médecin est reconnu internationalement pour ses analyses de la sécurité des vaccins, veillant à ce qu’on n’en fasse ni trop ni trop peu pour protéger la population.

Sous ses allures de grand-papa un peu échevelé, aussi calme que chaleureux, se cache un redoutable esprit critique. Il ne tient jamais rien pour acquis. « L’OMS dit quelque chose ? Avant d’y croire, il va vouloir voir les données ! » lance l’anthropologue Ève Dubé, une de ses collègues à l’INSPQ, dont il a été le mentor. 

« Au-delà de 10-12 heures de travail par jour, je ne suis plus efficace », reconnaît-il en riant. Regarder District 31 et retrouver, quand c’est autorisé, ses quatre enfants et six petits-enfants constituent autant de pauses essentielles pour garder les idées claires. Avec l’arrivée imminente de vaccins, il sait que ses prochains mois seront encore plus éreintants que les précédents.

Caroline Quach-Thanh

Pédiatre, microbiologiste-infectiologue, professeure à l’Université de Montréal et médecin responsable de la prévention et du contrôle des infections au CHU Sainte-Justine 

Chaque dimanche depuis mars, vers 8 h, la Dre Caroline Quach-Thanh est au micro de Radio-Canada Première. Elle n’a manqué qu’une semaine ! « Excellente communicatrice, rigoureuse et experte dans plusieurs disciplines, à jour sur les décisions, critique, souriante et terriblement empathique », voilà les qualités que lui prête l’animateur de Dessine-moi un dimanche, Franco Nuovo.

La pandémie a plongé la Dre Quach-Thanh dans un tourbillon d’activités. Dès le 15 janvier, elle prévient son directeur général et les équipes de première ligne que le virus approche, et commence les préparatifs. Prudente, elle consigne tous ses avis, pour que la crise puisse être bien documentée.

Parcourant l’hôpital de réunion en réunion, accrochée à chaque instant dans les couloirs pour donner son avis sur un patient, un équipement ou une procédure, téléphone à la main pour rester joignable en tout temps, elle maîtrise la situation. « Ce qui m’a beaucoup rassurée, c’est que je n’ai jamais pris une décision seule », raconte-t-elle.

Présidente du Comité consultatif national de l’immunisation, qui conseille le fédéral en la matière, elle travaille aussi au Centre d’étude de vaccins du Centre universitaire de santé McGill, où elle supervise six étudiants aux études supérieures. En juin, elle a reçu 2,1 millions de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada pour étudier le risque de réinfection chez 735 travailleurs de la santé infectés au cours de la première vague.

« Caroline est extrêmement intelligente et elle a toujours travaillé très fort », dit le pédiatre Jean-François Chicoine, un de ses collègues à Sainte-Justine, qui l’a connue alors qu’elle était jeune étudiante. « Elle ne s’énerve jamais, mais elle n’est pas froide pour autant ! »

Gary Kobinger

Directeur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval et membre du Groupe consultatif stratégique et technique de l’OMS sur les risques infectieux

Quand la Chine signale à l’Organisation mondiale de la santé les premiers cas de pneumonie atypique, en décembre 2019, Gary Kobinger est aux premières loges, comme membre du groupe de 13 experts qui conseille l’OMS sur les risques infectieux. Il comprend vite que le virus fera mal. 

Le microbiologiste natif de Québec a tout un bagage pour affronter une pandémie. Sur le plan scientifique, il est considéré par bien des pairs comme un génie. Il a d’ailleurs raflé des prix innombrables, notamment après avoir découvert le premier vaccin contre le virus Ebola. Sur le plan humain, il place l’intégrité et le partage au-dessus de tout. 

« Quand on publie des articles avec des chercheurs africains, il se met toujours au milieu de la liste des auteurs, la place la moins prestigieuse », raconte son étudiant Marc-Antoine de La Vega, qui le suit depuis 2012.

Dès janvier, son labo de Québec a adapté au coronavirus sa recette de base de vaccin conçue pour enrayer des virus émergents. Levé aux aurores pour les réunions de l’OMS, Gary Kobinger partage le reste de ses journées entre la recherche, les échanges avec Ottawa et des entreprises pharmaceutiques, la gestion de sept laboratoires mobiles déployés dans le nord du Canada pour diagnostiquer la COVID-19, l’enseignement, les médias et les conférences.

Homme de conviction, il a démissionné avec fracas en septembre du groupe de travail fédéral sur les vaccins contre la COVID, qui refusait de dévoiler publiquement les conflits d’intérêts de ses membres. « Il n’y avait aucune raison d’être si secret ! » s’insurge Gary Kobinger. 

Après des années sans vacances, le chercheur de 51 ans veut ralentir en 2021, pour passer plus de temps en famille et s’occuper de sa ferme en Mauricie. Il souhaite aussi faire grandir GuardRX, l’organisme sans but lucratif qu’il a créé pour élaborer des vaccins et traitements gratuits.

Karl Weiss

Chef de la Division des maladies infectieuses à l’Hôpital général juif de Montréal, professeur de clinique à l’Université de Montréal et président de l’Association des médecins microbiologistes-infectiologues du Québec

Mordu d’histoire, le Dr Karl Weiss sait que les maladies infectieuses ont façonné l’humanité — il est intarissable sur le sujet. Dans la guerre au coronavirus, le chercheur clinicien s’est comporté en stratège.

Première étape : préparer son hôpital. Fin janvier, les commandes d’équipements ont été envoyées, les patients qui avaient voyagé là où le virus sévissait ont été isolés. « Après, je suis descendu dans les tranchées pour comprendre vraiment ce qui se passait », raconte le Niçois d’origine. L’expression « les tranchées », par laquelle il désigne le travail des soignants auprès des patients, revient souvent. « Dans une crise, le gouvernement doit maîtriser la stratégie, mais les décisions tactiques doivent se prendre sur le terrain. Ce sont les infirmières qui savent comment elles doivent s’organiser », insiste-t-il. 

Mi-avril, Karl Weiss, d’un tempérament plutôt stoïque, a eu peur. « Pas pour moi ni pour ma famille, ni à l’hôpital, aussi sécuritaire que l’intérieur d’une centrale nucléaire, mais en voyant la pandémie se répandre malgré tous nos efforts. » Pendant l’été, il a soufflé, renoué un peu avec la natation et s’est préparé à la deuxième vague, qu’il savait inévitable. « On ne fait pas la prochaine guerre comme on a gagné la première. » 

Son collègue infectiologue Matthew Oughton estime que peu de gens ont autant de connaissances que lui dans des champs variés. « Il sait aussi s’y prendre pour que les choses bougent, dans le travail quotidien à l’hôpital ou sur le plan politique. » Durant cette crise, ses internes ont également pu profiter amplement de son expertise. « Ils sont les héritiers de cette histoire, et seront au front dans la prochaine guerre », dit Karl Weiss.

Les commentaires sont fermés.

J’aurais aimé que cet article fasse état de la vague de « désinformation » dont fait l’objet la vaccination contre la Covid19. Surtout les propos d’un « confrère » tel Dr. Christian Perrone qui mène une cavale qui va à l’encontre des croyances des scientifiques dont fait l’objet de l’article. Un fort pourcentage de la population, surtout en France, adhère au vues de C. Perrone….m’ffff.