Les grands froids et les grosses chaleurs ne causent pas que des inconforts. Ces épisodes extrêmes peuvent aussi avoir des conséquences sérieuses sur la santé cardiaque, révèle une étude récente publiée dans la revue Circulation.
L’enquête d’envergure mondiale, à laquelle le Canada a participé, conclut que les températures très froides et très chaudes sont associées à une augmentation de la mortalité due à des maladies du cœur, comme l’infarctus et l’arythmie, ainsi qu’à des accidents vasculaires cérébraux (AVC).
Réalisée à partir de données s’étalant de 1979 à 2019, l’analyse s’appuie sur des statistiques météorologiques et médicales en provenance de 567 villes de 27 pays des cinq continents. Les chercheurs ont croisé les relevés des températures quotidiennes avec les statistiques sur les décès liés à des incidents cardiovasculaires afin d’isoler la surmortalité due aux conditions extrêmes. Résultat : environ 1 décès de maladie cardiovasculaire sur 100 peut être attribué aux températures extrêmes, disent les chercheurs. Même si cela semble peu, à l’échelle d’une population, l’effet est notable. L’augmentation est particulièrement prononcée pour les décès dus à l’insuffisance cardiaque.
Voilà une bonne chose à savoir avant de mettre le nez dehors. Et un sérieux avertissement aux autorités de santé publique, puisque les maladies cardiovasculaires sont déjà parmi les principales causes d’hospitalisation au pays et que les épisodes météorologiques extrêmes sont appelés à se multiplier dans l’avenir.
L’actualité en a discuté avec Éric Lavigne, épidémiologiste principal à Santé Canada, professeur auxiliaire à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa et coauteur de l’étude avec une quarantaine d’autres chercheurs.
Quels mécanismes physiologiques surviennent en période de températures extrêmes ?
Cela varie, selon qu’il fasse froid ou chaud. Le froid entraîne une vasoconstriction : les vaisseaux sanguins se rétrécissent. Il augmente aussi la viscosité du sang, ce qui a pour résultat d’accroître la pression sanguine ainsi que le travail du cœur pour « pomper » du sang à chaque battement. Si on ajoute des problèmes d’athérosclérose [NDLR : une accumulation de dépôts de graisses provoquant un durcissement et un rétrécissement des artères], c’est un cocktail parfait pour subir un événement cardiaque.
Quand il fait très chaud, les gens suent davantage pour tenter de maintenir une température corporelle normale. Les effets de la déshydratation et du débalancement électrolytique se font alors sentir. Le débit sanguin se dirige davantage vers les extrémités, ce qui peut engendrer des problèmes de circulation sanguine. Quelqu’un aux prises avec des conditions cardiaques préexistantes peut voir sa pression artérielle augmenter, avec les dangers que cela comporte.
Et comment se fait-il que les gens en meurent ?
La chaleur ou le froid agit comme un déclencheur pour les gens qui ont une condition cardiaque préexistante. Ces gens-là seraient décédés quelques mois ou quelques années plus tard, mais l’épisode extrême a déclenché une cascade de réactions physiologiques menant à la mort.
On peut émettre l’hypothèse que les facteurs de vulnérabilité préexistants sont importants dans cette surmortalité. On l’a vu par exemple avec le dôme de chaleur en Colombie-Britannique en 2021. Les études de suivi démontrent très clairement que la surmortalité était liée à des comorbidités (des problèmes de santé déjà présents), mais aussi à des facteurs de vulnérabilité sociale comme le fait de vivre seul et l’absence de climatisation.
Qu’est-ce qu’une température extrême dans le cadre de votre étude ?
La définition d’une température extrêmement chaude ou extrêmement froide va évidemment varier d’un endroit à l’autre. Ce qui est très froid pour le sud des États-Unis ne l’est pas nécessairement pour le nord du pays, et vice-versa. On utilise donc les percentiles pour définir les températures extrêmes, en se basant sur des relevés quotidiens sur une longue période, allant de 20 à 30 ans.
On va parler d’une température extrêmement chaude lorsqu’elle dépasse le 97,5e percentile [NDLR : c’est-à-dire plus chaude que 97,5 % des températures enregistrées à cet endroit du globe]. Pour le froid, c’est lorsqu’elle se situe en deçà du 2,5e percentile. Les températures ne sont donc pas les mêmes en valeur absolue selon les régions, mais les conséquences sont similaires. Par exemple, une journée à –10 °C en Europe peut avoir le même impact qu’une température de –30 °C chez nous, et ce, pour plusieurs raisons. Certains pays ne sont peut-être pas aussi bien équipés que nous en matière de chauffage et d’infrastructures. Les humains sont également capables de s’adapter et d’acquérir un seuil de tolérance plus élevé à des températures plus froides s’ils y sont régulièrement exposés. C’est la même chose avec la chaleur.
Combien de temps faut-il être exposé à ces températures pour en ressentir les conséquences ?
Chez une personne qui a une condition cardiaque, il suffit parfois de quelques heures d’exposition à une température très froide pour voir des impacts physiologiques qui peuvent perturber les fonctions du cœur.
Dans le cas de la chaleur extrême, des effets physiologiques susceptibles de mener à un coup de chaleur (potentiellement mortel) peuvent se faire sentir en l’espace de quelques dizaines de minutes d’exposition, en particulier chez des populations vulnérables. Des répercussions sur les appareils respiratoire et cardiovasculaire peuvent se manifester en quelques heures.
Une augmentation de la mortalité de 1 %, est-ce une hausse importante ?
C’est sûr que 1 %, ça peut paraître peu, mais il faut le voir d’un point de vue populationnel. Sur une population de quelques centaines de milliers d’individus, voire de millions d’habitants, une surmortalité de 1 %, c’est majeur. Des mesures de prévention sont donc très pertinentes pour prévenir des centaines et même des milliers de décès.
Dans un contexte de changement climatique, la chaleur extrême pourrait avoir un impact considérable sur notre système de santé, et ce, pour des décennies à venir, surtout lorsqu’on sait que les maladies cardiovasculaires représentent déjà un fardeau important pour les hôpitaux.
En raison du changement climatique, les décès dus au froid vont diminuer, mais cette diminution sera accompagnée d’une augmentation égale, voire supérieure des décès liés à la chaleur, surtout avec les scénarios prévoyant une hausse des émissions de gaz à effet de serre.
Individuellement, que peut-on faire ?
Il faut écouter les avis de la santé publique qui, lors de chaque vague de froid ou de chaleur, nous rappelle les mesures à adopter. Si on connaît une personne qui habite seule, il est bien de prendre contact avec elle. Les personnes seules sont souvent âgées, peuvent avoir des comorbidités, et sont donc vulnérables.
J’ai 81 ans et depuis quelques années j’ai remarqué que lorsqu’il fait très froid, j’ai beaucoup de mal à respirer. Alors maintenant je suis sage et je reste à la maison.