Les tiques à pattes noires, que l’on appelle au Québec « tiques du chevreuil », ne sont plus confinées à l’Estrie et à la Montérégie. Les promeneurs en croisent de plus en plus dans les régions plus au nord, selon un récent rapport de l’INSPQ. Parfois même aussi loin qu’en Gaspésie et sur la Côte-Nord, où elles arrivent accrochées à des oiseaux ! Et si ces petites bestioles peuvent transporter la bactérie qui cause la maladie de Lyme, elles peuvent également abriter plusieurs autres microorganismes pathogènes que les autorités de santé publique surveillent.
Lorsqu’ils ont testé le sang de plus de 1 000 patients de la Nouvelle-Angleterre, des scientifiques de l’Université Yale, au Connecticut, ont ainsi détecté chez 3 % des sujets des anticorps contre Borrelia miyamotoi, une bactérie qui peut causer des fièvres récurrentes et qui se propage par les tiques. Puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie à déclaration obligatoire au Québec, le nombre de cas n’est pas connu, mais la bactérie a été détectée chez 0,4 % de toutes les tiques analysées par l’INSPQ — en collaboration avec le Laboratoire national de microbiologie à Winnipeg — depuis 2006.
Les chercheurs américains ont aussi trouvé, dans le sang de 10 % des participants à leur étude, des anticorps contre Babesia microti, un parasite que transmettent les tiques. Celui-ci peut provoquer la babésiose, une infection qui donne des symptômes d’allure grippale, mais qui n’a pas encore été détectée chez l’humain au Québec.
L’INSPQ s’intéresse à deux autres maladies qui peuvent être transmises par les tiques, l’encéphalite de Powassan et l’anaplasmose. Cette dernière a d’ailleurs touché plusieurs Estriens à l’été 2021, principalement dans la ville de Bromont, selon une étude réalisée par l’Agence de la santé publique du Canada, l’Université de Sherbrooke et la Direction de santé publique de l’Estrie. Parmi les 25 cas confirmés, 11 ont nécessité une hospitalisation. En plus des activités de plein air, le jardinage et l’entretien de la pelouse sont cités comme particulièrement à risque.
Pour faire le point sur les maladies transmises par les tiques au Québec, L’actualité a interviewé deux auteures du rapport de l’INSPQ : Najwa Ouhoummane, épidémiologiste à l’INSPQ, et Karine Thivierge, chef du laboratoire de parasitologie au Laboratoire de santé publique du Québec.
Est-ce qu’on retrouve des tiques partout au Québec ?
Najwa Ouhoummane : Les données de notre programme de surveillance nous permettent d’avoir une très bonne idée de la présence et de la progression des tiques. L’espèce responsable de la transmission de la maladie de Lyme, Ixodes scapularis, est présente partout au Québec actuellement, à l’exception des régions les plus nordiques : les territoires cris et le Nunavik.
La probabilité de se faire piquer par une tique porteuse de maladies est plus élevée dans les régions endémiques pour la maladie de Lyme, telles que l’Estrie et la Montérégie et plusieurs autres secteurs, comme on peut le voir sur la carte interactive produite par l’INSPQ. Mais le risque existe même dans les territoires les plus éloignés, où on est exposé à des tiques « adventices », c’est-à-dire qui y ont été transportées par des oiseaux migrateurs, mais qui ne peuvent pas s’y établir, faute d’un environnement favorable à la survie à long terme ou à la reproduction. Il faut donc se protéger partout lorsqu’on se promène dans la végétation.
Comment les tiques progressent-elles au Québec ?
Karine Thivierge : Différentes conditions sont nécessaires pour que des tiques puissent s’établir dans une région. À chaque stade de vie, que ce soit la larve, la nymphe ou l’adulte, la tique doit piquer un hôte pour s’alimenter. Les larves et les nymphes ont tendance à piquer de petits animaux comme la souris. Et c’est comme ça qu’elles peuvent être contaminées par des bactéries ou des parasites. Le réservoir principal des pathogènes responsables de la maladie de Lyme, de la babésiose et de l’anaplasmose, c’est la souris à pattes blanches. C’est beaucoup par cette espèce que la tique devient porteuse de ces maladies. La présence de chevreuils est aussi importante pour l’établissement des tiques dans une région, car ils servent en quelque sorte de lieu de rencontre entre les mâles et les femelles pour la reproduction. Si des éléments du cycle sont absents, les tiques peuvent se retrouver dans une région sans toutefois pouvoir s’y établir de manière permanente, ce qui diminue le risque de piqûre.
N.O. : On s’attend à ce que les populations de tiques s’implantent de plus en plus vers le nord en raison des changements climatiques et environnementaux qui font que de plus en plus de régions deviennent favorables à leur établissement. Les modèles prédictifs montrent que les tiques se déplacent de 30 à 50 km par année. Avec l’allongement de la saison chaude, elles sont aussi actives sur une plus longue période et les humains y sont donc plus exposés, ce qui augmente le risque de contracter une maladie.
Les tiques donnent-elles toutes des maladies ?
K.T. : Dans le cadre de notre programme de surveillance au Québec, on reçoit au laboratoire une douzaine d’espèces de tiques. Certaines d’entre elles, comme la tique du lapin, ne donnent aucune maladie. D’autres peuvent être porteuses de maladies, mais ne pas avoir tendance à piquer les humains. C’est le cas d’Ixodes cookei [NDLR : la tique de la marmotte], qui reste dans les terriers ou sous les cabanons, par exemple. On retrouve aussi Dermacentor variabilis [NDLR : la tique américaine du chien], une espèce connue pour transmettre la fièvre pourprée des montagnes Rocheuses, mais le pathogène responsable de cette maladie est absent au Québec. Pour différencier les espèces, l’INSPQ a produit un guide d’identification à l’intention des médecins et vétérinaires.
N.O. : Et même chez Ixodes scapularis, l’espèce qui peut transmettre des pathogènes au Québec, ce ne sont pas toutes les tiques qui sont porteuses. Entre 2003 et 2019, 17 % de ces tiques en moyenne étaient positives à Borrelia burgdorferi, la bactérie qui cause la maladie de Lyme. Cette proportion est toutefois plus élevée dans les régions endémiques pour la maladie de Lyme. On observe aussi une légère augmentation dans le temps de la proportion de tiques infectées par cette bactérie, qui a atteint un sommet à 23 % en 2019. Le pourcentage de tiques infectées par un autre pathogène est largement inférieur : par exemple, seulement 2 % sont porteuses de la bactérie responsable de l’anaplasmose.
A-t-on déjà eu connaissance de cas de maladies au Québec à cause de ces autres pathogènes ?
N.O. : À l’heure actuelle, le nombre de cas déclarés de ces maladies reste faible au Québec. Pour l’anaplasmose, on a tout de même noté une augmentation au cours de la dernière année. L’Estrie a d’ailleurs rapporté 35 cas probables à l’été 2021, sur un total de 47 dans la province. Par comparaison, en 2019 et 2020, on avait compté seulement 4 cas. On a aussi remarqué au fil du temps une augmentation de la proportion de tiques positives à la bactérie responsable de l’anaplasmose, une tendance semblable à ce qui se passe dans les autres provinces canadiennes et les États limitrophes au sud du Québec.
Depuis 2019, il n’y a eu aucun cas déclaré de babésiose ou d’encéphalite de Powassan au Québec. De plus, depuis 2009, on recense très peu de tiques positives aux pathogènes responsables de ces deux maladies.
Comment se protéger ?
K.T. : L’une des façons les plus efficaces de prévenir la transmission des maladies, c’est d’inspecter sa peau au retour d’une activité dans une zone à risque pour détecter la présence d’une tique. Pour la maladie de Lyme, si on retire la tique avec une pince dans les 36 premières heures, le risque de transmission est presque nul.
Même si les tiques sont actives du printemps à l’automne, le risque d’attraper une maladie est plus élevé pendant l’été, notamment parce qu’on a tendance à être moins habillé. Il faut donc favoriser le port de vêtements longs. On peut aussi utiliser certains chasse-moustiques efficaces contre les tiques, comme ceux à base de DEET ou d’icaridine.
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