Les tubes dans les oreilles sont-ils la solution pour les otites ?

Avec le retour de la saison froide, de nombreux tout-petits risquent de souffrir d’otites, parfois à répétition. L’installation de tubes dans les oreilles est-elle la solution pour les prévenir ? Un expert en ORL pédiatrique fait le point.

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Faire une otite, puis une deuxième trois mois plus tard… Cela n’a rien d’agréable pour un bambin, mais ce n’est pas une raison suffisante pour lui installer des tubes dans les oreilles, selon l’Académie américaine d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale. Cet organisme phare dans le domaine a mis à jour en février 2022 ses lignes directrices sur cette intervention, et y précise quels enfants peuvent réellement en bénéficier. 

Le Dr Mathieu Bergeron, co-chef du service d’oto-rhino-laryngologie (ORL) au CHU Sainte-Justine et chercheur, souligne que ces énoncés sont très importants puisqu’ils évitent de mettre des tubes inutilement à un enfant qui n’en aurait pas besoin.

Deux raisons principales justifient cette intervention, explique le médecin. La première, c’est le cas d’un enfant qui fait des otites moyennes aiguës à répétition. « On parle alors d’au moins trois infections en six mois ou quatre dans la dernière année, dont une dans les six derniers mois », précise-t-il. La deuxième, c’est la présence persistante de liquide dans les oreilles qui affecte l’audition de l’enfant. Les tubes installés dans le tympan agissent alors comme un drain en facilitant l’évacuation du liquide accumulé derrière et en équilibrant la pression de part et d’autre.

L’intervention dure environ une dizaine de minutes. « On fait une incision de quelques millimètres dans la membrane tympanique du patient, on aspire le liquide derrière le tympan et on insère le tube », explique le Dr Bergeron. Le tube peut rester en place de 6 mois à 18 mois, mais tombe généralement de lui-même un an plus tard, et le tympan se referme.

Une surutilisation des tubes ?

Aux États-Unis, l’installation de tubes est l’opération de chirurgie ambulatoire la plus fréquente chez les enfants. Elle est très courante au Québec aussi, affirme le Dr Bergeron : 9 092 interventions du genre ont été réalisées en 2019-2020, selon des données du ministère de la Santé et des Services sociaux. Ce nombre a diminué considérablement pendant la pandémie, probablement en raison des mesures sanitaires qui ont réduit les cas d’otites. En 2021-2022, le nombre d’interventions se situait à 5 006.

L’insertion de tubes dans les oreilles n’est pourtant pas sans risques. Il y a d’abord les complications associées à l’anesthésie, puisque l’enfant est généralement endormi pendant l’opération. « Ces complications sont toutefois extrêmement rares pour ce genre de procédure rapide », souligne le Dr Bergeron.

Par ailleurs, après la pose des tubes, certains patients peuvent avoir des écoulements chroniques. Mais la perforation du tympan est la plus importante complication susceptible de survenir. « Lorsque le tube est expulsé naturellement par le corps, il peut laisser une perforation qui ne se referme pas chez de 1 % à 3 % des enfants, explique le Dr Bergeron. Cela peut causer des troubles d’audition, une conséquence ironique alors qu’on installe des tubes entre autres pour améliorer l’ouïe. » Il est toutefois possible de faire une opération pour aller fermer le tympan, précise le médecin.

En raison de ces risques, la Joint Commission, un organisme américain sans but lucratif qui a pour mission d’évaluer les organisations de santé, a commencé dès 2012 à s’inquiéter de la surutilisation des tubes chez les enfants. L’Académie américaine d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale a élaboré de nouvelles lignes directrices l’année suivante pour s’assurer que les médecins n’allaient plus proposer l’intervention d’emblée. Le point important : ne pas installer de tubes à un enfant s’il n’y a pas de liquide dans les oreilles au moment de l’examen par l’ORL. Cette recommandation a été reconduite en 2022, lors de la mise à jour des lignes directrices.

« Si un médecin de première ligne diagnostique une otite à un enfant et que l’examen par un ORL un mois plus tard montre des oreilles normales, cela signifie que l’enfant peut se guérir lui-même de ses infections de manière efficace », remarque le Dr Bergeron. Dans un cas comme celui-là, les tubes ne sont donc pas indiqués.

Depuis sa mise en place en 2013, cette recommandation aurait limité la pose non nécessaire de tubes chez la majorité des enfants qui avaient des otites à répétition mais qui n’avaient pas de liquide dans les oreilles, selon une étude réalisée en 2019 par des chercheurs de l’Université du Texas.

Des bénéfices pour certains enfants

La décision d’installer des tubes repose en grande partie sur le nombre de diagnostics d’otite que l’enfant a reçus dans la dernière année. Or, diagnostiquer une otite chez les jeunes enfants n’est pas simple, affirme le Dr Bergeron. Ils ne sont pas très coopératifs, les oreilles ne sont pas nécessairement bien nettoyées, et s’ils pleurent beaucoup, cela peut augmenter la rougeur du tympan et fausser le résultat de l’examen. De plus, les médecins de première ligne n’ont pas toujours l’équipement ou l’expérience qu’il faut pour confirmer la présence de liquide derrière le tympan, un élément critique du diagnostic.

En présence de liquide dans les oreilles de l’enfant lors de l’examen par l’ORL et si le patient a des otites à répétition ou des troubles d’audition, les bénéfices des tubes semblent dépasser les risques. Selon l’Académie américaine d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, les tubes diminuent bel et bien la fréquence des otites. Le Dr Bergeron rappelle toutefois qu’ils ne les éliminent pas complètement.

« Les infections seront cependant mieux tolérées », remarque le spécialiste. Lors d’une otite, c’est la présence de bactéries et de liquide derrière le tympan qui crée une pression et qui est responsable de la douleur. « Les tubes empêchent cette pression de s’accumuler. L’otite va plutôt se manifester par un simple écoulement », précise-t-il. L’enfant conserve donc un meilleur état général.

Les tubes améliorent ainsi la qualité de vie de ces enfants et contribuent à réduire l’absentéisme à la garderie, ainsi qu’au travail pour les parents. Les otites sont en effet très fréquentes durant la petite enfance, surtout de l’âge de six mois à trois ans. Selon la Société canadienne de pédiatrie, 75 % des enfants en ont souffert au moins une fois avant l’entrée à l’école. Le Dr Bergeron le confirme, ses petits patients ont le plus souvent entre un an et trois ans.

Les tubes peuvent aussi prévenir des complications rares, mais graves, comme une infection de l’os derrière l’oreille ou la formation d’un abcès cérébral.

Par ailleurs, toujours selon l’Académie américaine d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, en diminuant la présence de liquide derrière le tympan, les tubes réduisent la perte d’audition chez le tout-petit. « Il s’agit vraiment d’une période critique du développement pour le langage, insiste le Dr Bergeron. On veut donc rétablir l’audition pour que l’enfant puisse tout capter dans son environnement, autant les discussions que les bruits autour. »

Contrer la résistance aux antibiotiques ?

Autre avantage, les tubes permettent l’administration locale de gouttes antibiotiques en cas d’otite. Les parents ont même le traitement en réserve à la maison, et lors d’un écoulement par l’oreille, ils n’ont qu’à le donner à leur enfant.

« Il s’agit d’une utilisation judicieuse des antibiotiques », affirme le Dr Bergeron. On peut ainsi prévenir leurs effets secondaires quand ils sont pris par la bouche ou par intraveineuse, comme les effets gastro-intestinaux, les allergies et l’émergence d’une résistance aux antibiotiques. 

Ces bénéfices ne sont pas négligeables. « Les enfants qu’on voit au CHU Sainte-Justine en sont parfois à leur troisième ou quatrième traitement aux antibiotiques en quelques semaines, déplore le médecin. Certains ne répondent plus aux administrations intraveineuses. La pose de tubes présente incontestablement un avantage pour ces enfants. »