Nous croyons souvent qu’il nous est possible de prendre nos décisions de façon objective, sans trop d’influence de l’extérieur. Pourtant, que ce soit pour nos choix en affaires, en amour ou liés au plaisir, l’opinion de nos proches joue un grand rôle. Les neurosciences s’intéressent à la manière dont notre cerveau s’y prend pour changer d’idée sur un sujet. On découvre que différentes régions de cet organe sont impliquées dans une prise de décision, que celle-ci soit uniquement basée sur de l’information ou influencée par notre groupe social.
L’information ou la norme sociale ?
Dans une étude récemment publiée par une équipe de chercheurs en imagerie cérébrale britanniques et allemands, on a voulu comprendre comment le cerveau traitait des données nécessaires à la prise de décision. Dans votre quotidien, vous avez toujours le choix. Sur un sujet particulier, vous pouvez prendre une décision basée sur une nouvelle information, c’est ce que l’on nomme un changement d’idée informationnel, ou bien vous laisser influencer par ceux qui vous entourent, ce qui constitue un changement d’idée normatif. Cette étude a permis de voir que différentes régions du cerveau sont à l’œuvre, selon le type de réflexion que vous êtes en train de faire.
Pour parvenir à cette découverte, les chercheurs ont été particulièrement ingénieux. Ils ont inventé un jeu vidéo simple qui consiste à demander au joueur de mémoriser le premier d’une série de points qui lui sont présentés sur un écran d’ordinateur. On efface les points et le joueur doit remettre le premier point au bon endroit. Dans l’expérience, les chercheurs ont dit à chaque joueur de réfléchir à cette décision, d’en évaluer le degré de certitude, et ensuite de « changer d’idée » pour replacer le point encore plus près de ce qu’ils jugent être sa véritable position initiale.
Une soixantaine de joueurs ont participé à l’expérience. Ils étaient divisés en groupes de deux. Avant de repositionner leur point sur l’écran, certains ont eu accès à l’évaluation d’exactitude de leur partenaire afin que l’on puisse mesurer l’influence sociale de leur changement d’idée. Les chercheurs ont constaté qu’un joueur qui doutait de la position qu’il avait choisie se fiait davantage à l’avis de son coéquipier.
Le cerveau du changement d’idée
Une région de notre cerveau joue un rôle majeur lorsque vient le temps de changer d’idée. Il s’agit du cortex cingulaire antérieur. Cette partie du cortex ressemble à un collier enroulé autour des fibres qui unissent les deux hémisphères du cerveau, le gauche et le droit. La partie dorsale de cette région s’active quand nous devons songer à modifier une décision, une découverte qui date de quatre ans à peine. Une autre étude montre que c’est également cette région qui s’active lorsque nous décidons de nous conformer à des normes sociales.
Il n’était donc pas surprenant de voir la partie dorsale du cortex cingulaire antérieur des joueurs s’activer au moment où ils évaluaient le degré de certitude des autres. Plus les joueurs étaient incertains de leur propre décision, plus cette région travaillait à tenir compte de celle de leur partenaire.
Un logiciel peut-il nous faire changer d’avis ?
En fait, cette expérience comporte un leurre, une tromperie qui en dit long sur notre confiance envers les ordinateurs. Une partie des joueurs se sont fait dire qu’ils avaient accès à l’évaluation de leur coéquipier alors que ce n’était pas le cas. En réalité, les évaluations provenaient d’un logiciel. Chez les joueurs qui ont été avisés dès le départ que l’information normative était issue d’un ordinateur, la région dorsale du cortex cingulaire antérieur ne s’est pas activée. Les joueurs n’ont donc pas tenu compte des propositions informatiques, ils se sont plutôt fiés à leur propre évaluation avant de changer d’idée.
D’autres régions plus traditionnellement associées à la socialisation s’activent également quand le joueur est particulièrement hésitant entre les décisions informatives et normatives. Il s’agit du cortex préfrontal dorsomédian, situé à l’avant du cerveau, et de la jonction temporo-pariétale, sise au-dessus et en arrière des oreilles. Chaque individu étant différent, les résultats de cette recherche révèlent des comportements variés et montrent aussi la complexité du cerveau à l’œuvre.
L’importance des neurosciences dans la compréhension de nos décisions
Cette recherche sur les mécanismes qui sont associés à notre capacité de changer d’idée est importante. Lorsque nous doutons des choix que nous devons faire dans nos vies, nous avons recours à de l’aide extérieure, par l’intermédiaire d’amis ou de lectures de diverses sources. La découverte de ces régions vient confirmer que des mécanismes nous permettent de faire cette analyse et d’en bénéficier pour notre survie.
Cependant, la question de la qualité des sources normatives reste centrale dans le résultat qui en découle. La découverte qu’une source normative d’origine informatique ne semble pas être retenue démontre bien que le cerveau a intégré l’idée que les informations les plus pertinentes proviennent du clan, du groupe avec lequel nous partageons le plus d’affinités. La nature humaine est ainsi faite. Les résultats de cette étude devront s’ajouter aux autres dans l’évaluation de notre capacité à nous adapter aux liens de plus en plus étroits entre l’humain et l’ordinateur.
Dans le contexte de notre grande dépendance aux médias sociaux tels que Facebook et Twitter pour nous informer, nous forger une opinion et même changer d’idée, la véracité même des faits présentés à nous devient problématique. Nous entrons dans une ère de « postvérité », où l’information qui circule est constamment manipulée. Nous devrons donc utiliser de plus en plus notre cerveau pour remettre en question, fouiller, vérifier tout ce qui nous est présenté avant même d’accepter de changer d’idée. Tout un défi.