L’incroyable complexité du cerveau humain

Le cerveau recèle encore d’innombrables secrets. Le jour où l’intelligence artificielle réussira à l’imiter n’est pas près d’arriver. 

Images sources : Getty Images ; montage : L’actualité

Neurochirurgien et neuro-oncologue, David Fortin est également professeur à l’Université de Sherbrooke, où il dirige le laboratoire de recherche sur les tumeurs cérébrales.

Est-il possible que les ordinateurs soient bientôt capables de performances comparables à celles du cerveau, comme le disent certains chercheurs en intelligence artificielle ? 

En tant que neurochirurgien, j’en doute ! Le cerveau humain, cet organe prodigieux, est d’une incroyable complexité, c’est même sans doute l’objet connu le plus complexe de l’univers. Ce serait tout un exploit que d’arriver à le copier, alors que son fonctionnement recèle encore une part de mystère.

J’opère dans le cerveau depuis 23 ans (si l’on tient compte des années de formation en neurochirurgie, c’est plus d’une trentaine d’années) et je suis encore ébloui par la grande résilience de cet organe face aux différentes intrusions ou interventions que nous lui faisons subir. 

C’est au neuroscientifique espagnol Santiago Ramón y Cajal que l’on doit la « doctrine du neurone » échafaudée à la fin des années 1880. Cette théorie stipule simplement que le neurone représente l’unité structurelle et fonctionnelle à la base du système nerveux. De nos jours, qui pourrait remettre en question cette vision qui est devenue la pierre d’assise des neurosciences modernes ? Le neurone, donc, est la brique élémentaire du cerveau et est responsable de son fonctionnement. Chacun transmet de l’information en se connectant à d’autres neurones ou à d’autres cellules du corps humain. Une fois la physiologie du fonctionnement des neurones ainsi que de leurs connexions bien établie, le mystère entourant le cerveau devrait être définitivement levé, n’est-ce pas ? C’était du moins l’espoir à l’époque, un espoir toujours mis en échec après plus de 100 ans de recherche.

Car le cerveau est beaucoup plus qu’une simple collection de neurones. En effet, différentes strates viennent s’ajouter à cette vision initiale.

D’abord, il y a la force du nombre. Le cerveau humain contient approximativement 100 milliards de neurones, lesquels sont connectés entre eux par des prolongements appelés axones. Les axones s’apparentent à des fils électriques permettant la transmission des signaux et la communication entre chacune des cellules neuronales lorsque ces dernières font contact entre elles. Nous appelons ces contacts des synapses, et leur nombre est franchement ahurissant. Si l’on tient compte du fait que chaque neurone fait en moyenne plus de 10 000 synapses avec d’autres neurones, il y aurait donc plus de 4 x 1015 contacts neuronaux dans le cerveau humain. Un nombre difficile à imaginer si l’on considère que ces axones sont confinés dans un volume assez limité d’environ 1 200 cm3 — notre crâne. Afin de bien vous situer, nous estimons la longueur globale du câblage formé par tous les axones dans un seul cerveau humain à environ 500 000 km, soit plus que la distance qui sépare la Terre de la Lune ! Vous aurez donc compris que, malgré les avancées des projets de recherche visant à cartographier de manière fine tout ce câblage et l’anatomie de ses connexions (ce que nous appelons le connectome), un atlas détaillé est encore hors de portée. Et si ce n’était que cela…

Car ces connexions, ces synapses, sont en flux constant, en mouvance, en changement ! En effet, le cerveau est plastique et non statique, ce qui signifie qu’il est en continuel processus de remodelage, un phénomène perceptible à l’échelle non seulement microscopique, mais aussi macroscopique. C’est donc dire que le connectome d’un même individu change tout au cours de sa vie. Votre cerveau est en ce moment différent de ce qu’il était il y a 15 minutes. Les multiples réseaux qui le forment sont en reconfiguration constante au fil de vos apprentissages et expériences.

Une des avancées récentes de la recherche en neurosciences aura été de démontrer que tout au long de votre vie, votre cerveau garde cette capacité à se modifier, même si cette dernière change au fil du temps. C’est à peu près à l’âge de jeune adulte qu’elle atteint son apogée. Puis, lentement, inexorablement, cette capacité appelée neuroplasticité commence à décroître. Mais elle ne vous quitte jamais vraiment, elle demeure bien présente jusque dans la huitième décennie. C’est donc dire que votre cerveau change tout au long de votre existence, et qu’il n’y a pas deux cerveaux « connectés » identiquement sur la planète, non plus qu’il n’y en a jamais eu dans toute l’histoire de l’humanité ! Cela rend caduque l’idée de construire un modèle statique universel de cerveau. De fait, ces trouvailles assez récentes font dire au neuroscientifique Matthew Cobb, dans son ouvrage The Idea of the Brain (2020), que les neurosciences modernes sont dans une impasse. Et là ne s’arrête pas la complexité cérébrale.

Les neurones ne sont pas seuls à participer à l’activité cérébrale ; une population de cellules appelées gliales est aussi mise à contribution. Jadis considéré comme accessoire, ce type cellulaire est maintenant reconnu comme un acteur actif dans le fonctionnement du cerveau et des processus cognitifs, servant de modulateur au niveau des synapses ainsi que d’intermédiaire messager avec les vaisseaux sanguins qui alimentent le cerveau et les neurones.

Vient s’ajouter à cette construction cérébrale l’action des neurotransmetteurs. Ces derniers sont des composés chimiques, tels que l’adrénaline ou la dopamine, sécrétés dans la synapse ; ils influencent le comportement électrique des neurones. Il y en aurait plus de 100 différents, ce qui explique l’incroyable complexité de leur rôle dans l’activité neuronale. On commence tout juste à tenter de déchiffrer les endroits précis où ils sont sécrétés dans les différentes régions du cerveau humain ainsi que leur rôle dans différents groupes de neurones. Au moment où j’écris ces lignes, à l’été 2023, nous avons une cartographie très fragmentaire des zones où agissent neuf de ces neurotransmetteurs.

Finalement, un dernier aspect, une dernière couche de complexité, vient s’interposer entre le cerveau et notre compréhension de ce dernier. Les neurones transmettent aussi un courant électrique, que l’on nomme « électrome » (cette activité électrique est présente ailleurs dans le corps, mais elle est particulièrement importante dans le cerveau). Il appert que les différents rythmes d’oscillation des courants électriques qui circulent dans les multiples régions de votre cerveau ont aussi une importance capitale dans le fonctionnement cérébral. Or, nous n’avons toujours pas la pierre de Rosette nous permettant de décoder ces phénomènes.

Plus nous en apprenons sur le cerveau et plus sa fonction se complexifie, repoussant sans cesse les frontières de notre compréhension. Des quatre niveaux de complexité dont nous venons de discuter, aucun n’est encore caractérisé en détail et on est loin d’en comprendre entièrement le fonctionnement. Que ce soit le vaste enchevêtrement de connexions entre les neurones (connectome), les multiples neurotransmetteurs impliqués, les populations cellulaires accessoires (gliales) ou la rythmicité des oscillations électriques (électrome), le cerveau n’est pas près de livrer ses secrets !

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M D Fortin, merci pour votre bref article qui décrit si bien la complexité du cerveau humain et qui, ma sainte foi, le valorise et le situe par rapport à l’intelligence artificielle là où il doit être: supérieur. Je doute fortement, comme simple humain, que l’intelligence artificielle puisse un jour sentir ou éprouver une simple émotion? D’ailleurs, si cela devenait possible un jour, c’est ce qui pourrait le rendre dangereux. Ce sont les émotions, la haine, la jalousie, etc., qui provoquent les guerres et les conflits et la raison qui en contrôlent l’intensité. Pas d’émotions, pas de guerre.

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j’ai lu avec beaucoup d’intérêts votre ouvrage «une galaxie dans votre tête»
j’ai bien l’impression que la complexité va de pair avec la fragilité. Voudrait-on, par exemple, d’une machine qui a besoin de dormir? Et puis, un cerveau sans corps ni environnement, ce n’est pas concevable. Là aussi, on voudrait bien d’une machine sans corps. Et c’est sans parler, comme vou le dites dans l’ouvrage, la consommation débridée d’une machine face au minimalisme du cerveau. Bref, c’est le vivant qui fait la différence.
certains parlent même de complexité infinie. J’ai beaucoup apprécié et vibré à votre incursion dans la philosophie en mettant même un pied prudent dans la métaphysique.
J’espère vous relire souvent sur lactualite.

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Dr Fortin, vous écrivez : « …C’est à peu près à l’âge de jeune adulte qu’elle atteint son apogée. » J’ai déjà lu quelque part que le processus prend plus de temps pour les jeunes hommes que pour les jeunes femmes. Est-ce bien le cas? Cela pourrait expliquer les statistiques indiquant que les jeunes conducteurs causent plus d’accidents que les jeunes conductrices. (Voir l’annexe 17 de l’analyse). Autrement dit, les neurones/axones /synapses nécessaires à un bon jugement nécessaire pour la conduite automobile arrivent sur le tard pour les conducteurs. http://www.bv.transports.gouv.qc.ca/mono/1148867.pdf

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Merci M.Fortin pour cet article, çà fait du bien de nous rappeler qui nous sommes vraiment.
Continuez votre excellent travail et au plaisir de vous relire dans lactualité.

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D’ailleurs, le grand concepteur et prix Turing Yann Le Cun serait le premier à en convenir. Je viens de lire son plus récent ouvrage qui fait le point sur cette question : « Quand la machine apprend : la révolution des neurones artificiels et de l’apprentissage profond », chez poches Odile Jacob, 4 juillet 2023. Il demeure accessible aux gens intelligents qui tiennent à s’informer à la source et sur ces 400 pages, il n’y a que trois ou quatre chapitres qui s’adressent davantage aux matheux, mais les passionnés de la vulgarisation scientifique bien faite vont en tirer quand même quelque chose de relativement abordable à leur niveau d’intérêt respectif, ils auront au moins une petite idée de ce qui se cache au coeur de la bête, et dans l’ensemble ce livre est jusqu’ici le meilleur que j’ai lu afin de nous éclairer sur les tenants et aboutissants de la vraie intelligence artificielle qu’il démystifie, démytifie et pour tout dire, dégonfle d’un bloc, ladite générale (IAG), et non pas seulement « générative », la seule qui pourrait approcher jusqu’à un certain de nos capacités cognitives humaines et animales, comme des simulacres exploitables pendus au bout de nos laisses, tout au plus.

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