Maladies chroniques : avez-vous trop de gras « par en dedans » ?

Si votre médecin s’inquiète uniquement de votre glycémie et de votre taux de cholestérol sanguin, questionnez-le aussi au sujet de votre tour de taille et de vos triglycérides, suggère le chercheur Jean-Pierre Després.

vitapix / Getty Images

L’auteur est professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université Laval, directeur scientifique de VITAM — Centre de recherche en santé durable et membre de l’American Heart Association (FAHA). Il s’est aussi vu attribuer le titre de chevalier de l’Ordre national du Québec (C.Q.).

L’Organisation mondiale de la santé est catégorique : presque 70 % des décès sont dus à quelques maladies chroniques comme le diabète de type 2, des troubles cardiovasculaires et respiratoires, ainsi que certaines formes de cancer. La plupart d’entre elles sont liées à notre mode de vie, puisqu’elles s’expliquent par quatre comportements : le tabagisme, une consommation excessive d’alcool, une alimentation de mauvaise qualité et la sédentarité.

Ce constat est valable à l’échelle planétaire ; le Québec n’y échappe donc pas.

Les progrès dans les traitements médicaux et les procédures ont permis de donner à la population québécoise une espérance de vie avantageuse dans le classement mondial. Toutefois, gérer les maladies chroniques sociétales s’avère coûteux et sature notre système de santé. Il serait donc rentable de faire également la promotion d’habitudes de vie saines.

Le cas du diabète de type 2

Plus de 1 200 000 personnes vivent avec le diabète au Québec, et plusieurs centaines de milliers d’autres sont susceptibles d’en être atteintes. Dans 90 % des cas, on diagnostique la forme causée par le mode de vie, appelée « type 2 ». En sus du risque de maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2 est la principale cause de cécité, d’insuffisance rénale conduisant à la dialyse et d’amputations. Cette condition, que l’on a longtemps associée à l’obésité, à une mauvaise alimentation et à la sédentarité, est un enjeu non seulement pour notre système de santé, mais également pour la santé publique.

Puisque le diagnostic du diabète se base sur la mesure d’une glycémie élevée, la préoccupation première en clinique est de réguler la glycémie, le plus souvent par la prise de médicaments. Le clinicien s’assurera aussi de réguler la tension artérielle et le cholestérol sanguin de son patient (à nouveau grâce à des médicaments) afin de minimiser le risque cardiovasculaire. Par ailleurs, comme le diabète de type 2 peut endommager les yeux et les reins et nuire à la guérison des plaies, d’autres contrôles rigoureux basés sur des guides de pratique établis sont nécessaires. De plus, le professionnel de la santé conseillera au patient de s’alimenter mieux, de bouger plus et de perdre du poids, ce qui m’amène au cœur du sujet de cette chronique.

Nous savons depuis plus de 30 ans que c’est la graisse corporelle interne logée dans la cavité abdominale — appelée tissu adipeux viscéral —, et non le poids corporel, qui est associée au diabète de type 2. Des recherches ont aussi montré que ce tissu adipeux viscéral s’accompagne souvent d’un foie gras, d’un cœur enveloppé de graisse et de muscles tout marbrés de gras. 

Ainsi, peu importe leur poids corporel, les personnes qui accumulent de la graisse viscérale sont plus susceptibles d’être atteintes du diabète de type 2 que celles qui accumulent de la graisse sous la peau. L’obésité sous-cutanée, moins dangereuse, se retrouve particulièrement chez la femme, qui, avant la ménopause, stocke sa graisse dans les fesses et les cuisses. Celle-ci la protège à la fois contre le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.

Plus récemment, la prolifération des études utilisant des techniques d’imagerie comme la résonance magnétique a révélé des phénomènes fascinants, mais inquiétants : non seulement être « gras par en dedans » était un facteur de risque majeur pour l’apparition du diabète de type 2 et des maladies cardiovasculaires, mais cette forme de surpoids était également associée à d’autres problèmes de santé importants comme l’apnée du sommeil, le déclin cognitif et la démence, de même qu’à certaines formes de cancer. Qui plus est, on a démontré dernièrement que les personnes avec une obésité viscérale étaient plus susceptibles de mourir de la COVID-19.

Bonne nouvelle : on peut dépister l’obésité viscérale…

Après avoir constaté que l’obésité viscérale était centrale dans l’apparition de plusieurs maladies chroniques, mes collègues et moi avons voulu vérifier si, sans l’imagerie médicale, nous pouvions repérer les personnes ayant un excès de tissu adipeux viscéral. Nous cherchions aussi à trouver des façons d’améliorer le profil de santé de ces gens. Si la première partie de cette chronique était quelque peu déprimante, la seconde est porteuse d’espoir !

En 1994, mon équipe a été parmi les premières à expliquer que la simple mesure du tour de taille était beaucoup plus étroitement associée au risque de diabète de type 2 que l’indice de masse corporelle (poids en kilogrammes divisé par la taille en mètres carrés). Comment pouvions-nous, par la suite, savoir si un tour de taille élevé était attribuable à une quantité importante de graisse sous-cutanée (moins dangereuse) plutôt qu’à une grande quantité de graisse viscérale ? En 2000, dans une revue de cardiologie américaine, nous avons décrit un phénomène fascinant : puisque l’obésité viscérale est souvent accompagnée d’un foie gras, cet organe, dans une tentative de limiter l’accumulation de graisse, produira plus de glucose dans le sang et libérera plus de lipides (appelés triglycérides).

Ainsi, nos travaux ont montré qu’un tour de taille augmenté combiné à des triglycérides sanguins élevés est associé à une probabilité élevée pour le patient (75 %-80 %) d’avoir une obésité viscérale, et ce, indépendamment de son poids corporel. Des études additionnelles réalisées par d’autres équipes de recherche ont confirmé l’utilité de cette approche simple et peu coûteuse permettant de dépister l’obésité viscérale. 

Parlez-en à votre médecin qui se préoccupe de votre cholestérol, certes, mais qui devrait aussi porter attention à votre tour de taille et à vos triglycérides. Heureusement, tout médecin de famille qui prescrit un bilan sanguin afin de connaître votre taux de cholestérol obtiendra également une mesure de vos triglycérides. Un petit truc : mesurer soi-même son tour de taille tous les mois est utile ; son maintien est beaucoup plus important pour votre santé que la stabilité pondérale.

… et on peut aussi la traiter

Ayant désormais un outil simple pour dépister l’excès de tissu adipeux viscéral, nous avons entrepris de vérifier si la prise en charge de cette condition passait par des changements dans le mode de vie. 

Nous avons observé qu’un recalibrage élémentaire et progressif de l’alimentation combiné à de l’activité physique quasi quotidienne (l’équivalent d’une marche quotidienne vigoureuse de 30 minutes) permettait de faire fondre cette graisse interne, et ce, parfois même sans perte de poids ! C’est ce que nous avons constaté chez certains des participants à nos études, puisque lorsqu’une personne sédentaire commence à faire régulièrement de l’activité physique, elle peut gagner de la masse musculaire. Il ne faut donc pas être déçu si les chiffres sur la balance restent les mêmes, tant que le tour de taille diminue. En effet, d’autres études ciblant le mode de vie et ayant documenté la fonte du foie gras et la réduction du tissu adipeux viscéral ont confirmé nos observations. 

Lors de mes conférences destinées au grand public, ces résultats suscitent souvent la question : « Dr Després, pourquoi ne nous parle-t-on pas de cela lors de nos visites médicales ? » La réponse est simple : les professionnels de la santé mettent encore trop l’accent sur la gestion du poids corporel. Malgré leur bonne volonté et leurs connaissances sur le sujet, ils ne sont ni outillés ni accompagnés du personnel compétent (kinésiologues, nutritionnistes, psychologues, travailleurs sociaux, etc.) pour mesurer et cibler en clinique nos habitudes de vie et les facteurs socioéconomiques et environnementaux pouvant les influencer. 

La pandémie actuelle a mis en évidence la nécessité de repenser notre système de gestion de la maladie pour en faire un véritable système de santé. La façon dont nous abordons l’obésité et le mode de vie par rapport aux maladies chroniques en est un exemple patent.

Les commentaires sont fermés.

Médecine préventive ? Bilan de santé ? Vaut mieux en effet faire de l’exercice préventif pour contrôler notre gras approximativement estimé… car même si nous pédalons beaucoup dans le vide à la recherche d’un médecin de famille, après 4 ans sur la liste des patients orphelins, ça ne fait pas beaucoup baisser notre mauvais cholesérol ni ne contrôle nos triglycérides! Par contre, ça augmente assurément notre pression!