Tous les Québécois ont-ils vraiment besoin d’un médecin de famille ? Et quand une consultation est nécessaire, est-ce toujours un médecin qu’ils devraient voir en premier ? Alors que le gouvernement tente de forcer la main aux omnipraticiens pour qu’ils inscrivent plus de patients, une équipe de chercheurs dirigée par la professeure Roxane Borgès Da Silva publie une étude qui fait réfléchir sur la distribution des tâches entre médecins, infirmières et préposés aux bénéficiaires. Elle montre en effet que cette répartition est loin d’être optimale. Dans bien des cas, si les infirmières étaient assez nombreuses, elles pourraient prendre en charge beaucoup d’activités assumées aujourd’hui par les médecins, ce qui aurait de multiples avantages. « Même si les options sont limitées par les pénuries de personnel pour l’instant, c’est un bon moment pour se repencher sur cette répartition et sur l’organisation du travail au sein des équipes, pour rendre le système de santé plus efficient », estime la chercheuse.
Qui fait quoi ?
Savoir qui, dans les hôpitaux, les cliniques ou les CHSLD, prend vraiment en charge les différentes tâches de soins est tout un défi. « Ce portrait-là n’existe pas au Québec. On a la liste des activités réservées à chacun des ordres professionnels, mais il y a des chevauchements », explique Roxane Borgès Da Silva.
Les lois énoncent quelles activités sont réservées à quels types de professionnels. Les médecins sont notamment, selon la Loi médicale, les seuls à avoir le droit de diagnostiquer des maladies. Parmi leurs autres activités, la prescription de certains médicaments peut être transférée aux infirmières, qui sont habilitées à la faire. Les médecins peuvent aussi déléguer d’autres tâches, tout en en conservant la responsabilité, en signant des ordonnances collectives. Par exemple, même si une infirmière n’a pas le droit de prescrire une radiographie, elle peut le faire aux urgences si le médecin a signé une ordonnance collective en ce sens. Bref, il y a toutes sortes de manières de répartir le travail.
Pour y voir plus clair, la chercheuse et son équipe ont interrogé 33 acteurs du système de santé de la région de Montréal. Dix d’entre eux étaient des décideurs et gestionnaires provenant du ministère de la Santé et des Services sociaux, des ordres professionnels, des hôpitaux et des cliniques. Les autres étaient des médecins, infirmières et préposés aux bénéficiaires travaillant dans des cliniques de première ligne, des hôpitaux et des CHSLD. Leur étude a été menée en 2019, avant la pandémie, mais ses conclusions restent valables et pourraient aider à reconstruire le système de santé sur de meilleures bases.
Premier constat : les travailleurs eux-mêmes sont très mal informés de ce que leurs collègues des autres catégories sont autorisés à faire. Ils ignorent ainsi souvent que les différentes lois qui encadrent leur profession permettent une certaine flexibilité dans la répartition des tâches. Il faut dire qu’une chatte y perdrait ses petits ! Particulièrement en ce qui concerne chacun des quatre types d’infirmières. Le cadre qui régit leur pratique est rédigé en termes très larges, que chacun interprète à sa manière.
Selon la loi, les infirmières praticiennes spécialisées (les IPS, qui ont un diplôme universitaire de deuxième cycle), les infirmières cliniciennes (formation universitaire de premier cycle) et les infirmières techniciennes (formation collégiale) disposent de 17 activités réservées. Par exemple, elles peuvent toutes « évaluer la condition physique et mentale d’une personne symptomatique ». Les infirmières auxiliaires (formation professionnelle), elles, ne font pas l’évaluation des patients. Déjà, c’est difficile de s’y retrouver. De plus, les infirmières praticiennes spécialisées ont le droit de « diagnostiquer des maladies ». Quelle est la différence entre ça et le droit des médecins de poser des diagnostics, demandez-vous ? Sur le terrain, des travailleurs se posent la même question.
Les infirmières cliniciennes notent que la liste des activités qui leur sont autorisées est souvent modifiée (en particulier les règles entourant les prescriptions de différents traitements), ce qui fait qu’elles peuvent elles-mêmes perdre le fil. Les préposés aux bénéficiaires, eux, n’ont pas de statut professionnel encadrant leurs tâches. Pourtant, même avant la pandémie, on leur confiait fréquemment l’administration de médicaments aux malades, qui devrait être normalement du ressort des infirmières.
Redéfinir le métier d’infirmière
Deuxième constat : la coexistence de différentes catégories d’infirmières fait que bien des travailleuses ne sont pas employées aux tâches qu’elles seraient censées faire, ce qui engendre frustration et gaspillage. Par exemple, les infirmières cliniciennes, qui ont un diplôme universitaire, et les infirmières techniciennes, diplômées des cégeps, ont les mêmes activités réservées. « Cet environnement complexe de statuts, de titres d’emplois et de descriptions du travail entraîne beaucoup de confusion et de démotivation », souligne Roxane Borgès Da Silva.
Comme de nombreux autres spécialistes, la chercheuse estime qu’il est plus que temps de mettre fin à ce double niveau de formation en abolissant le DEC en soins infirmiers. « Le Québec est la seule province canadienne où subsistent ces deux niveaux. On doit impérativement revaloriser la profession infirmière en exigeant une formation universitaire pour toutes, même si c’est compliqué car elle n’est pas offerte dans toutes les régions, où les besoins sont pourtant importants », explique-t-elle. Quand, en 2005 et 2006, l’Ontario et la Colombie-Britannique ont respectivement rehaussé la scolarité en imposant aux infirmières l’obtention d’un baccalauréat, le nombre de diplômées a rapidement augmenté dans ces deux provinces, la profession étant devenue plus attrayante et mieux payée. Si le Québec avait fait de même en 2005 et connu une telle croissance des cohortes de finissantes par la suite, il aurait compté environ deux fois plus d’infirmières nouvellement diplômées en 2018, a estimé Roxane Borgès Da Silva.
La chercheuse salue par contre la décision de Québec de renforcer le soutien administratif, qui gruge le temps de travail des infirmières. « Les besoins sont particulièrement criants dans les quarts de soir, car c’est souvent à ces moments-là que les infirmières doivent procéder aux admissions à l’hôpital, alors que les secrétariats sont fermés. »
Remettre la maison en ordre
« Il faut que les différents ordres professionnels se parlent plus, pour essayer, en observant comment les tâches sont divisées dans les cliniques et hôpitaux, de clarifier la répartition des différentes activités accessibles à chacun des travailleurs selon les contextes », croit Roxane Borgès Da Silva. Avoir un certain chevauchement des tâches entre les divers travailleurs est très avantageux, puisque cela permet plus de flexibilité là où les besoins de main-d’œuvre sont les plus criants, et laisse entrevoir bien des possibilités d’amélioration. Mais il faut préciser ce qui est souhaitable ou non.
Actuellement, de nombreuses décisions sont prises localement par les gestionnaires en fonction des contraintes, mais aussi des habitudes qu’ils ont adoptées au fil du temps et de leurs connaissances des différents champs d’exercice des travailleurs. La chercheuse a constaté, par exemple, que certains établissements restreignent l’usage du permis de prescrire des infirmières cliniciennes, sans que rien semble le justifier, alors que d’autres interdisent aux infirmières auxiliaires de contre-vérifier les produits sanguins administrés, même si elles sont autorisées à le faire par leur ordre professionnel.
Même dans les groupes de médecine familiale, où les infirmières praticiennes spécialisées sont déjà à l’œuvre et prennent en charge plus de patients, elles pourraient en faire bien plus si elles étaient plus nombreuses et reconnues. « Des médecins nous ont dit que le tiers de leurs patients pourraient être vus par des IPS, qui pourraient s’occuper, entre autres, des maladies pédiatriques communes et du suivi des malades chroniques. »
Dans son étude, Roxane Borgès Da Silva dresse une longue liste des activités qui, selon les personnes interrogées, pourraient être mieux partagées entre médecins, infirmières et préposés aux bénéficiaires. Ce serait un très bon point de départ pour intensifier le travail commun d’examen des pratiques à mener par les ordres professionnels.
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Un petit commentaire une infirmière est une professionnelle donc on ne patle pas de métier mais d’une profession. Nous sommes sous un ordre professionnel
Merci beaucoup
Je me suis souvent demandé pourquoi dans les URGENCES des CH, il fallait attendre de voir le médecin (après 8-10-15 heures d’attente) pour avoir une prise de sang ou une radiographie ? Si les infirmières au triage avait le droit de prescrire ces examens de diagnostic, le médecin serait vite informé de l’urgence d’agir et les patients n’auraient pas à attendre encore des heures pour avoir les résultats après avoir vu le médecin ! UNE RÉFORME QUI S’IMPOSE. MERCI !
Ma soeur est infirmière d’expérience dans le réseau; lorsqu’elle travaillait à l’urgence, elle prenait le temps de jaser avec les patients qui se présentaient sous prétexte de malaises cardiaques; ce qui ressortait est le trouble anxieux avec résonnance physique. Une fois que ces patients s’exprimaient, le malaise physique disparaissait tout d’un coup. Plusieurs quittaient volontairement, soulagés. Ceci pour conclure qu’une personne n’est pas qu’un Être matériel; il y a 2 autres dimensions dans nos complexités personnelles: le système émotionnel et le système de pensées & croyances qui interfèrent avec le physique. À date, j’observe que ce sont les femmes qui sont le plus aptes, majoritairement, à considérer ces 3 dimensions.
Bonjour, cette chercheuse n’ a rien dis qui était nouveau dans cette article. Un constat qui est présent depuis 20 ans. Je suis infirmière retraité depuis peu et J’ ai travaillé 30 ans comme infirmière technicienne donc de la formation collégial avec quelques cours faits à l’ Université car malgré ma grande expérience et mon expertise professionnelle je n’ ai pu avoir les responsabilités supérieures au profit d’ infirmière clinicienne avec aucunes expériences sur le terrain.J’ ai eut une discussion avec la directrice de l’ orde des infirmiers et infirmières du Québec à ce sujet Madame Desrosiers et j’ ai eut comme réponse de reprendre des études et d’aller faire mon Bac en soins infirmiers…Aucunes reconnaissances des acquis et expérience cliniques, moi qui est travaillé dans tous les spécialités des hôpitaux ou je travaillais. Par contre je me suis démené et j’ai travaillé en CLSC où l’a on m’ a embauché pour l’expertise terrain et mon savoir. J’ai été aussi monitrice de stage au collégial à la formation continue. Une expérience aussi en cliniques privées et en pharmacie , je suis une battante et je n’ ai jamais baissé les bras …et pourtant je n’ avait pas de formation universitaire complète…Oui cela fait très longtemps qu’ il existe du chevauchement entre infirmière auxilliaires, technicienne et clinicienne car ces dernières ont gagné un nouveau titre avant on les nommait bachelière…ensuite comme il n’ y avait pas assez de titre d’ infirmière il fallait inventé celle de praticienne…Mais au bout du compte cela sert à quoi ou à qui?? A la population pas du tout ,j … la population a besoin de soins et à besoin du personnels qualifiés et en formant des classes d’ infirmières onbse tire dans le pieds. Une formation unique aurait été souhaitable et pro-active et claire dans les actes délégué médecin versus infirmière. Fini le chaos et enfin la clarté! A quand les gouvernements et l’ OIIQ vont s’ entendre sur la formation infirmière. Établir un modèle unique cela faciliterait de beaucoup l’ avancement de la profession infirmière et enfin son rôle au sein de l’ équipe médicale. Il serai temps de refaire une réforme pour elles en majorité des femmes.
Depuis le 25 janvier 2021, les IPS (infirmières particiennes spécialisées) peuvent diagnostiquer et établir un plan de traitement. Selon plusieurs études en première ligne c’est jusqu’à 90-95% des problèmes qu’un médecin de famille rencontre qui peuvent être gérés par une IPS. Je ne connais pas les chiffres pour les spécialités, mais je crois que c’est beaucoup plus que le tier (selon votre artice) qui peut être géré par une IPS en soins aux adultes ou en pédiatrie ou en néonatalogie, sans oublier celle en santé mentale.
Les infirmières praticienne spécialisées ont le droit de poser un diagnostic depuis le 25 janvier 2021. Il serait très important de mettre cette information à jour pour votre article.
Bonjour Madame Clusiault,
Je dirige votre attention vers l’avant-dernier paragraphe de la section « Qui fait quoi? », qui intègre le renseignement auquel vous faites référence.
Extrait:
« […] De plus, les infirmières praticiennes spécialisées ont le droit de » diagnostiquer des maladies « . Quelle est la différence entre ça et le droit exclusif des médecins de poser des diagnostics, demandez-vous ? Sur le terrain, des travailleurs se posent la même question. »
– Julie, de L’actualité
@ Julie Gobeil. En fait vous vous contredisez dans votre article. Je vous réfère à la section : Par exemple, elles peuvent toutes « évaluer la condition physique et mentale d’une personne symptomatique », mais pas « poser un diagnostic » comme les médecins.
Il serait important de modifier votre article puisque ceci perpétue la confusion par rapport aux rôles de IPS déjà qu’il est difficile pour la population de le comprendre.