Tous les jours, je rencontre à l’urgence des patients qui consultent pour des « chiffres de pression » élevés. Et vous savez quoi ? Dans presque tous les cas, après évaluation, je les retourne à la maison avec des conseils, parfois (rarement) en modifiant leur médication, le plus souvent sans rien y changer.
Le problème est simple : les personnes qui consultent à l’urgence pour leurs « chiffres de pression » y viennent habituellement pour de « mauvaises » raisons et sont souvent à la « mauvaise » place. Notez que ce terme de « mauvaise » doit être bien compris : les gens ont toujours de bonnes raisons de consulter, mais le problème (de pression) qui les touche est rarement celui qu’ils pensent… et il nécessite rarement une visite à l’urgence.
Ces patients éprouvent fréquemment quelques symptômes : vertiges, malaises, maux de tête, sans compter une bonne dose d’anxiété. Et parfois, aucun symptôme du tout. Mais surtout, peu importe les symptômes, leurs « chiffres de pression » (180/90, 150/95, 170/100, 140/98, etc.) sont trop élevés à leurs yeux : ils les interprètent alors comme un problème aigu, qui nécessite une consultation à l’urgence.
Pression n’égale pas symptômes
Il faut voir que presque aucun des symptômes généralement évoqués n’est causé par la hausse de pression elle-même. Au contraire, s’il existe un lien avec la pression, il est l’inverse de ce que les gens imaginent : ces différents problèmes, parce qu’ils entraînent un inconfort, stimulent la sécrétion d’adrénaline (hormone du stress aigu) et de cortisol (hormone du stress à plus long terme), qui font monter la pression.
La pression monte donc en raison de ces symptômes, mais n’en est à peu près jamais la cause. Vous voyez la nuance ? Pourtant, tous ces patients sont convaincus que la pression est le problème déclencheur, parce que chaque fois qu’ils ne se sentent pas bien, ils prennent (ou font prendre) leur pression. Puisqu’elle est alors élevée, l’association se renforce continuellement.
Un problème de santé réel
Bien sûr, l’hypertension est un problème de santé réel. Cette maladie, dont la cause est habituellement inconnue (plus de 9 fois sur 10), entraîne à long terme une augmentation des maladies cardiovasculaires : AVC, angine de poitrine ou troubles circulatoires périphériques. Un peu comme le tabac. Le traitement de l’hypertension diminue par ailleurs ces risques. Cela est amplement démontré.
On pourrait même ajouter que l’hypertension (la vraie) est sous-diagnostiquée, ce qui vous paraîtra paradoxal. Cela s’explique par le simple fait qu’elle ne cause aucun symptôme à court terme. Voilà pourquoi il faut faire prendre sa pression de temps en temps, pour voir si on a commencé à souffrir d’hypertension.
Le problème, c’est justement la croyance qu’une pression élevée à court terme représente un problème de santé, alors que ce n’est généralement qu’un marqueur du niveau de douleur, d’anxiété ou de stress. Il est en réalité exceptionnel qu’une montée de pression aiguë représente un risque à court terme.
En fait, les rares cas où cela peut se produire surviennent chez les patients jeunes, non reconnus comme hypertendus et qui souffrent d’une maladie précise (exemples : prééclampsie de la femme enceinte, maladie rénale du jeune, tumeur des glandes produisant l’adrénaline, etc.). Chez eux, la montée brutale de pression cause des dommages directs au cerveau. C’est un phénomène rare, que j’ai observé moins d’une dizaine de fois dans ma pratique d’urgence.
Au contraire, le système du patient reconnu comme hypertendu ou ne subissant que des « montées de pression » dues au stress s’adapte très bien à la situation et ne subit à peu près jamais de dommages aigus. C’est presque toujours le cas des patients qui consultent à l’urgence pour des chiffres de pression élevés. Je pense d’ailleurs n’avoir jamais rencontré de patient hypertendu et prenant sa médication consultant pour une réelle urgence hypertensive.
Des appareils mal utilisés
Consulter pour des chiffres de pression élevés implique de mesurer sa pression. Ce qui est maintenant facile (et fiable) grâce aux appareils vendus dans les pharmacies ou encore aux appareils de mesure disponibles dans ces lieux.
Le problème, c’est que les personnes qui consultent à l’urgence pour cette raison disposent rarement d’informations convenables pour bien juger de leur situation. Notamment parce qu’ils reçoivent peu de formation sur l’usage réel de ces appareils disponibles sur le marché : quelle est leur utilité, comment doit-on les utiliser, mais surtout, que faire avec l’information fournie.
Notez qu’il est possible qu’une majorité des patients utilisant ces appareils le fassent correctement et que je sois plutôt aux prises avec ce qu’on appelle un biais de sélection : les personnes que je rencontre à l’urgence seraient alors celles qui utilisent mal leur appareil, et surtout, comprennent mal les informations fournies. Je n’ai pas les moyens de le vérifier.
Ces appareils de mesure de pression ne sont pas inutiles. Au contraire : bien utilisés, ils peuvent aider au diagnostic de l’hypertension et au suivi d’un traitement antihypertenseur. Une étude récente a tout de même montré que, par eux-mêmes, ils ne favorisent un meilleur contrôle de la tension artérielle que s’ils sont jumelés à d’autres interventions, comme un ajustement systématique des médicaments (par des médecins, des pharmaciens ou les patients eux-mêmes), de l’éducation ou des conseils pour améliorer les habitudes de vie.
Malgré toutes ces qualités, ils sont souvent bien mal utilisés. Parce que toute mesure d’un paramètre vital comme celui de la pression doit s’accompagner d’une démarche cohérente. Dans le cas de l’hypertension, les prises de pression répétées, à intervalle régulier, peuvent être utiles pour évaluer si un problème d’hypertension est présent ou encore si son traitement est efficace. Il faut y aller avec méthode, par exemple prendre sa pression deux fois par jour pendant deux semaines, noter le tout, et faire réviser les résultats par un professionnel de la santé.
Mais les patients que je rencontre à l’urgence prennent plutôt leur pression régulièrement, parfois des dizaines de fois d’affilée, pour établir, ni plus ni moins et chaque fois, qu’ils se sentent mal. Et ils consultent quand la pression est à leurs yeux trop élevée.
Manque d’information et de formation
J’ai souvent demandé à ces patients quel genre de formation ils recevaient à l’achat de leur appareil. En général, ils me disent n’avoir à peu près aucune formation, bien qu’on leur indique (parfois) comment l’utiliser et surtout quelles sont les mesures de pression normale.
De sorte qu’un grand nombre d’entre eux sont d’abord étonnés (inquiétés) de constater ces variations quotidiennes de la pression, qui passe de 110/70 à 180/90 pour revenir ensuite à 135/80. Pourtant, ces variations de pression sont tout à fait normales, en particulier chez les personnes anxieuses, chez qui la pression varie beaucoup (en raison des taux d’adrénaline et de cortisol qui varient).
Mais surtout, un grand nombre de ces personnes, connaissant les liens entre hypertension et AVC ou maladie cardiaque, en déduisent qu’une montée de pression risque de leur causer maintenant un AVC ou une crise cardiaque, alors que je n’ai jamais rencontré cela dans ma pratique et que ce n’est pas le mécanisme de formation des AVC ou des infarctus.
Il est en réalité exceptionnel que des poussées de pression temporaires causent des problèmes, en dehors de ces cas très particuliers où une personne de 20 ans voit sa pression monter de manière soutenue, auquel cas elle ne fera ni un AVC ni une crise cardiaque, mais bien une encéphalopathie hypertensive, problème extrêmement rare qui cause une dysfonction diffuse du cerveau.
Rarement une urgence
Preuve qu’il ne s’agit à peu près jamais d’une urgence hypertensive, c’est que les patients qui consultent pour des « chiffres de pression élevés » ne reçoivent généralement aucun des traitements spécifiques d’une vraie urgence hypertensive (par exemple une encéphalopathie hypertensive), où on injecte des médicaments intraveineux pour faire baisser rapidement la pression.
Ainsi, pour 504 patients ayant consulté chez nous sur une période d’un an avec un diagnostic final « d’hypertension », seulement 3 ont reçu un tel traitement pour une urgence hypertensive, soit une médication intraveineuse destinée à baisser rapidement la pression lors d’une urgence médicale, alors évidente à l’évaluation des symptômes. Et dans un de ces trois cas, la nitroglycérine donnée visait avant tout à traiter l’angine et non la pression. Trois d’entre eux seulement ont été hospitalisés, un autre a été transféré. Les 500 restants ont tout simplement reçu leur congé de l’urgence, ayant parfois obtenu un comprimé d’antihypertenseur et subi quelques analyses de routine, sans plus.
Ce qui est important à savoir, c’est que ces patients auraient pu être plutôt rencontrés par leur médecin traitant — évidemment si un rendez-vous en première ligne est possible. Une vaste étude a d’ailleurs montré qu’en cas d’hypertension grave (avec des chiffres bien plus élevés que ceux mentionnés dans ce texte), l’envoi du patient à l’urgence ou la prise d’un rendez-vous rapidement avec le médecin traitant sont équivalents dans leurs effets.
Il n’existe donc, pour la vaste majorité des patients, aucun avantage à se présenter ainsi à l’urgence… si leur médecin ou la clinique est disponible. Mais bon, quand le patient se rend effectivement à l’urgence, mon rôle est de bien l’évaluer, de constater qu’il n’existe aucune urgence liée à l’hypertension, de trouver la cause de ses symptômes (du vertige, du mal de tête, des étourdissements ou de tout autre symptôme), de traiter spécifiquement cette cause lorsqu’il y a un traitement disponible et parfois (rarement) d’ajuster les médicaments antihypertenseurs du patient.
C’est surtout la présence de symptômes inquiétants (mal de tête subit et intense, symptôme neurologique de type « VITE » [1], essoufflement nouveau, douleur dans la poitrine, etc.) qui devrait pousser les gens à consulter à l’urgence et non les chiffres de pression eux-mêmes. Parce qu’une vraie urgence hypertensive ne se produit jamais sans symptômes apparents, causés par une atteinte des organes vitaux (cerveau, cœur, vaisseaux).
Éduquer avant tout
Comme on le voit, il y a tout un travail d’éducation à faire. En premier lieu, les personnes qui achètent ces appareils devraient recevoir une formation bien plus poussée, non seulement pour bien les utiliser techniquement, mais surtout, pour mieux comprendre les informations ainsi obtenues, et ce qu’il faut faire avec les résultats. La vente de tels appareils devrait toujours être associée à une formation. Et on pourrait en discuter la pertinence dans les cas où l’anxiété est (déjà) un facteur prédominant.
Par ailleurs, les patients (comme les professionnels de la santé !) devraient aussi mieux se renseigner sur la signification réelle de ces « poussées de pression », qui en réalité ne constituent à peu près jamais de vraies urgences médicales, mais sont plutôt liées à différents symptômes qui entraînent une hausse de pression. Enfin, les consultations devraient d’abord se faire auprès des médecins traitants (ou des infirmières praticiennes et des pharmaciens).
Avec une formation plus poussée et une information de qualité donnée au patient, on pourrait diminuer ces visites inutiles à l’urgence et recadrer ces patients en première ligne, là où ils seront aussi bien évalués et traités. Sans poireauter à l’urgence pour voir finalement un médecin qui va leur dire qu’il n’y a rien d’inquiétant dans une poussée de pression.
Je dois souligner que ces réflexions doivent beaucoup aux discussions tenues autour d’une tasse de thé avec la psychiatre Judith Brouillette, de l’ICM, avec qui je codirige un projet de recherche visant à mieux cerner le phénomène et à proposer éventuellement des solutions.
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Dr Vadeboncoeur, votre excellent article, me rappelle un rapport de l’équipe d’Enquête de Radio-Canada sur le blocage par l’Assoc des Médecins des Super-infirmières. Ce documentaire m’avait estomaqué en 2010 quant à la gestion de notre système de santé, tristement encore d’actualité. http://ici.radio-canada.ca/emissions/enquete/2010-2011/Reportage.asp?idDoc=125011
Merci pour vos articles que je trouve utile, et qui peuvent consolider ce que l’on peut savoir déjà si on a consulté différents sites web de santé.
Effectivement, la pression change et surtout avec le stress.
Quant aux doses, le pharmacien peut également nous aider et nous donner de bons conseils, suivis de la confirmation du médecin traitant le cas échéant.
Bonne continuation
Info fort utile. souvent en effet le patient agit par peur ou anxiété.
Curieux de savoir si la réaction d’un patient à une baisse soudaine
du poux doit être prise plus au sérieux ? Néo pareils eux mesurent
en même temps que la pression.
Éduquer, oui. La pression pulsée que l’on peut observer par la différence des 2 lectures sera-elle l’objet d’une chronique? Ainsi que le pouls affiché?
J’ai toujours apprécié les informations que vous diffusez sur les médiats sociaux. Vous faites un magnifique travail. J’ai travaillé à l’urgence et votre drescription des différents scénarios est tellement véridique. Je partage cet article pour que de plus en plus de personnes comprennent l’hypertension et la gestion de celle-ci. Bravo à votre engagement pour la promotion de la santé.
Très bon article. J’ai un appareil pour mesurer la pression et je l’utilise comme vous le suggérez, mais seulement au trois ou quatre mois quand je ne me sens moins bien. Cela m’a aidé, après des prises régulières sur deux semaines, d’obtenir des résultats qui ont permis à mon médecin de faire un ajustement important dans la médication pour contrôler mon hypertension.
Par contre, j’ai un problème quand, dans l’absence d’une cause évidente, on présume que la pression élevé est due à l’anxiété ou un stress anormal. J’ai eu cette expérience quand je me suis retrouvé à l’urgence à 1h00 du matin avec des douleurs insupportables, des douleurs similaires à une crise de foie. Pourtant, je n’avais plus de vésicule biliaire depuis 6 mois. J’ignorais que ma pression était à 237 sur 98, ce que ma conjointe avait constaté au triage. Quand la crise avait passé et je n’avais plus de douleurs, ma pression est revenue à la normale et l’urgentologue a conclu que j’avais fait une crise d’anxiété.
En fait il est plus probable que votre hausse de pression ait été occasionnée par les « douleurs atroces » que vous aviez à ce moment. Il n’est pas rare de voir une hausse de la pression artérielle importante lors de la présence de douleurs non soulagées.