Mieux comprendre l’effet placébo peut faire avancer la médecine 

Les gélules sont plus efficaces que les comprimés, et une pilule bleue fait un meilleur somnifère qu’une jaune. Ces impressions illustrent l’effet placébo, qui est souvent faible mais significatif, explique le professeur spécialisé en pharmacie Amir Imani.

Images sources : Getty Images ; montage : L’actualité

Amir Imani, docteur en pharmacie, est pharmacien hospitalier et enseignant à la Faculté de pharmacie Leslie Dan de l’Université de Toronto.

Je me souviens de la douce volute de fumée qui suivait ma mère dans la maison. Un arôme terreux qui s’attardait quelques instants. Elle tenait un petit tamis métallique contenant des graines fumantes, appelées esfand. C’est un produit de base dans de nombreux foyers iraniens. On a prétendu au cours de l’histoire que la plante — la rue sauvage — avait des vertus médicinales, mais la pratique est mystique : les graines brûlées sont censées éloigner les mauvais présages et les maladies.

J’ai également brûlé des graines d’esfand chez moi. Je ne crois pas personnellement aux présages ou à la fumée qui prévient les maladies, mais le rituel a un côté apaisant. Il s’agit probablement d’un placébo, ce qui n’a pas empêché cette pratique de survivre au-delà de ses racines zoroastriennes, de l’expansion islamique et de l’ère moderne.

L’effet placébo est généralement considéré comme le miraculeux pouvoir de guérison de l’esprit, ou alors il est balayé du revers de la main, car associé à des personnes crédules qui imaginent des bienfaits. Mais les données cliniques ne confirment aucune de ces descriptions. Lorsque l’effet placébo est étudié dans le cadre d’essais, ce qui se produit est rarement fantaisiste ou imaginé. Il s’agit plutôt d’une réponse faible, cohérente et traçable. Un placébo peut teinter l’expérience globale d’une personne et l’orienter dans une certaine direction. L’importance de cette influence dépend du sujet étudié et du participant, et certains placébos sont meilleurs que d’autres.

Par exemple, la couleur a influencé la réponse dans plusieurs études : les comprimés bleus et verts sont plus sédatifs, les rouges et les jaunes, plus stimulants. Dans un essai portant sur un somnifère, les participants ayant reçu le médicament sous forme de comprimé bleu ont dormi plus longtemps que ceux ayant reçu le même médicament sous forme de comprimé blanc — une différence mineure (environ 10 % de plus), mais statistiquement significative.

Les gélules semblent aussi plus puissantes que les comprimés, et les injections de placébos peuvent être encore plus efficaces. L’emballage peut également stimuler la réponse. Dans une étude sur les maux de tête chroniques, les placébos étaient presque 10 % plus efficaces dans un emballage commercial tape-à-l’œil que dans un emballage ordinaire.

L’esthétique n’est pas le seul facteur : dans une méta-analyse du traitement des ulcères gastroduodénaux, les patients du groupe témoin (c’est-à-dire ceux qui ont reçu des placébos au lieu de médicaments réels) avaient 8 % plus de chances de voir leur ulcère se résorber, endoscopie à l’appui, s’ils recevaient leur placébo quatre fois par jour au lieu de deux fois. Comme pour nos autres résultats, il s’agit d’une mince différence, mais statistiquement significative.

Le sommeil et les maux de tête sont une chose, mais les ulcères d’estomac ? Une partie de la différence s’explique peut-être par la structure de l’essai ou les caractéristiques du patient, mais on peut également convenir que la réponse au stress a de nombreuses conséquences physiologiques, et que les personnes qui reçoivent un traitement médicamenteux quatre fois par jour sont plus susceptibles d’avoir l’impression de suivre un traitement intensif. La réponse au stress peut affecter la tension artérielle, le rythme cardiaque, l’activité neurologique et une multitude d’autres processus, en fonction de son intensité et de sa durée. Notre état émotionnel fait partie de notre santé globale.

L’effet placébo n’est pas non plus limité aux médicaments. Le cadre et le praticien sont des facteurs importants. De nombreux placébos célèbres, promus par leurs colporteurs, ont commencé par des rendez-vous individuels émotionnellement intenses et ritualisés. Elisha Perkins tenait ses tracteurs métalliques contre le corps de ses patients pendant 20 minutes par point pour « extraire » l’inflammation et la maladie. Les séances d’hypnose de Franz Mesmer, qui se servait du « magnétisme animal », pouvaient durer des heures et étaient si éprouvantes sur le plan émotionnel que les patients faisaient des convulsions sans même avoir été touchés. Il est intéressant de noter que les analyses qui ont révélé que ces deux pratiques étaient frauduleuses (en 1799 et 1784 respectivement) représentent des étapes importantes de l’utilisation scientifique des essais avec placébo.

Ces exemples ne constituent pas un appel à flouer les patients ou à donner de faux espoirs avec un traitement parallèle. Les effets étaient en fin de compte trop faibles pour être significatifs pour les personnes souffrant réellement d’une pathologie. Mais ils devraient nous mettre en garde contre la facilité avec laquelle nous pouvons être trompés par des traitements bidon bénéficiant d’un bon marketing. Ils nous avertissent également que l’utilisation de placébos dans les essais comparatifs doit être examinée avec autant d’attention que le traitement.

Mais plus que tout, ces données fournissent des enseignements sur la manière d’améliorer la médecine moderne. Les gens veulent comprendre les soins qui leur sont prodigués, même s’il s’agit d’une explication superficielle ou d’une pilule de la couleur adéquate. Ils réagissent aux modèles et aux rituels. Ils aiment se sentir écoutés et avoir une certaine emprise sur leurs soins.

Nous considérons ces gestes comme des subtilités qui disparaissent bien vite lorsque le système est sous pression, mais ils présentent un réel avantage clinique. Utiliser l’effet placébo pour améliorer les soins de cette manière n’est pas une tromperie, c’est de la médecine fondée sur des preuves.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur Healthy Debate, sous licence Creative Commons.

Si vous avez aimé cet article, pourquoi ne pas vous inscrire à notre infolettre santé ? Vous y lirez en primeur, tous les mardis, les explications toujours claires, détaillées et rigoureuses de notre équipe de journalistes et de professionnels de la santé. Il suffit d’entrer votre adresse courriel ci-dessous. 👇

Laisser un commentaire

Les commentaires sont modérés par l’équipe de L’actualité et approuvés seulement s’ils respectent les règles de la nétiquette en vigueur. Veuillez nous allouer du temps pour vérifier la validité de votre commentaire.

L’effet placébo (autour de 10 %) expliquerait-il la persistance de la croyance religieuse ?

Le taux actuel de la croyance est certes plus élevé à cause de la pesanteur historique qui l’explique bien.

Une croyante m’a dit : « Je parle à Jésus et je sais qu’il m’écoute et me répond »… Elle n’est pas folle du tout; mais pour l’avoir vérifiée sa culture scientifique est totalement nulle. Elle est vulnérable aux consolations sentimentales. Elle y croit dur comme fer.

Bref, une très factuelle donnée sociologique d’une illusion bien réelle.

Si la croyance finit par descendre vers ce taux de 10 % de la population, on aurait un indice favorable à une recherche plus approfondie.

Répondre