Notre collaborateur le Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et professeur titulaire à l’Université de Montréal, est conseiller médical pour l’équipe de l’émission STAT. Il s’inspire ici des intrigues de la série télévisée pour donner des renseignements plus approfondis sur certaines des maladies diagnostiquées à l’écran.
Alerte au divulgâcheur : ne lisez pas ce texte si vous n’avez pas encore regardé l’épisode de jeudi de l’émission STAT !
On l’a vu cette semaine dans l’émission, le méthanol est un alcool potentiellement très toxique lorsqu’il est ingéré. Mieux vaut le laisser comme additif dans les carburants, les vernis à ongles, les nettoyants pour vitres, les adhésifs ou les liquides de frein.
Mais des accidents surviennent avec les trois types d’alcools « toxiques » : le méthanol, l’éthylène glycol et l’alcool isopropylique, qui ont des conséquences variables. Des trois, le méthanol est le plus dangereux : une intoxication peut mener jusqu’au décès.
Les intoxications au méthanol peuvent être volontaires ou non. Elles sont parfois liées, comme dans l’épisode, à la consommation de boissons alcoolisées illégales ou frelatées. Les « producteurs » illégaux ajoutent aussi parfois du méthanol pour augmenter le volume ou la teneur en alcool de leur « produit ».
Durant la pandémie, une vague d’intoxications au méthanol a même été signalée dans plusieurs pays du monde, certains ayant bu des désinfectants pour les mains contenant du méthanol en raison de pénuries d’alcool éthylique, celui qu’on trouve dans nos boissons habituelles. Des morts et de nombreuses hospitalisations ont été recensées.
La toxicité du méthanol
Si le méthanol est aussi néfaste pour le corps humain, c’est surtout en raison de sa transformation en formaldéhyde, lui-même beaucoup plus toxique. Ce composé est ensuite converti en acide formique, qui peut s’accumuler dans l’organisme et causer de graves dommages à plusieurs organes.
L’acide formique attaque notamment les cellules du système nerveux central, ce qui peut provoquer des lésions cérébrales et diverses affections neurologiques comme la cécité, des convulsions, une faiblesse et des troubles de coordination, et même jusqu’au coma.
Les lésions aux yeux sont donc courantes chez les personnes intoxiquées. L’acide formique attaque la rétine, ce qui peut engendrer des désordres visuels tels qu’une vision floue, une perte de la vision centrale, une douleur oculaire et, dans les cas graves, une cécité permanente.
Des effets variés
Les symptômes initiaux de l’intoxication comprennent des maux de tête, vertiges, nausées et vomissements.
L’accumulation d’acide formique dans l’organisme entraîne une acidose du sang, ce qui peut compromettre le fonctionnement normal de la plupart des organes.
Si le personnage de Chrystelle respirait aussi rapidement, c’est justement en raison de l’acidose : la réaction habituelle du corps est alors de commander une hyperventilation, afin d’évacuer davantage de CO2. Cette réaction permet de remonter le pH sanguin vers la normale.
Ce même acide formique endommage les reins et entraîne parfois une insuffisance rénale, atteinte grave de la fonction de ces organes.
Du côté du foie, responsable de la métabolisation du méthanol, une exposition excessive cause des dégâts qui se manifestent par des symptômes gastro-intestinaux tels que des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales et une diarrhée.
Il est donc important d’aller chercher de l’aide médicale immédiate en cas d’intoxication au méthanol, une prise en charge précoce contribuant à prévenir les avaries permanentes aux organes et à améliorer les chances de survie, notamment par l’administration d’antidotes.
En cas d’intoxication volontaire, le défi clinique est de manquer l’intoxication si elle n’est pas révélée, les symptômes pouvant commencer à se manifester de 12 à 24 heures après l’ingestion.
Des antidotes efficaces
Une fois l’intoxication au méthanol diagnostiquée, on dispose de plusieurs antidotes pour la traiter ; plus on les administre rapidement, plus ils sont efficaces, le méthanol étant absorbé en une dizaine de minutes dans le système digestif, puis éliminé très lentement par le rein, souvent sur plusieurs jours.
Le plus ancien antidote, l’éthanol, est naturellement converti en acétaldéhyde par une enzyme appelée alcool déshydrogénase, la même qui transforme le méthanol en formaldéhyde. L’éthanol occupe l’enzyme et empêche temporairement la transformation du méthanol en ses métabolites délétères.
Jusqu’au début des années 2000, c’était l’antidote le plus employé. Je l’ai souvent prescrit par voie intraveineuse dans mon ancienne vie dans une urgence générale, ce qui engendrait des situations parfois cocasses parce que, évidemment, les patients étaient rapidement saoulés. On peut aussi le donner par la bouche, ce qui paraissait parfois curieux sur une civière de l’urgence.
Un second inhibiteur compétitif de l’alcool déshydrogénase, le fomépizole, a remplacé peu à peu l’usage de l’éthanol. Son action est semblable à celle de l’éthanol, mais il est plus spécifique et provoque moins d’effets secondaires. On l’administre également par voie intraveineuse et il a maintenant supplanté l’éthanol.
En cas d’acidose métabolique sévère, des bicarbonates intraveineux sont parfois prescrits afin de remonter le pH et atténuer ainsi les effets dangereux de l’acidose. Le bicarbonate opère en tamponnant l’acidité dans le sang, en augmentant le pH sanguin et en réduisant les conséquences toxiques de l’acide formique sur les tissus.
On prescrit aussi de la thiamine (vitamine B1) pour prévenir les dommages neurologiques associés à l’intoxication au méthanol.
L’hémodialyse pour les cas sévères
Pour une intoxication importante, l’hémodialyse, qui consiste à filtrer le sang par un appareil externe, est souvent ajoutée au traitement. On l’emploie en cas d’insuffisance rénale aiguë, d’acidose métabolique sévère, d’un taux de méthanol sanguin très élevé ou de complications neurologiques.
Le mécanisme de l’hémodialyse dans le traitement de l’intoxication au méthanol repose sur l’élimination des métabolites nocifs du méthanol, notamment l’acide formique, de l’organisme.
L’hémodialyse aide aussi à nettoyer le sang du méthanol qu’il contient, en particulier lorsque les concentrations sanguines sont très élevées.
On associe l’hémodialyse à d’autres thérapies, comme le fomépizole et les bicarbonates, pour maximiser l’efficacité du traitement global et accélérer la guérison.
On espère ainsi réduire les effets toxiques du méthanol sur les organes et prévenir les complications graves, telles que les dommages neurologiques.
Un pronostic variable
Le pronostic de l’intoxication au méthanol dépend de plusieurs facteurs, notamment de la gravité de l’intoxication, la rapidité avec laquelle les antidotes sont donnés, l’efficacité du traitement et les complications retrouvées.
On s’y attend, des niveaux sanguins de méthanol élevés, une acidose métabolique sévère, des complications neurologiques comme des convulsions ou le coma et un délai important avant le traitement de l’intoxication jouent contre la personne.
Au contraire, un accès prompt aux soins, des niveaux sanguins de méthanol relativement faibles et l’absence d’acidose métabolique constituent des facteurs favorables.
Des séquelles possibles
Les séquelles possibles de l’intoxication au méthanol comprennent des dommages permanents à divers organes, en particulier au système nerveux central.
Parmi les conséquences neurologiques, on retrouve la cécité et des troubles du mouvement. Les lésions rénales peuvent aussi persister.
Pour toutes ces raisons, l’intoxication au méthanol constitue une urgence médicale grave. Un traitement rapide est essentiel pour limiter les dégâts et améliorer les chances de récupération.
Entièrement d’accord avec le sujet. Mais une question demeure: ne devrait-il pas y avoir une réglementation sur ces produits ? Pour justement éviter d’empoisonner les gens ? Et les émanations se dégageant du méthanol fait-il des dommages ? Toutes ces questions demeurent en suspend et pendant ce temps ces produits sont en vente libre …