Non, la science n’a pas prouvé que l’alimentation peut combattre les maladies mentales

Le livre Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition est un florilège d’exagérations basées sur des études préliminaires de faible envergure.

Jessica Peterson / Getty Images / montage : L’actualité

L’auteur est communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. Il est titulaire d’un baccalauréat en biochimie et d’une maîtrise en biologie moléculaire. En plus d’écrire de nombreux articles, il coanime le balado The Body of Evidence. 

Quand on regarde dans un microscope, ce qui est minuscule paraît gros. L’appareil rend les petites choses complètement disproportionnées. Or, on n’a même pas besoin d’un microscope pour cela.

Le livre Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition contient des déclarations plutôt audacieuses. « Tant que nous n’aurons pas résolu les problèmes de nutrition, peut-on y lire, aucune médication ou psychothérapie ne pourra endiguer la marée de problèmes mentaux dans notre société. » [NDLR : La traduction des passages du livre est de nous.] L’auteure ne se limite pas au stress et à l’anxiété légère ; elle consacre des chapitres au syndrome de stress post-traumatique, à la schizophrénie et au trouble bipolaire.

L’ouvrage est paru en 2020, et sa version française, l’année suivante. Il a été écrit par la Dre Uma Naidoo, dont le curriculum vitæ a de quoi impressionner ses lecteurs. Elle a étudié en psychiatrie à la Faculté de médecine de Harvard, dont elle est aujourd’hui membre du corps enseignant. Elle a suivi une formation en nutrition à l’Université Cornell. Elle est également cheffe cuisinière professionnelle, diplômée de la Cambridge School of Culinary Arts. Qui serait mieux placé qu’elle pour écrire sur la façon dont la nutrition peut causer, exacerber et aider à traiter les troubles mentaux ?

Je ne suis pas psychiatre. Je ne suis même pas médecin. Si la confiance ne tient qu’aux diplômes, elle gagne haut la main.

Mais avec un peu de temps et un accès à la littérature scientifique, votre humble communicateur scientifique, un journaliste, voire un lecteur occasionnel peut faire quelque chose.

Nous pouvons vérifier si la Dre Naidoo rend compte avec exactitude des études qui constituent les fondements de sa thèse. Car lorsque je lis que certains aliments « soulagent l’anxiété » ou que d’autres « aggravent les traumatismes », et que je vois que les bleuets et la curcumine sont présentés comme des solutions à de sérieux problèmes psychiatriques, quelque chose me dit qu’il y a un problème.

Les travaux que la Dre Naidoo cite à l’appui de ses affirmations disent-ils vraiment ce qu’elle prétend ?

Une série de déformations malheureuses

La perspective que la Dre Naidoo utilise dans son livre porte un nom : la psychiatrie nutritionnelle. Elle affirme dans le chapitre 1 qu’« en 2015, Jerome Sarris et ses collègues ont établi que la “médecine nutritionnelle” devenait courante en psychiatrie ». Ce n’est pas tout à fait ce qu’ils ont écrit dans l’article qu’elle cite. Cet article, étiqueté « Opinion personnelle » par la revue The Lancet Psychiatry qui le publie, conclut que « la médecine nutritionnelle devrait maintenant être considérée comme un élément courant de la pratique psychiatrique » (tous les italiques entre guillemets sont les miens, sauf indication contraire, pour mettre en évidence les mots-clés). Sarris et ses collègues écrivaient au nom de la Société internationale pour la recherche en psychiatrie nutritionnelle, dont l’objectif est de promouvoir la recherche dans ce domaine. Ils demandaient une reconnaissance, et ne soutenaient pas que les considérations nutritionnelles en psychiatrie étaient désormais courantes.

Vous pensez peut-être que je coupe les cheveux en quatre, mais d’autres distorsions et exagérations dans le livre de la Dre Naidoo montrent que cet exemple n’est que la première illustration d’un problème beaucoup plus vaste.

La Dre Naidoo croit fermement au lien entre le cerveau et l’intestin, et affirme que les probiotiques — « des bactéries vivantes qui procurent des bienfaits pour la santé lorsqu’elles sont consommées » — sont essentiels pour lutter contre la dépression. Elle fait référence à une étude randomisée dans laquelle des personnes ont reçu soit un supplément de probiotiques, soit un placébo, et conclut que le cerveau des participants du premier groupe était « moins déprimé et moins stressé » (les italiques sont d’elle). Elle utilise cette étude comme tremplin pour recommander la consommation de yogourt et d’aliments fermentés. En réalité, 26 personnes en bonne santé ont pris le probiotique dans le test qu’elle cite et 29 ont reçu le placébo. Cette étude a été financée par une compagnie qui fabrique des probiotiques et ses auteurs font remarquer que « ces données sont préliminaires ». C’est de la bouillie pour les chats. Les bactéries qui vivent dans notre intestin font l’objet de recherches, certes, mais nous devrions tous nous méfier des conclusions prématurées sur l’effet de souches particulières sur notre santé.

Pendant ce temps, l’épice la plus chère du monde, le safran, peut apparemment aider à combattre la dépression, selon la Dre Naidoo, qui cite une étude tellement géniale qu’elle méritait un point d’exclamation. « Une étude réalisée en 2017 a démontré que 15 mg de safran étaient aussi efficaces que 20 mg de Prozac pour diminuer les symptômes dépressifs ! » Les auteurs de cette étude ne sont pas aussi enthousiastes dans leur compte rendu. « L’essai clinique n’est pas de grande taille et doit être considéré comme une étude préliminaire. » Ils soulignent l’absence d’un groupe placébo, le petit nombre de participants, le court suivi et l’absence de patients souffrant de dépression grave. Vous ne le sauriez pas en lisant le livre de la Dre Naidoo, qui recommande ensuite d’ajouter du safran en combinaison avec « les aliments antidépresseurs cités précédemment pour doubler l’effet stimulant sur l’humeur ».

La Dre Naidoo pense que les personnes anxieuses devraient porter une attention particulière à leur consommation de magnésium. « Chez l’homme, la carence en magnésium est associée à des niveaux d’anxiété élevés », écrit-elle. Elle conseille donc de privilégier les aliments riches en magnésium. Après tout, une revue de 2017 de la littérature sur le sujet « a constaté que des suppléments de magnésium peuvent aider, surtout si vous êtes sujet à l’anxiété ». Il est amusant de voir qu’elle ne cite pas ce qui suit de la conclusion de la revue : « Il existe des preuves qui donnent à penser, mais ne concluent pas, que les suppléments de magnésium auraient un effet bénéfique sur l’anxiété légère. » Les auteurs soulignent que la qualité des études qu’ils ont examinées était « généralement médiocre ». Pas vraiment une base solide à partir de laquelle on puisse émettre des recommandations.

De même, la Dre Naidoo prône la consommation de curcuma et de son pigment jaune, la curcumine, écrivant que son « effet positif sur l’anxiété a été confirmé par […] trois tests sur l’homme ». La référence qu’elle cite souligne le petit nombre d’études et le manque d’investigations à long terme, et appelle à la réalisation d’études plus poussées. L’effet de la curcumine sur l’anxiété n’a pas été « confirmé » par ces trois tests.

La Dre Naidoo parle ensuite de la camomille qui favoriserait le sommeil. Elle explique qu’une étude de 2017 a montré que cette plante « améliorait notablement la qualité du sommeil ». Mais l’étude camomille-contre-placébo a été réalisée sur deux groupes de 30 personnes âgées dans une seule maison de retraite, où les médecins et les infirmières savaient ce que chaque participant recevait et ne demandaient pas quelle quantité de médicaments pour le sommeil il prenait. Elle évoque une méta-analyse qui a apparemment conclu que la camomille était « très efficace » pour le sommeil. Mais ses auteurs énumèrent un certain nombre de problèmes importants qui entachent les quelques études publiées, notamment leur qualité qui va de « très faible à faible » (les italiques sont d’eux). J’ai du mal à concilier les nombreuses approbations enthousiastes de la Dre Naidoo avec les études réelles auxquelles elle fait référence.

Si vous n’êtes pas un scientifique, vous vous demandez peut-être pourquoi il semble y avoir un fléau de petites études dans la littérature. La raison en est simple : elles sont plus faciles et moins chères à réaliser. Les grands essais cliniques informatifs sont coûteux, et leur gestion prend des années et une infrastructure lourde. Recruter 30 personnes et qualifier les résultats de « préliminaires » et « prometteurs » est tout bonnement moins compliqué pour les chercheurs qui travaillent dans un système de subventions toujours plus compétitif. Cette réalité ne doit cependant pas servir d’excuse pour se contenter d’études inadéquates afin d’étayer des affirmations exagérées lorsqu’on écrit pour un public de profanes.

Cette tendance à amplifier la force des preuves dont parle la Dre Naidoo se poursuit malheureusement dans le cas de maladies encore plus graves, comme le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et la schizophrénie.

Ventriloquie hippocratique

Le glutamate est l’un des nombreux éléments constitutifs des protéines et l’un des neurotransmetteurs les plus abondants dans notre système nerveux. On peut également le trouver lié à un atome de sodium dans l’exhausteur de goût MSG, injustement dénoncé. La Dre Naidoo cite une étude récente qui montre qu’un régime à faible teneur en glutamate est « efficace pour réduire l’anxiété et les symptômes du SSPT ». L’étude en question est une présentation par affiche, lors d’une conférence, d’une analyse préliminaire d’un test en cours, pour lequel 17 vétérans atteints du syndrome de la guerre du Golfe avaient été recrutés jusque-là. Je ne suis pas impressionné. L’article final a été publié en juin 2022 et l’essai-pilote a permis de tester au total 40 vétérans dont les symptômes psychiatriques n’ont pas été évalués cliniquement (les sujets ont plutôt répondu à un questionnaire) et qui ont tous été soumis à un régime à faible teneur en glutamate pendant un mois. Il n’y avait pas de groupe témoin placébo auquel comparer le régime.

Pour les patients atteints de schizophrénie, la Dre Naidoo conseille d’éviter le régime occidental, la caféine, le sodium, l’alcool et le gluten. « Il est clair, écrit-elle, que tous les patients atteints de schizophrénie devraient au moins essayer un régime sans gluten. » Elle recommande également une liste de nutriments qu’elle appelle, de manière affligeante, « les aliments qui restaurent la réalité ». Il convient d’attirer l’attention sur le fait que la schizophrénie peut s’accompagner de délires et d’hallucinations, et que le risque de suicide chez les personnes qui en sont atteintes est 12 fois plus élevé que dans la population générale. Et avant que vous ne pensiez que les suggestions nutritionnelles de la Dre Naidoo sont faites dans l’ombre d’interventions pharmaceutiques bien plus importantes, elle précise au contraire que « les produits pharmaceutiques comme le lithium et les antipsychotiques sont des armes puissantes dans la lutte contre les troubles bipolaires et la schizophrénie. Mais tout aussi puissants sont les changements de régime alimentaire qui peuvent fonctionner parallèlement aux médicaments pour aider les personnes souffrant de ces maladies débilitantes. »

Le principe implicite qui sous-tend Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition est « que la nourriture soit ta médecine », une idée fausse attribuée à tort à Hippocrate et souvent récitée comme un credo par ceux et celles qui croient qu’il y a des solutions de rechange à la médecine. En fait, la Dre Naidoo, convaincue du lien global entre notre intestin et notre cerveau, rappelle qu’Hippocrate avait prévenu que « la mort est assise dans les intestins» et que « la mauvaise digestion est la racine de tous les maux ». « Aujourd’hui, conclut-elle, nous sommes en train de découvrir à quel point il avait raison. » Alors que ces deux citations sont fréquemment présentées dans la littérature sur les probiotiques et sur les sites Web consacrés au bien-être, je n’ai pas pu les trouver dans une longue liste d’aphorismes d’Hippocrate ou dans le corpus hippocratique publié par la professeure Elizabeth Craik. Les articles scientifiques qui les reprennent finissent par faire référence à d’autres articles qui les empruntent abondamment, comme dans le jeu du téléphone. Ils constituent une autre déformation potentielle d’Hippocrate, qui est si souvent ventriloqué pour approuver des idées pseudo-médicales.

La Dre Naidoo se plaint que la médecine n’est plus holistique et qu’elle a perdu son objectif. Il n’est pas étonnant, comme on peut le lire à la fin de son livre, qu’elle intervienne fréquemment auprès du public de goop (l’entreprise de Gwyneth Paltrow). Elle a un pied dans le monde médical et l’autre dans le monde naturel vénéré, dont les promesses restent souvent lettre morte. Des histoires qui feraient trembler les médecins sont présentées dans le livre comme des exemples d’ouverture d’esprit. Un collègue orthopédiste s’adresse à elle parce que l’un de ses patients souhaite retarder une intervention chirurgicale pour une forte douleur au genou. Le patient a entendu parler du curcuma et veut d’abord l’essayer.

Tout au long du livre, des preuves médiocres sont présentées comme des confirmations. La science est utilisée pour faire paraître les affirmations plus raisonnables qu’elles ne le sont, mais en fin de compte, la Dre Naidoo préconise d’essayer les choses par soi-même. Dans une déclaration qui pourrait être interprétée comme empoisonnant le puits de la médecine fondée sur les preuves, elle écrit que les essais cliniques randomisés sont bons, mais « ils vous fournissent des données sur un groupe d’individus, pas sur les individus eux-mêmes ». Sa solution ? « La seule façon de savoir vraiment ce qui fonctionne pour vous est d’expérimenter par vous-même. » C’est un drapeau rouge. Les essais existent pour minimiser les biais des anecdotes et des expérimentations personnelles. Dans le monde du bien-être, ils empêchent de faire des prétentions exagérées. 

Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition est truffé d’un langage causal non mérité. L’auteure énumère « les aliments qui augmentent » et « soulagent l’anxiété ». Elle définit un « menu stimulant la mémoire » (avec du curcuma et des pois chiches) et un « menu libidineux » (avec des épices cajuns et des fraises enrobées de chocolat). Par ailleurs, le régime alimentaire global qu’elle recommande n’est pas mauvais. Elle met en garde contre les excès et les carences du régime occidental moderne et fait l’éloge des fruits, des légumes, des noix, des aliments riches en fibres et des protéines d’origine végétale. Il est juste de dire que l’amélioration du régime alimentaire aura un effet positif sur la santé mentale et que l’on devrait étudier comme il se doit les contributions que la nutrition peut apporter à la qualité de vie lorsque l’on fait face à la maladie mentale.

Mais elle fabrique des certitudes là où il n’y en a pas et attribue à un régime alimentaire sain le pouvoir de traiter des maladies graves, déformant des études petites et incertaines pour les faire paraître plus vastes et plus solides afin de donner de la crédibilité à sa thèse.

Au microscope, les petites choses semblent beaucoup plus grosses qu’elles ne le sont réellement. Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition est un sacré microscope.

Message à retenir :

  • La Dre Uma Naidoo, psychiatre à Harvard, a écrit un livre intitulé Anxiété, dépression, sommeil : La révolution nutrition, dans lequel elle affirme que certains aliments doivent être consommés et d’autres évités pour lutter contre divers problèmes mentaux, comme la dépression et la schizophrénie.
  • Elle exagère fréquemment la fiabilité des travaux auxquels elle se réfère, se servant de petites études préliminaires de faible qualité pour en déduire des recommandations nutritionnelles précises.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée sur le site de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill.

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Les commentaires sont fermés.

Il y a que des avantages à améliorer la nutrition des personnes malades surtout que les médicaments pris par ces personnes les poussent à mager plus et plus mal..Il grossissent de manière indubitable de souvent 50 kg et plus. Vos écrits peuvent les pousser à ne plus faire attention à leur alimentation.Soyez plus vigilent. Il faut tous changer notre alimentation car c’est clair qu’elle favorise la santé physique et pourquoi pas la santé mentale.Renseignez vous plus.Ne vous contentez pas de traduire une personne.

«Non, l’alimentation n’a pas le pouvoir de combattre les maladies mentales»
Votre article démontre clairement que la Dre Naidoo n’a pas vraiment démontré ce qu’elle affirme dans son livre. Mais, selon votre habitude, vous êtes plus polémique que scientifique et vous vous tombez dans le même travers que la Dre Naidoo: où avez vous démontré que l’alimentation n’a pas le pouvoir de combattre les maladie mentales? Comme vous l’avez vous-même souligné, les études citées ne sont pas suffisantes et elles ne permettent pas d’affirmer ce qu’elle affirme, ni ce que vous affirmez. Vous ne servez pas la science avec ce genre d’attitude bien peu objective.
La seule conclusion qu’on peut en tirer, c’est qu’on aurait besoin d’études de qualité pour se prononcer.

C’est évident pour moi que lorsqu’on mange bien, on se porte bien et mieux équipé pour surmonter nos difficultés.

Bonjour Monsieur Pichat,
Merci pour votre vigilance. Le titre de l’article a été modifié pour mieux en refléter le contenu.
– Julie Gobeil, chef du pupitre éditorial

Voilà un excellent article qui décrit bien que lorsque quelqu’un dit que « des études prouvent », il faut connaître la qualité de ces études, leur méthodologie, leur durée et les nuances de leurs conclusions. Quant à « expérimenter par soi-même » avec certains aliments pourquoi pas ? Manger plus de yogourt, de kéfir ou de choucroute ne peut pas faire de mal, mais ces aliments, jusqu’à preuve du contraire, ne peuvent pas soigner des problèmes modérés ou graves de santé mentale. Mieux digérer c’est certes bon pour le moral, mais suivre un traitement médical efficace est la base.