Un article récent du quotidien français Le Monde parle d’une étude aux conclusions « impressionnantes ». À sa lecture, il y a de quoi être inquiet puisque cela semble en effet très sérieux. Signée par des chercheurs rattachés à l’École de santé publique d’une université prestigieuse, Harvard, cette étude s’appuie sur un grand nombre de données : 146 000 personnes ont été suivies pendant 20 ans. Elle a été publiée en janvier dernier dans une revue savante plutôt bien cotée. Et elle met en doute l’un des principes nutritionnels généralement admis : il faut manger beaucoup de fruits et légumes pour être en bonne santé.
Après avoir analysé leurs données, les chercheurs affirment avoir constaté que consommer chaque jour quatre portions de fruits et légumes reconnus comme étant rarement contaminés par des pesticides, comme les oranges ou le brocoli, faisait baisser le risque de mortalité de 36 % par rapport à n’en manger qu’une seule portion. À l’inverse, consommer la même quantité de fruits et légumes contenant plus souvent des résidus de pesticides, comme les épinards ou la laitue, ne diminuait pas le risque de mortalité par rapport à n’en manger qu’une seule portion. Ils en déduisent que les résidus de pesticides pourraient annuler le bénéfice de la consommation de fruits et légumes.
Il n’en fallait pas plus pour que l’article du Monde soit relayé largement et sans nuance.
Or, quand on regarde la méthodologie de l’étude citée, ses résultats et les interprétations que les chercheurs en font, force est de constater que leurs conclusions ressemblent bien plus à un plaidoyer contre les pesticides qu’à une analyse rigoureuse et objective.
Voici pourquoi vous devriez continuer à manger vos 5 à 10 portions de fruits et légumes par jour, que ceux-ci soient bios ou pas.
Des éléments rassurants
Les bénéfices d’une consommation élevée de fruits et légumes ont été largement et solidement documentés par des études, comme celle-ci et celle-là. Une méta-analyse de 2017 a par exemple conclu à un lien direct entre le nombre de portions ingérées et la diminution du risque de cancers, de maladies cardiovasculaires et de mortalité de toutes causes.
L’an dernier, nous avions rapporté les résultats d’une revue exhaustive de la littérature scientifique menée par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en France, qui ont compilé 5 300 études sur les risques des pesticides pour la santé selon la manière dont différents groupes de la population y sont exposés.
Dans certains cas, les pesticides représentent un danger bien réel, par exemple pour les agriculteurs qui en manipulent de grandes quantités leur vie durant. Mais pour ce qui est des effets sur la santé des résidus de pesticides absorbés par l’alimentation, la compilation des études ne permet pas de conclure à un risque accru de maladies.
Plusieurs travaux ont d’ailleurs déjà montré assez clairement que les résidus présents sur les fruits et légumes n’augmentent pas le risque de cancer, et ce, même si plusieurs pesticides sont cancérigènes à forte dose. Les chercheurs de Harvard en sont eux-mêmes arrivés à cette conclusion en analysant les risques de cancer, et non de mortalité de toutes causes, dans les trois cohortes qu’ils ont suivies, ce qu’ils ont détaillé dans une étude publiée en novembre 2021.
Avec son équipe, le toxicologue à l’INSPQ Mathieu Valcke a quant à lui estimé, dans une étude sur ce sujet parue en 2017, que pour 100 cancers prévenus par la consommation de fruits et légumes, un seul pouvait théoriquement être provoqué par les résidus de pesticides sur ces aliments. Vous voulez diminuer vos risques de cancer ? Manger beaucoup de fruits et légumes a toutes les chances d’être très bénéfique !
Comment réduire les risques ?
Selon Mathieu Valcke, le meilleur moyen de se prémunir contre la nocivité des résidus de pesticides sur les fruits et légumes consiste à varier ceux que l’on consomme. « De cette manière, si un produit présente vraiment un risque élevé, son effet sera bien moindre que si vous en mangez tous les jours », ajoute le toxicologue.
Comme plusieurs autres chercheurs, Mathieu Valcke incite à se méfier des classifications telles que celle de l’Environmental Working Group (EWG) américain avec sa Dirty Dozen, qui appelle les citoyens à éviter certains fruits et légumes. Cette liste ne tient en effet pas compte des concentrations réelles de résidus de pesticides sur ces aliments ni du type de pesticides ; elle se préoccupe seulement du nombre de pesticides différents détectés sur un aliment et de la fréquence à laquelle les analyses décèlent au moins un résidu détectable.
Selon cette classification, un fruit ayant des traces infimes de deux résidus pourrait être considéré comme plus dangereux qu’un autre contenant une dose massive d’un seul pesticide. Dans sa méthodologie, le EWG indique d’ailleurs que sa classification ne nous renseigne pas sur le niveau de risque. Se priver de fraises ou de pommes parce qu’elles pourraient être contaminées ? Non. Surtout qu’un simple rinçage à l’eau claire élimine la majeure partie des résidus.
Faudrait-il manger bio ?
Pas forcément. « D’un point de vue de santé publique, on ne peut pas conseiller cette stratégie, parce que le prix plus élevé des aliments biologiques les rend beaucoup moins accessibles à une grande partie de la population », opine Mathieu Valcke.
De toute façon, si le risque associé aux résidus de pesticides « était important, on devrait aussi voir un effet bénéfique marqué de la consommation de produits biologiques, car il est bien établi que celle-ci diminue largement l’exposition, ajoute le spécialiste. Or, de manière générale, les études sur l’alimentation biologique montrent un bénéfice pour la santé qui est, au mieux, marginal. » Parmi les études qui ont trouvé un net avantage au bio, la plupart n’ont pas tenu compte du fait que les gros consommateurs d’aliments biologiques sont plus riches, qu’ils mangent mieux en général (moins de viandes et plus de céréales complètes) et qu’ils ont de meilleures habitudes de vie (moins de tabagisme et plus d’activité physique), ce qui suffit amplement à réduire leur risque de maladies.
Vous avez les moyens de manger bio ? Tant mieux, surtout que les pesticides ont de nombreux effets sur l’environnement. Mais même s’il faut continuer de bien étudier les risques que les résidus de pesticides pourraient poser pour la santé, et diminuer autant que possible le recours à ces produits pour protéger la nature et les travailleurs agricoles, renoncer aux fruits et légumes parce qu’ils ne sont pas bios serait vraiment une erreur.
Une étude à prendre… avec un grain de sel
L’étude qui a inspiré un article au journal Le Monde à la fin de mai 2022 avait été publiée quelques mois plus tôt, en janvier, dans Environment International.
Les chercheurs se sont basés sur trois grandes enquêtes épidémiologiques qui suivent la santé d’infirmières et d’autres professionnels de la santé aux États-Unis depuis les années 1970. Ils ont retenu les données obtenues de 1999 à 2019 auprès de 146 000 personnes qui ont rempli, tous les quatre ans, un questionnaire sur leurs habitudes de consommation de 131 aliments, dont 27 fruits et légumes.
En parallèle, ils ont récupéré des données du Département américain de l’agriculture sur la détection de pesticides résiduels sur les fruits et légumes, pour classer ceux-ci en trois groupes, selon la quantité de pesticides qui y a été retrouvée en moyenne. Puis ils ont croisé ces informations et regardé l’effet de la consommation d’un plus ou moins grand nombre de portions des différents fruits et légumes sur le taux de mortalité des participants.
Ils en ont conclu que les résidus « pourraient diminuer » le bénéfice de la consommation de fruits et légumes quant au risque de mortalité, et écrivent dans leur résumé qu’ils pourraient l’annihiler (« may offset »).
« L’idée de départ des chercheurs de Harvard est quand même intéressante, car personne n’avait encore abordé cette question avec une méthodologie de ce type », affirme Mathieu Valcke, toxicologue à l’INSPQ.
Les résultats sont toutefois discutables, puisque l’étude comporte de multiples lacunes. D’abord, on sait que les questionnaires autorapportés sont peu fiables pour estimer les habitudes alimentaires. Or, aucune mesure des résidus de pesticides présents dans le sang ou l’urine des participants n’a été faite pour compenser cette lacune, ce qui limite la fiabilité des résultats.
D’ailleurs, on ignore les quantités réelles de pesticides consommées par les participants, les chercheurs ayant distingué les aliments uniquement par rapport à la fréquence à laquelle ils contiennent des quantités décelables de pesticides, sans tenir compte de leur concentration.
On ne sait rien non plus du reste de l’alimentation des participants — ni de la qualité ou de la quantité de ce qu’ils ont mangé, ni des traces de pesticides que cette autre nourriture pourrait aussi contenir. « Les analyses statistiques tendent également à exagérer les différences », estime Mathieu Valcke. Ici, en outre, les chercheurs ont mis de côté les études déjà réalisées sur le même sujet qui montraient plutôt un faible effet des résidus de pesticides présents sur les fruits et légumes. « Leurs conclusions sont imprudentes compte tenu des nombreuses limites de l’étude, et le résumé qu’ils en font est irresponsable. »
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Dire que quelque chose est faux parce qu’on ne peut démontrer clairement et sans équivoque que c’est vrai est une approche qui m’agace. J’ai moi-même une formation en science et lire comme argument que pour « les résidus de pesticides…la compilation des études ne permet pas de conclure à un risque accru de maladies », c’est comme dire que c’est bon pour la santé, ou que tant qu’à y être, ajouter donc un peu de glyphosate à votre vinaigrette. Vous écrivez que « les pesticides de nombreux effets sur l’environnement » mais l’ensemble de votre argumentaire vise à nous convaincre qu’ils n’en ont pas sur l’humain!
Je suis bien d’accord avec vous. L’article n’est pas inintéressant, tant s’en faut. Mais il sous-estime grandement les effets des pesticides sur l’environnement. Tant mieux si les effets des pesticides sur la santé humaine ne sont pas graves, mais ils ne sont certainement pas bons non plus.
J’abonde en tout points dans le sens de Richard et Line. Cet article me donne froid dans le dos !!
J’ ajouterai simplement que parce que l’on observe pas d’effet indésirables à court terme ne veut pas dire que les matériaux du corps humain ne sont pas endommagés et altérés sur le long terme. Nous sommes littéralement empoisonnés de tout bord tout côté par notre eau “potable”, l’air que nous respirons et la nourriture que nous mangeons. Les hôpitaux sont le reflet de cet état de fait. Il est temps de revenir à des modes d’agricultures respectueuses de la Terre qui nous nourrit et des fermiers qui doivent, sous contraintes de multinationales avides de profit, se soumettre à des diktats de production qui n’ont plus rien à voir avec la santé. Nous sommes bourrés de nourriture empoisonnée et non nutritive au niveau cellulaire plutôt qu’alimentés afin que notre corps fonctionne harmonieusement avec les lois de la nature.
Ce texte traite des effets sur la santé, c’est assez clair dans le titre il me semble. Je suis d’accord avec vous que les effets sur l’environnement sont mentionnés rapidement en fin de texte, et heureusement c’est pour nous mettre en garde que » les pesticides ont de nombreux effets sur l’environnement ». L’article rapporte essentiellement les propos d’un toxicologue québécois de l’INSPQ et d’une meta-analyse de l’INSERM, les deux institutions qui sont à la base de la reconnaissance de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle causée par l’exposition aux pesticides. On ne peut pas les accuser d’être pro-pesticides: ils sont par définition pro-objectivité. N’en déplaise à nos conceptions simplistes, il y a toujours toute une gamme de teintes entre le noir et le blanc. Le journalisme n’a pas pour but de polariser – de nous entraîner à ne voir que blanc ou noir – mais de nous aider à mieux saisir toutes les teintes de cette réalité qui n’est jamais simple.
Madame Jolicoeur, les études citées regardent aussi les effets à long terme et ces scientifiques ne sont pas des pro-pesticides. Et moi non plus. Je comprends que ça peut sembler surprenant, mais c’est une bonne nouvelle, alors aussi bien la prendre! Il est essentiel de chercher à mesurer les risques auxquels on fait face sur cette planète. Comme un automobiliste, on peut conduire (ou pas) mais il faut être vigilant et mesurer constamment les multiples dangers auxquels on fait face en l’utilisant. Les études citées sont sérieuses, très sérieuses. S’il fallait remettre en cause la crédibilité d’une étude à chaque fois qu’elle ne confirme pas notre opinion, et bien on n’irait plus bien loin.
Bonjour,
Je suis à la fois surprise et attristée par votre article sur les pesticides. Les pesticides comme l’indique si bien leur nom sont des poisons. Affirmer que leur consommation n’est pas dommageable relève d’une forme de simplification dangereuse. D’abord tous les pesticides n’ont pas le même degré de toxicité chez les humains. Deuxièmement, les épinards et laitues sont des végétaux simples à faire pousser sur votre balcon ou à votre fenêtre, sans pesticide. Troisièmement, le manque de recherche pour cet article fait honte à la revue l’Actualité. J’espère que vous vous reprendrez.
Entendu qu’ il faut traiter ce sujet avec objectivité et se méfier des simplifications grossières. Ce qui n’est pas toujours facile en journalisme, étant donné l’importance de conserver l’intérêt du lecteur jusqu’à la fin. Pour ma part donc, j’ai énormément apprécié ce texte, qui a pour une fois mis de côté les idées préconçues sur le sujet. Je l’ai lu avec intérêt, surtout que je suis moi-même une victime des pesticides (en conséquence d’une exposition aux produits appliqués sur les fermes). Merci madame Borde, les journalistes scientifiques comme vous sont rares et précieux. Et aux lecteurs: a) de grâce, plutôt que d’éviter de manger des fruits et légumes, évitez de manipuler des pesticides ou de circuler dans ou près de zones traitées et b) revisitez les ouvrages de notre docteur Béliveau national pour d’autres confirmations au sujet des bénéfices net de consommer des fruits et légumes, même traités aux pesticides.
Toute étude qui essaie de comparer une cohorte à un groupe témoin est foutue d’avance. Il n’y a pas d’individus sur la planète exempt de toute contamination. Par exemple, les PFAS, ces molécules indestructibles bioaccumulables sont mesurable dans 99% des humains. Elles affectent l’homéostasie et quoi encore. Le seuil maximal permis dans l’eau potable à New-York est de 10 PPB ou partie par billion (ou PPT en anglais) soit 10 sur 1 000 000 000 000.
Faire une étude comparative avec des gens tous contaminés. Wow.