Vous avez peut-être vu passer cette nouvelle selon laquelle une étude de l’Université Johns Hopkins, à Baltimore, estimerait que les confinements mis en place contre la COVID-19 n’ont servi à rien, ou à peu près. Les auteurs du papier en question considèrent que cette mesure sanitaire n’aurait entraîné qu’une infime diminution de la mortalité.
Ne vous faites pas avoir ! Cette annonce ressemble plutôt à une tentative de manipuler l’opinion publique. Voici huit raisons de n’accorder aucun crédit à ce rapport.
1. Les universités n’écrivent pas d’études. Utiliser le nom d’une prestigieuse université pour faire la promotion d’un document est un artifice classique. Cela constitue, en soi, un signal d’alerte. Dans le cas présent, un seul des trois auteurs, Steve H. Hanke, est réellement lié à l’Université Johns Hopkins. Il y est professeur d’économie appliquée.
2. Les trois signataires sont économistes. Aucun d’entre eux n’est spécialiste en santé publique, en épidémiologie ou en démographie. Quelle expertise cette équipe a-t-elle pour juger des effets du confinement sur la mortalité ?
3. Leur jupon dépasse. Deux des trois auteurs sont fortement associés à des groupes de réflexion libertariens qui produisent toutes sortes de documents aux allures de publications scientifiques visant à s’opposer aux interventions étatiques. Steve Hanke est agrégé supérieur (senior fellow) au Cato Institute, un groupe de réflexion américain connu notamment pour avoir rédigé de multiples rapports qui ont alimenté le mouvement climatosceptique. Jonas Herby est rattaché au Center for Politiske Studier, un groupe danois qui défend les mêmes idées.
4. Leur publication n’est pas une étude. Il ne s’agit pas d’une étude révisée par les pairs ou en prépublication, mais d’un document de travail. Les auteurs l’ont publié dans les Studies in Applied Economics, une série d’avis dirigée par Steve Hanke. Or, aucune règle particulière n’encadre la publication de tels documents ; n’importe qui sachant taper sur un clavier et publier sur un site Web peut le faire et y affirmer n’importe quoi.
5. Leur définition du confinement est trop large. Ce mot désigne, selon eux, l’imposition d’au moins une mesure sanitaire qui n’est pas un médicament. Le simple fait de devoir porter un masque pour entrer quelque part constitue donc pour eux un confinement (lockdown). Ce n’est pas vraiment le sens commun que l’on donne à ce mot, qui sous-entend plutôt une forme d’enfermement ou des restrictions d’accès à des lieux.
6. Leur méta-analyse n’en est pas une. Les auteurs prétendent avoir fait une méta-analyse, un exercice qui impose de prendre en compte toutes les études publiées sur un sujet. Si certains travaux doivent être exclus de l’analyse, il faut expliquer pourquoi, ce qui n’est pas fait ici. Parmi les milliers d’études publiées sur différentes formes de confinement, les auteurs en ont retenu 34, dont seulement 22 avaient été révisées par les pairs. Les 12 autres sont de simples documents de travail. De l’avis de plusieurs spécialistes, de très nombreuses études tout à fait crédibles ont été écartées sans aucune justification. Cet exercice est typique de ce qu’on appelle en anglais le cherry-picking, c’est-à-dire l’art de choisir ce qui fait notre affaire.
7. Leur analyse globale est biaisée. Dans plusieurs cas, les études retenues par le trio d’auteurs concluent en réalité à un fort effet du confinement sur la mortalité. Par exemple, l’une d’elles, publiée dans Plos One, affirme que l’ordre de rester à la maison dans certaines régions américaines y a diminué de 60 % la mortalité au cours des trois semaines suivantes. Mais en choisissant bien des documents de travail qui disent le contraire, y compris certains de leurs propres travaux, les auteurs sont parvenus à leurs fins : conclure que les confinements ne donnent à peu près rien. Leurs « savants » calculs aboutissent à une baisse de 0,2 % de la mortalité, sans marge d’erreur, un résultat très vendeur, mais pas du tout réaliste. Et pourtant, ils s’en servent pour soutenir que « les confinements ne doivent pas faire partie des mesures politiques lors d’une pandémie ».
8. La désinformation nourrit la désinformation. La cerise sur le gâteau pour faire mousser un document dont on ne devrait même pas parler ? Fox News a publié un texte disant que les grands médias comme CNN ou le New York Times avaient sciemment boudé cette étude. La vérité, c’est qu’ils avaient bien raison de ne pas parler du rapport en question, puisque celui-ci n’a pas de valeur scientifique.
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Il est aberrant de constater que l’ Université Johns Hopkins conserve ce professeur…
Un bijou, ce texte!! Merci!!
« 5. Leur définition du confinement est trop large. Ce mot désigne, selon eux, l’IMPOSITION d’au moins une mesure sanitaire qui n’est pas un médicament. »
Oui c’est exactement le travail de cette étude. Tout repose sur le mot RESTRICTION.
Pourquoi obliger les gens à porter un masque sous peine d’amende si le simple fait de leur recommander est tout aussi efficace ?
Pourquoi obliger les gens à rester chez eux, si lorsqu’on leur recommande d’éviter les rassemblements on obtient un résultat identique ?
Si demain on décide de mettre 135€ d’amende au gens qui ne respectent pas les 2m de sécurité alors cette mesure rentrera dans le cadre de cette étude et de toutes celles qui montrent que les mesures RESTRICTIVES n’ont pas d’efficacité significative…
Bien que cette étude contienne des biais (comme toutes), elle se concentre sur une seule chose : les RESTRICTIONS.
Et sur ce point tous les « débunkers » peuvent dire le contraire, mais il existe AUCUNE étude montrant qu’un gouvernement a eu raison d’OBLIGER ou d’INTERDIRE sa population (sauf sur la fermeture des écoles, mais là encore c’est très discutable) .
Bref, comme le montrait déjà la littérature scientifique pré-covid, le sujet des NPI en général est complexe.
Si parfois on peut trouver une corrélation entre la mise en place de NPI et le ralentissement des contaminations ce n’est pas toujours le cas. Que ce soit pour les études pré-covid que pour celles post-covid.
Quoiqu’il en soit, le seul début de consensus autour du confinement, c’est que s’il est pratiqué correctement (ce qui n’a absolument pas été le cas dans la plupart des pays) il PEUT permettre de RALENTIR les contaminations à un moment donné (donc une potentielle de mortalité SEULEMENT grâce à la baisse de surcharge du système hospitalier à un instant T).
Mais là encore, la théorie ne rejoint pas toujours la pratique…
Les variables sont nombreuses et croire que les NPI sont la seule arme contre un virus respiratoire fait oublier l’essentiel… notre système de santé….
Il y a qu’à voir le cas du Pérou, qui a mis en place un des confinements les plus stricte et les plus précoces et qui pourtant a explosé les compteurs…
Je crois que vous n’avez pas compris. Ces « économistes » avancent des opinions, ou réflexions, « scientifiques »… Ils ont tout à fait le droit. Vous vous êtes, ou semblé être en accord avec leur point de vue. Tous, vous en avez le droit… Mais PERSONNE n’a le droit de le faire sous le couvert d’une institution sans son accord, ici l’Université John Hopinks! Là est l’essentiel de cet article; pour le reste libre à vous, libre à eux.
Enfin une discussion de cette nouvelle qui est venu secouer nos perceptions.
J’apprécie les efforts de Mme Borde, qui a expliqué un peu comment cet article a été construit. Je trouve quand même malheureux qu’elle ait utilisé le truc d’association avec les libertaires pour renforcer ses arguments. N’a-t–elle pas suffisamment confiance en ses arguments pour les laisser parler d’eux-mêmes?
Merci aussi à « Stan » qui a réussi à nous convaincre du possible fondement des idées exprimées par l’article sous étude.