Nos yeux sont-ils vraiment « fatigués » par les écrans ?

La « fatigue oculaire » n’est pas de la fatigue à proprement parler. Il s’agit plutôt de la combinaison de sensations d’inconfort et d’irritation causées par la sécheresse oculaire.

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La pandémie de COVID-19 a contraint nos relations sociales, qu’elles soient professionnelles, amicales ou familiales, à se dérouler par écrans interposés, ceux de nos ordinateurs ou de nos téléphones portables. Étant donné que ces outils sont à l’origine de « fatigue oculaire », on peut craindre que celle-ci n’ait fortement augmenté au cours des derniers mois.

Qu’en est-il réellement ? Nos yeux sont-ils vraiment « fatigués » par les écrans ? Et avant tout, qu’entend-on par « fatigue oculaire » ?

L’œil ne se fatigue pas

Ce que l’on appelle « fatigue oculaire » se manifeste généralement par une sensation d’inconfort, de sécheresse ou de démangeaison des yeux. La vision devient floue et de graves maux de tête peuvent survenir.

Aujourd’hui, on tend toutefois à éviter l’expression « fatigue oculaire » pour privilégier celle de « syndrome de la vision artificielle », qui semble mieux correspondre à cet état. En effet, nos yeux ne se « fatiguent » pas réellement. Ces symptômes résultent plutôt d’un ensemble de problèmes oculaires et visuels.

Il faut savoir que les muscles chargés de faire bouger nos yeux sont parmi les plus rapides de notre corps. Leur forme et leur métabolisme leur permettent de se contracter et de se détendre en permanence. Grâce à eux, nos yeux peuvent se mouvoir de façon à ce que l’image des objets qui nous intéressent se forme dans la zone de la rétine où la vision des détails est la plus précise, la fovéa.

Les muscles oculaires diffèrent des autres muscles de notre corps par diverses caractéristiques leur permettant d’accomplir cette tâche en continu. Dans leurs cellules, on trouve par exemple des mitochondries en abondance. Ces petites structures sont des « usines à énergie » qui alimentent les cellules des muscles en permanence pour que ces derniers puissent se contracter sans arrêt. C’est précisément grâce à cette capacité métabolique élevée que les muscles oculaires ne se fatiguent pas : nos yeux peuvent bouger toute la journée sans que nous ressentions la moindre courbature.

Notre rétine n’éprouve pas non plus de fatigue. Cette structure est en effet en mesure d’effectuer le processus de transduction sensorielle (la transformation de la lumière en signaux électriques) des heures durant, jour après jour. Pour ce faire, des mécanismes régénèrent constamment les molécules de la rétine que ce processus « consomme ».

Le manque de clignement peut endommager l’œil

Lorsque nous accomplissons une tâche visuelle (quand nous travaillons sur un écran, que nous lisons un livre…), la fréquence de clignement des yeux diminue afin que nous ne perdions pas de vue ce que nous sommes en train de faire.

Or, la fonction dudit clignement est non seulement de protéger l’œil, mais aussi de renouveler et de répartir le film lacrymal qui hydrate et nourrit la surface oculaire. Par conséquent, si notre fréquence de clignement baisse, nos yeux s’assèchent, ce qui provoque une irritation et, dans certains cas extrêmes, une douleur.

Le problème peut être pire si notre production de larmes est faible (à la ménopause, par exemple, ou bien en raison de maladies ou de problèmes entraînant une sécheresse oculaire) ou si nous travaillons dans un environnement sec, comme c’est le cas dans des locaux climatisés. Les lentilles de contact constituent également un facteur aggravant, car elles limitent le passage de l’oxygène et la répartition du film lacrymal sur la surface oculaire.

En raison de cette sécheresse, les cellules de l’œil les plus externes se retrouvent mal protégées et peuvent être blessées. On observe alors une légère inflammation locale se traduisant par une rougeur des yeux et l’apparition de sensations d’inconfort. Ces symptômes s’accompagnent parfois aussi de douleurs oculaires ou de maux de tête.

Ce problème peut être évité en augmentant volontairement la fréquence de clignement des yeux ou en utilisant des larmes artificielles pour compenser la sécheresse.

Placer correctement son écran

Un autre facteur à prendre en compte est la hauteur et la distance auxquelles nous plaçons notre écran. Plus ce dernier est élevé, plus nos yeux seront ouverts, ce qui contribuera à l’évaporation du film de larmes qui recouvre la surface de l’œil et aggravera ainsi le problème.

Il est donc important de toujours régler notre écran de manière à ce qu’il ne soit ni trop haut ni trop bas (ce qui nous obligerait à trop plier le cou). En général, il est conseillé de placer le cadre supérieur à la hauteur des yeux ou du nez. La distance entre nos yeux et l’écran doit quant à elle être comprise entre 50 et 60 cm.

Un thème central : l’accommodation

La conception de nos yeux leur permet de changer continuellement de distance de mise au point, ce qui est bien pratique pour observer des objets situés plus ou moins loin. Cependant, lorsque nous travaillons avec un écran, notre regard est focalisé durant de nombreuses heures sur un objet à moins de 60 cm de nos yeux.

Lorsque notre regard quitte le plan proche pour un plan éloigné, des problèmes de mise au point risquent de survenir, ces derniers se traduisant par une vision floue qui entraîne parfois des maux de tête. Après l’âge de 45 ans, ce phénomène peut devenir encore plus marqué : c’est généralement vers cette période que la presbytie apparaît. Si le port de verres correcteurs est conseillé, il est important que leur correction soit adaptée.

Le problème de la « lumière bleue »

Selon une croyance répandue, la lumière bleue des écrans serait responsable de la « fatigue » oculaire, voire de lésions des yeux. Il s’agit pourtant d’une des longueurs d’onde auxquelles notre œil peut fonctionner, de par ses caractéristiques.

La lumière bleue (dont la longueur d’onde est comprise entre 400 et 500 nm environ) appartient en effet au spectre visible, autrement dit à la petite bande de longueurs d’onde du spectre électromagnétique que l’œil humain est capable de percevoir. Elle fait partie de la lumière blanche avec laquelle le soleil nous éclaire pendant la journée.

Si la lumière bleue était réellement nocive pour nos yeux, il serait également nocif, par exemple, de regarder la mer, dont nous percevons la couleur parce qu’elle envoie précisément ces longueurs d’onde « bleues » à nos yeux.

Le problème posé par la « lumière bleue » est ailleurs : s’y exposer pendant la nuit activerait une série de neurones rétiniens connectés directement aux centres du cerveau régulant le rythme circadien, autrement dit l’ensemble des processus biologiques qui se produisent selon un cycle de 24 heures, et qui déterminent notamment à quel moment dormir et à quel moment s’activer.

Si nous utilisons des écrans la nuit, la lumière qu’ils émettent va en quelque sorte « tromper » notre cerveau : celui-ci va avoir l’impression qu’il fait encore jour. Conséquence : les mécanismes qui nous aident à trouver le sommeil réparateur dont nous avons tous besoin à la fin d’une longue journée de travail ne se mettront pas en branle…

Les téléphones intelligents et les ordinateurs proposent souvent des fonctionnalités permettant de réduire le niveau de luminosité en fonction de l’heure, voire de transformer la lumière qu’ils émettent le soir en une teinte jaunâtre. De cette façon, l’intensité de la lumière qui frappe notre rétine est moindre. Cependant, le mieux est de limiter autant que possible l’utilisation de ces appareils à partir du crépuscule, afin de favoriser l’endormissement.

Ce que nous appelons communément « fatigue oculaire » n’est donc pas de la fatigue à proprement parler. Il s’agit de la combinaison de sensations d’inconfort et d’irritation causées par la sécheresse oculaire qui survient lorsque nos yeux sont restés ouverts durant une trop longue période. Cette sécheresse et les problèmes de mise au point qui peuvent se produire se traduisent par une vision légèrement floue.

Pour les éviter, il faut augmenter la fréquence de clignement des yeux, voire éventuellement utiliser des larmes artificielles. Il est important également de faire des pauses pendant lesquelles nous nous adonnons à des activités ne nécessitant pas une attention visuelle continue, qui permettent en outre de changer la distance de mise au point en regardant au loin. Enfin, nous devons nous assurer que la climatisation, l’éclairage et notre position face à l’écran sont appropriés.La Conversation

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.

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c’est vraiment une nécessité de se protéger pour les risques professionnels aussi : Les impacts visuels de la lumière HEV (Haute Énergie Visible) ou « lumière bleue » diffusée par de nombreuses sources de lumières artificielles des LED (Light Emitting Diode) sont nocifs pour les yeux lors d’expositions fréquentes et prolongées : or, téléviseurs, écrans d’ordinateur, et surtout ampoules LED d’éclairage à basse consommation des locaux professionnels ou commerciaux … émettent des rayonnements de lumière bleue intenses, et de nombreux travailleurs y sont exposés toute la journée : http://www.officiel-prevention.com/sante-hygiene-medecine-du-travail-sst/eclairage-des-locaux/detail_dossier_CHSCT.php?rub=37&ssrub=67&dossid=525