Nous n’y arriverons pas

Les scientifiques ont beau enfiler les études démontrant que la catastrophe écologique est à nos portes, leurs avertissements semblent tomber dans l’oreille de sourds. Malgré tout, la science doit se battre, écrit notre collaborateur Philippe J. Fournier.

Photo : Antoine Bordeleau pour L’actualité

Lorsque le scientifique américain Charles David Keeling a entrepris de mesurer les niveaux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère en 1958, peu d’observateurs se sont doutés que cette expérience allait bouleverser notre vision du monde. 

Ce programme de Keeling, visant à « documenter les effets de la combustion du charbon et du pétrole sur la distribution du gaz CO2 dans l’atmosphère et dans les océans de la planète », nous montra dès les premières années que la tendance à la hausse était directement liée à l’activité humaine.

Depuis la fin de la dernière ère glaciaire, il y a 11 500 ans, le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère était demeuré généralement stable, entre 260 et 280 ppm (parties par million). Lorsque Keeling a commencé ses mesures en 1958, le niveau de CO2 dans l’air à l’observatoire du Mauna Loa (à Hawaï) se situait à 313 ppm. En 1971, cette proportion avait grimpé à 323 ppm — une augmentation modeste d’un peu plus de 3 %, mais qui confirmait la tendance. Au décès de Keeling en 2005, le taux de dioxyde de carbone était à près de 380 ppm. Au moment où j’écris ces lignes, il a dépassé 420 ppm. 

Non seulement nous avons échoué à aplatir cette courbe, mais elle ne fait qu’accélérer. De vastes territoires de la planète deviendront inhabitables et la biodiversité terrestre est au bord d’une extinction de masse. Alors… qu’attendons-nous pour agir ? Les scientifiques qui ont poursuivi les travaux de Keeling ont beau enfiler les études démontrant que la catastrophe est à nos portes, leurs avertissements semblent tomber dans l’oreille de sourds.

Nos gouvernements n’ont jamais atteint les cibles de réduction de GES qu’ils avaient eux-mêmes fixées. Malgré tout, j’arrive de moins en moins à les blâmer, car leur manque de leadership en environnement est directement lié à l’apathie totale des électeurs.

Les élections du printemps dernier en Ontario en sont un exemple frappant. D’un côté, les progressistes-conservateurs de Doug Ford ont promis de nouvelles autoroutes dans les couronnes de Toronto. Face à la critique, leur réplique a été aussi rapide que simpliste : il faut cesser « cette guerre aux automobilistes ». De l’autre côté, le Nouveau Parti démocratique a proposé de réduire les frais d’assurance automobile de 40 %. Les élections se gagnent et se perdent dans les circonscriptions des banlieues, alors les automobilistes sont rois. 

En matière d’environnement, la CAQ au Québec et le PC en Ontario sont sur la même longueur d’onde. Dans la querelle périodique entre la CAQ et la mairie de Québec à propos du tramway, la perception que le moindre espace accordé au transport collectif nuit aux automobilistes a été évoquée par le ministre caquiste Éric Caire : « Le maire de Québec dit qu’il ne veut pas faire une guerre à l’automobile ; qu’il le prouve et qu’il arrête de polluer l’existence des conducteurs avec des projets comme ça ! »

Le fléau de l’étalement urbain et la destruction d’écosystèmes sont mis en porte-à-faux avec le développement régional. Et lorsque nos propres péchés environnementaux sont montrés du doigt, certains choisissent la réplique facile : et la Chine et ses usines de charbon ? Et les pétrolières multinationales ? Pourquoi se priverait-on de vivre si elles ne font pas de sacrifices ?

C’est là que le bât blesse. Les changements climatiques sont l’affaire de tous, mais tous n’en subiront pas également les conséquences. Notre système capitaliste repose sur la concurrence, et non sur la solidarité. Économiquement, c’est une impasse. Politiquement, la réalité est la suivante : l’environnement ne fait pas gagner des élections, ni au Québec, ni en Ontario, ni dans bien d’autres provinces ou États. 

 ***

C’était le soir du Super Bowl. L’aéroport de Tampa Bay, en Floride, a fièrement gazouillé : « Nous nous attendons à avoir environ 200 jets privés stationnés à TPA pendant le Super Bowl. Cette cascade de départs après le Super Bowl fera brièvement de nous l’aéroport le plus fréquenté des États-Unis, voire du monde. #GoBucs »

Des centaines de jets privés. Des tonnes de pollution éjectées dans l’atmosphère par quelques richissimes. Oh, mais vous, prolétaires, n’oubliez surtout pas d’apporter vos sacs à l’épicerie ! Il faut sauver la planète ! 

Il y a de ces jours où je me dis que nous n’y arriverons pas. Que la cause est perdue. Mais je résiste, car si le pessimisme et le cynisme sont faciles, ils n’ont jamais réglé de problème. La science doit se battre, même si elle est de toute évidence à contre-courant de la politique et du capitalisme.

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Je suis de tout coeur avec vous. Depuis les années quatre-vingt que je dis ce que vous venez d’écrire. Daniel Green digne représentant du parti Vert a beau exprimer et expliquer les dangers qui nous menacent, rien n’y fait ; l’électeur vote la CAQ qui offre des jobs payantes et des baisses d’impôt, tant pis que la maison brûle puisque nous ressentons à peine la chaleur et la fumée, c’est navrant.
Le court terme est ce qui est exprimé lors d’une campagne électorale, le vote va, ou a longtemps été, à celui qui apportera à ses électeurs ce qui apparaît la meilleure amélioration du train de vie. Les campagnes électorales vont dans le sens de donner le pouvoir de la direction de notre communauté à une poignée d’élu, la responsabilité du citoyen n’étant plus à l’ordre du jour, celui-ci évalue le plus souvent la nature des propositions qui lui sont faites pour son bien-être personnel, au lieu de donner un mandat aux élus en fonction de ses responsabilités envers sa communauté actuelle et future.
Il faut changer la façon d’informer la population lors des élections pour que chacun puissent voir son rôle en tant que citoyen et électeur. Ce n’est malheureusement pas un monde meilleur qui se pointe, nous avons le devoir de prendre nos responsabilités et de changer notre direction afin de garder notre seule planète viable en santé.

Vous avez bien mis le doigts sur des facteurs qui nuisent à la cause. Qui peut encore faire confiance aux données « scientifiques » quand la pandémie nous a révélé à quel point elles sont instrumentalisées par les pouvoirs publics et les entreprises? Pourquoi les électeurs soutiendraient-ils des politiques qui les appauvrissent à court terme alors que les dirigeants et les plus nantis n’en souffrent pas? Sommes-nous prêts à troquer nos libertés et la prospérité de nos enfants contre un hypothétique avenir meilleur?

L’apathie des électeurs ? Certainement ! L’humain est grégaire et suiveux de nature et tant que nous ne sommes pas directement touchés, les avertissements demeurent justement des avertissements et c’est théorique. C’est typique des enfants et encore plus des ados quand on les avertit, il y a de fortes chances que la personne avertie ignore l’avertissement et se mette dans le trouble. Les Autochtones avaient compris cela et ne donnaient pas d’avertissements mais prêchaient par l’exemple et laissaient les enfants faire leurs propres expériences.

Nous ne pouvons pas empêcher les changements climatiques ni la catastrophe qui s’en vient car cela prendrait une action planétaire concertée et nous sommes tellement loin d’une telle concertation. L’ONU est fragmentée et chaque pays protège jalousement son indépendance alors que les empires veulent étendre leur hégémonie et que les dictateurs foisonnent. Rien n’indique que cela va changer dans un avenir prévisible, même à long terme alors que la crise climatique nécessitait une action collective il y a déjà plusieurs années.

C’est triste à dire mais les humains vont réagir seulement quand le climat sera complètement déréglé et qu’Il causera tellement de chaos que le système capitaliste s’effondrera de lui-même. Alors, on saura qu’il est trop tard, que l’humanité devra faire face à sa propre extinction et qu’elle n’a que le temps de faire son testament. La planète ne s’en portera pas plus mal, bien au contraire, et la nature saura bien ressusciter de ses cendres comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises lors des grandes extinctions antérieures.

L’humain n’est pas le nombril de l’univers mais un grain de poussière d’étoiles infiniment petit.

Bien vu! La lutte au réchauffement est futile si elle n’engage pas la totalité des nations polluantes du globe, ce qui est impossible avec le genre humain.

L’expression ‘Changement climatique’ est un euphémisme.

Il faudrait commencer par nommer le problème de la bonne façon, il s’agit de ‘Destruction de notre environnement’ ce qui a comme conséquence les changements climatiques.
Imperial Oil le sait depuis les années 70, lire EXXON: The road not taken.

C’est malhonnête de nous présenter les changements climatiques comme une fatalité à laquelle l’humanité doit s’adapter. Nous savons pourquoi et connaissons les pollueurs qui détruisent notre environnement et nous avons les solutions aujourd’hui pour une croissance économique et écologique, rentable et sans boucane.

N’est-il pas curieux de constater le silence des groupes soi-disant verts (commandités par le fossile) autour des éoliennes qui fourniront l’électricité propre quand il s’agit d’électrolyse pour l’Hydrogène vert (rien à redire)? Pourtant l’hydrogène, peu importe la couleur, est un projet pétrolier, donc des pollueurs.

Voyez-vous, ce canular des oiseaux qui meurent aux pieds des centrales éoliennes colportés par les vendeurs de gazon artificiel ne s’appliquerait que pour celles qui remplaceront les centrales fossiles.
Quand on s’informe un peu:
par kWh produit par une centrale électrique, 7000 oiseaux meurent par les éoliennes, 300,000 oiseaux meurent par le nucléaire alors que 14 millions d’oiseaux meurent par le fossile, mais dans un état pétrolier on fait la bouche en cœur sur le fossile.

Ce n’est pas le jet privé qui fait problème. C’est le fait de faire disparaître un baril de pétrole chaque kilomètre parcouru. En jet, en train ou en char à boucane, le baril de pétrole utilisé comme ça reste un produit non durable et donc un avenir non durable pour l’humanité en plus d’accélérer les changements climatiques.

J’ai confiance qu’on peut y arriver, mais il faut écouter ceux qui ont des solutions durables, pas les charlatans du fossile.

Comme vous avez raison sur toute la ligne ! Il ne faut pas oublier l’industrie automobile qui ne fait pas sa part, mais pas du tout ! Au contraire, elle a encouragé les consommateurs (remarquez on aurait pu ne pas les acheter…mais la publicité aidant…) à dépenser de grosses sommes pour des grosses automobiles, des camions et camionnettes, gros consommateurs d’essence et donc pollution en masse. Sans compter les autos sports dont le système d’échappement est modifié et qui pétarade (avec les motos et les autres autos dont les propriétaires ont modifié le tuyau d’échappement pour faire semblant qu’ils conduisent une auto sport…ou un camion sport car je vois de plus en plus de camion dont le tuyau a été modifié) et pollue allègrement (il s’agit d’être à côté de ces véhicules pour se rendre compte que le « silencieux » ne filtre plus rien…). Bref, notre culte de l’automobile et des moteurs à essence est en train de nous exterminer et on continue comme si de rien n’était…

Cher Monsieur Fournier,

En tant que père de famille et scientifique, je suis extrêmement préoccupé par les changements climatiques. Je ne suis pas alarmiste et ne crois pas que la vie ou les êtres humains vont disparaitre bientôt. La vie et Homo Sapiens sont coriaces! Cela dit, nous courrons aveuglément vers beaucoup de souffrances que nous pourrions encore atténuer et en grande partie prévenir en agissant MAINTENANT.

À mon avis, le réveil démocratique arrivera juste trop tard. Le système ira jusqu’au bout. Nous attendrons la catastrophe…

Depuis des décennies, les scientifiques sonnent l’alarme que le changement climatique rendra notre planète Terre plus chaude, plus imprévisible et plus dangereuse pour les humains et les écosystèmes.

Les scientifiques ont été francs sur les limites de leur science et de leurs modèles. En fait, l’augmentation des températures moyennes mondiales liée à la concentration de gaz à effet de serre suit les prévisions des modèles. En ce qui concerne les événements extrêmes ou plus localisés, la plupart des modèles climatiques n’ont pas été conçus pour prédire les événements extrêmes régionaux mais des tendances globales.

Le problème n’est pas que le les scientifiques se sont trompés, c’est qu’on ne les a pas écoutés. Des mercenaires à la solde des industries fossiles, des complotistes et autres agents de désinformation ont faussement accusé les scientifiques de semer des peurs apocalyptiques en exagérant la menace pour le financement de la recherche ou pour des raisons politiques. Bref, on se retrouve devant une situation qui empire chaque jour que l’on passe dans l’inaction…

À méditer, les arguments scientifiques du physicien Tom Murphy de l’université de Californie à San Diego (http://bit.ly/2Zdm00Q). Seule l’économie biophysique qui tient compte des limites à la croissance peut être considérée comme vraiment scientifique et ancrée dans la réalité.

J’ai le devoir comme père de famille et comme scientifique, de poser des gestes concrets (les fameux 6R: refuser, réduire, réutiliser, réparer, recycler, réinventer), de tenter d’informer et d’éveiller la conscience des personnes, du moins celles de bonne volonté.

Il m’arrive de me sentir dépassé par l’ampleur de la tâche, mais ne sous-estimons pas la force vitale de la jeunesse, des rêves et de l’espoir. Cela me stimule davantage que cela ne me décourage. Je le vois comme un défi à relever et avec tous ces jeunes qui se mobiliseront, je ne me sens pas seul.

Surtout, ne sombrons pas dans le désespoir. Nous n’avons simplement pas le droit comme être vivant intelligent de ne pas au moins essayer de relever le défi. C’est une question de dignité!

Quand des milliers de scientifiques annoncent une catastrophe, arrêtons le déni et agissons.

Scientifiquement vôtre

Claude COULOMBE

« Au début ils vous ignorent, ensuite ils se moquent de vous, après ils vous attaquent et à la fin vous gagnez. » – Nicholas Klein 1918 (parfois faussement attribué à Gandhi)

J’ai travaillé au Ministère de l’environnement à la fin des années 90. La science nous donnait 10 ans pour changer nos modes de transports. Dix ans plus tard, tous les colons s’achetaient Hummer et F150 et tous les granos allaient se ressourcer au Cambodge et en Thailande. Plein de gens ne savent même pas s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents âgés. Pensez-vous vraiment qu’ils ont quelque chose à cirer de nous? Ces gens-là ne changeront pas et de toute façon il est trop tard pour paniquer. Il va falloir prendre notre souffle et passer en mode solution.

Aussi, vous saurez cher monsieur que dans ma banlieue, les gens plantent des arbres immenses et travaillent localement. Ils protègent les boisés et marchent le plus possible. Notre qualité de vie permet aussi, en télétravail, de ne pas rêver à un chalet dans le nord ou à un voyage à Punta Cana à temps plein. Nous ne sommes pas les monstres que les gens de la ville essaient de dépeindre. La banlieue a le dos large.

il m’arrive souvent d’utiliser des métaphores pour tenter de m’éclairer sur un enjeu complexe. Dans le cas de l’idée de croissance éternelle, je m’imagine petit et malingre, puis dans le but d’améliorer ma situation je choisis d’augmenter ma consommation de calories afin de donner à mon corps ce dont il a besoin pour se développer, grossir et grandir. Au début, tout va bien, je retrouve des forces, mon corps a ce qu’il faut pour se déployer et effectivement, il grandit et grossit et je me sens mieux. Ayant pris goût à plus de consommation et de croissance, j’en viens même à considérer que pour maintenir mon bien être, je dois croître un peu plus ainsi à chaque année qui passe. Arrive un jour où je franchis ce qu’on nomme mon « poids santé », le dépasse et poursuis ma croissance. Mais, comme mes contraintes biologiques ne sont pas extensibles à l’infini vient un temps où mes reins, mon foie, mon pancréas, mon coeur, tous les systèmes biologiques qui me tiennent en vie, n’arrivent plus à bien assimiler tout ce que je leur donne et ils en souffrent. Ma bonne idée de départ est devenue nuisible, ma vie est en danger mais je suis devenu dépendant de ma consommation qui alimente ma croissance, je ne peux plus m’arrêter.

Ainsi, il m’apparaît que nous sommes enfermés dans un cercle vicieux créé par notre dépendance à la croissance. Ce qui semble nous relier maintenant ce n’est plus la religion, ou la nation mais la garantie que la croissance nous fournira les produits dont nous sommes devenus dépendants. D’ailleurs les grandes corporations savent exactement comment stimuler et entretenir nos dépendances pour faire de nous de fidèles clients. Dans cette danse entre les fournisseurs du produit et ses consommateurs existent un contrat implicite, la société exige plus de ses individus pour produire sans arrêts des produits et les individus, en échange, exige de la société l’accès rapide à ces produits dont ils sont devenus dépendants et qu’ils ont associés à leurs bonheurs individuels. Tout ça peut tenir tant que les deux parties respectent le contrat, dans le cas contraire on risque d’assister et de contribuer à la chute de notre mode de vie.

Pour faire face aux exigences de la croissance continue dans la réalité des limites de notre environnement, certains proposent une croissance verte. Pour revenir à ma métaphore de tantôt, il y a certainement des avantages à soutenir ma croissance en mangeant des légumes bios et des légumineuses plutôt qu’en poutines et pizzas, mais, ça ne supprime pas les effets négatifs de mon désir de grandir et grossir à chaque année qui passe.

Vous avez raison M. Fournier, le problème fondamental de la motivation de nos gouvernants résulte, en partie, de l’apathie des électeurs. Mais il faut se poser la question suivante : d’où vient cette apathie des citoyens électeurs ? La réponse me semble provenir de l’éducation citoyenne. Quand nos politiciens, sous l’influence des lobbies d’affaires préoccupés par le seul profit de leurs entreprises, qui croissent de façon exponentielle, axent la formation de la jeunesse sur sa capacité de faire croitre le PNB au dépend du développement des valeurs de solidarité sociale, voir mondiale; faut-il se surprendre de l’apathie des électeurs face à autrui et à l’environnement ? Le changement de cap passera par la promotion des valeurs humanitaires plus que par celle des valeurs matérielles, donc par la maitrise des gouvernant sur le système capitaliste dérèglementé.