L’auteur est urgentologue, ex-chef du département de médecine d’urgence de l’Institut de cardiologie de Montréal. Professeur titulaire à l’Université de Montréal, il enseigne, participe à des recherches en médecine d’urgence et intervient fréquemment sur les enjeux de santé.
À la fin du printemps, quand les dernières mesures visant à prévenir la contagion par le virus de la COVID ont été levées, j’ai assisté virtuellement à des congrès bien réels. J’ai alors été dérouté par l’attitude des professionnels de la santé quant au port du masque dans ces rencontres : les soignants ne le portaient presque plus.
À la réflexion, deux raisons pouvaient expliquer ce changement soudain. Peut-être le portaient-ils jusque-là seulement par contrainte et non par conviction de protéger ainsi les autres et eux-mêmes. Ou bien ils jugeaient que, devant la propagation décroissante de variants apparemment moins dommageables, le risque était maintenant plutôt faible.
Il serait toutefois difficile d’invoquer le manque d’information : personne ne sait mieux que des soignants d’hôpital comment se protéger. La méconnaissance des risques ? On peut en douter, ces soignants s’occupant depuis deux ans des plus malades d’entre tous et ayant sûrement eu affaire à de nombreux cas de COVID longue.
Je constate surtout un schisme entre ceux qui adoptent de tels comportements, disons « relâchés », et d’autres professionnels et chercheurs (très présents sur les réseaux sociaux) qui restent favorables à des mesures obligatoires de prévention beaucoup plus strictes. Et qui, je dois l’admettre, ont raison sur plusieurs points.
Parce que les risques sont encore bel et bien là : subir les conséquences occasionnelles mais parfois fatales d’une forme grave de l’infection ; souffrir des symptômes de la COVID longue, plus fréquents ; miner la capacité globale de soigner en s’excluant des effectifs disponibles ; favoriser l’émergence de variants en raison de l’excès de circulation virale.
Tout cela est vrai, mais semble avoir peu d’influence sur la prise de risque des soignants ou de la population générale — voilà mon point.
L’information n’est qu’une partie congrue de l’équation complexe qui gouverne nos comportements humains.
Je vois aussi les tenants d’une approche stricte répéter que ces comportements s’expliqueraient par un manque de connaissances quant aux modes de transmission, à la façon de se protéger adéquatement et aux conséquences de l’infection. Pourtant, au vu des innombrables contenus accessibles dans les médias grand public, les réseaux sociaux ou les journaux spécialisés, cette conclusion apparaît discutable.
Mais si tout le monde ne comprend effectivement pas de manière semblable le fin détail des effets de la COVID à court et à long terme, la situation est la même pour bien d’autres activités comportant des risques variés, comme le tabagisme, la prise d’alcool, la conduite automobile, voire l’émission de carbone : les gens fument encore, boivent de l’alcool régulièrement et conduisent trop rapidement… des VUS, et ce n’est pas (seulement) par manque d’information.
C’est que l’information n’est qu’une partie congrue de l’équation complexe qui gouverne nos choix et comportements humains, où les enjeux émotifs, sociaux, cognitifs et même économiques jouent aussi un rôle crucial. Je ne partage donc pas l’idée selon laquelle les gens prendraient des décisions bien différentes si encore plus d’information circulait.
Un autre point, c’est que les limites de ce qu’on peut aisément obliger sur une longue période sont peut-être atteintes en cette mi-juillet où j’écris ces lignes, du moins dans les sociétés comme la nôtre où les gens sont peu habitués à se faire dicter leur façon de vivre, que ce soit pour leur bien ou non. Surtout quand tous les pays de la Terre, ou presque, semblent être sur la même longueur d’onde.
D’où ces idées qui m’habitent ces jours-ci : le choix « risqué » des professionnels participant sans masque à des conférences est peut-être plus assumé et la plupart des gens sont peut-être davantage prêts à vivre avec les conséquences de la COVID qu’on ne le pense généralement. En tout cas, rejeter du revers de la main cet argument, c’est remettre en question autant la capacité de juger que le libre arbitre.
D’autant plus que la fin de l’obligation du masque ne signifie évidemment pas son interdiction. Il est encore possible — et souhaitable ! — de le porter dans plusieurs situations où l’on « perçoit un risque », comme nous l’a mentionné le Dr Luc Boileau, directeur national de santé publique du Québec, en conférence de presse début juillet. Par exemple, dans un autobus bondé… ou dans une salle comble pour une conférence médicale. Sauf que ça ne se fait pas beaucoup.
Je me demande donc quelle est la meilleure approche à adopter en ce moment. Si tout reste stable et qu’on n’assiste pas à court terme aux situations extrêmes qu’on a connues dans le système de santé, doit-on à nouveau obliger le masque — et d’autres mesures au besoin — ou se contenter de le recommander ? Après tout, la santé publique suggère aussi — sans l’obliger — le port du condom, n’est-ce pas ?
Faire confiance aux gens est sans doute la meilleure solution dans les circonstances actuelles — du moins jusqu’à nouvel « ordre ».
Cette chronique a été publiée dans le numéro de septembre 2022 de L’actualité.
L’obligation du masque, à part que dans les établissements de santé, çà nous passe désormais par dessus la tête.
Les personnes vulnérables pourraient mieux se responsabiliser en le portant davantage.
Dans les épiceries, je vois beaucoup de personnes masquées, et presque toutes sont des personnes âgées. Même si le magasin est loin d’être bondé.
Cher Dr Vadebonqueur,
Très intéressante chronique sur le comportement humain.
Vous me permettrez d’y aller de quelques hypothèses pour expliquer l’abandon du port du masque chez plusieurs et le maintien de cette habitude chez d’autres.
1) Abandon du masque:
* Le risque objectif de complications graves est réduit. Évidemment à cause des vaccins, surtout pour les personnes doublement vaccinés et ayant reçu des « doses de rappel » (3e et 4e dose).
* Par perte de l’habitude de porter un masque, par manque d’organisation et l’oubli de mettre un masque dans son sac, etc. Cela prend trois fois pour créer une habitude et trois oublis pour s’en défaire.
* La loi du moindre effort
* L’inconfort objectivement ressenti.
Perso, j’avais de la misère avec les odeurs. J’ai donc pris l’habitude de parfumer l’intérieur de mon masque avec quelques gouttes de lotion après rasage.
* Le conformisme et la peur d’être remarqué
* Pour marquer que l’épidémie est terminée
2) Maintien du masque
* Pour ne pas courir de risques inutiles du genre Covid longue
* Parce que le masque est efficace.
Le vecteur normal d’une maladie pulmonaire est l’air et celui d’une maladie intestinale l’eau ou la nourriture. Je me réfère au choléra où on a longtemps parlé de «miasme atmosphérique» avant de découvrir que c’était principalement l’eau (https://bit.ly/3kTxXUe). De manière analogue la tuberculose se transmet essentiellement par les aérosols, mais cela n’a été découvert que vers 1960 (https://bit.ly/2PSukjP).
* Pour protéger les plus vulnérables
Je connais un enfant de 8 ans non vacciné et sans problèmes immunitaires connus qui est décédé récemment de la COVID. Ses parents sont dévastés…
* Pour ne pas contribuer à amplifier la transmission et l’émergence de mutants (nouveaux variants) plus dangereux
Plus il y a d’hôtes humains contaminés qui répliquent la COVID-19, plus il y a d’exemplaires de virus et plus le virus a de probabilité de muter vers une forme qui résistera aux vaccins actuels.
* Pour donner l’exemple
Depuis plusieurs années j’observais des asiatiques porter des masques dans les transports en commun. Je trouvais l’idée très judicieuse, mais par peur de me faire « remarquer » et par conformisme, je n’avais jamais osé le faire. Maintenant, je m’assume et je porte un masque pour encourager les « hésitants ».
* Pour marquer que l’épidémie n’est pas terminée
Enfin par dissonance cognitive, cela s’applique autant au porteur qu’au non porteur de masque. La dissonance cognitive désigne la tension qu’une personne ressent lorsqu’un comportement entre en contradiction avec ses croyances. Il y va du maintien de la cohérence personnelle, y compris les stratégies d’évitement des circonstances identifiées comme source de dissonance. (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive).
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE
Je n’ai pas de doute que le masque est un moyen additionnel de protection «rapprochée» et qu’il contribue de ce fait à diminuer la propagation du virus.
On peut le porter pour protéger les plus vulnérables au cas où on serait soi-même infecté avec ou sans avoir de symptômes.
Le masque contribue aussi à la protection de celui qui le porte au cas où il serait exposé à quelqu’un qui est infecté et qui pourrait propager le virus.
On s’entend là-dessus!
Bien qu’en Chine, ce ne soit pas assez, puisque la population est de temps à autre strictement confinée (enfermée) chez elle pendant de longues périodes.
Ce qui me fait tiquer, c’est que j’ai lu qu’environ 25 à 30% de la population est considérée « vulnérable» soit: beaucoup de personnes âgées de plus de 70 ans, les personnes ayant certaines maladies (diabète, maladie respiratoire chronique etc.) et celles dont le système immunitaire est moins aguerri. Ces personnes, si elles sont infectées, risquent de développer de graves complications et/ou en mourir.
Ce qui est bizarre, c’est qu’il n’y a certes pas 25 à 30% de la population qui porte le masque. Si on est chanceux, on peut observer quelques oiseaux rares le porter en public.
Les dits vulnérables ne se responsabilisent-ils et ne se protègent-ils pas eux-mêmes, ou alors ils ne sortent peut-être presque pas de chez eux?
Donc, comment dire, par analogie, que je suis moins enclin à faire un effort altruiste de porter le masque pour protéger les dits vulnérables s’ils ne font pas d’efforts eux-mêmes ou bien, je me dis qu’ils sont très prudents et qu’ils ne fréquentent pas de toute façon les lieux publics:
– Oui, en hiver, je m’habille chaudement et j’évite les trottoirs glacés.
– Oui, il est difficile d’aider quelqu’un qui ne veut pas s’aider lui-même!
– Oui, aide toi et le Ciel t’aidera!
Sans compter qu’il est aberrant que des travailleurs dans les établissements de santé et dans les écoles n’aient pas été cherché leur dose de rappel s’il s’est écoulé plus de 5 mois depuis leur dernière dose.
Bon je l’admets: j’en ai plein mon casque du masque!
Je rejoins les propos de Denis Lauzon concernant les personnes à risque. Ce que je déplore c’est qu’il n’y a jamais eu de débat publique concernant l’efficacité du port du masque. J’ai un énorme respect pour le Dr. Vadeboncoeur mais expliquez-moi pourquoi d’autres médecins, virologues, microbiologistes ne partagent pas le même narratif ? Ils n’ont jamais droit de parole et pire, ils sont sanctionnés s’ils s’expriment publiquement !
Des études existent démontrant l’efficacité ou la non-efficacité des masques. Alors pourquoi ne pas laisser ces spécialistes en débattre publiquement ? Ne sommes-nous pas en démocratie ?
@Pierre Jean, il existe une abondante littérature scientifique su l’efficacité des différents types de masques. Par exemple, « An evidence review of face masks against COVID-19 » https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2014564118, « Science Brief: Community Use of Masks to Control the Spread of SARS-CoV-2 », https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/science/science-briefs/masking-science-sars-cov2.html Ce sont des études publiques et puisque la science est ouverte, si quelqu’un a des évidences scientifiques qui tiennent la route et qui contredisent l’utilité du masque, il n’a qu’à soumettre sa recherche à un journal scientifique et s’il a raison il sera publié.
En français, un article de l’INSPQ « COVID-19 : Modes de transmission et efficacité du port de masque de type N95 et du masque médical » (https://www.inspq.qc.ca/publications/3193-transmission-efficacite-masque-covid) .
Je vous conseille de regarder la très belle animation (en français) du New-York Times qui explique le fonctionnement d’un masque de type N95 : https://www.nytimes.com/fr/interactive/2020/11/11/science/masques-contre-covid.html
Scientifiquement vôtre
Claude COULOMBE