L’auteure est professeure associée à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski et présidente-directrice générale du cabinet de consultation M — Expertise marine, spécialisé dans les services environnementaux et océanographiques.
Pour beaucoup de gens, la crevette nordique forme avec le crabe des neiges et le homard la « Sainte Trinité des crustacés ». Il y aura cependant moins de crevettes nordiques dans nos assiettes cette année. Car à l’inverse des deux autres, ces tout petits crustacés roses à six pattes sont de plus en plus fragiles. Et les experts tentent tant bien que mal d’assurer la pérennité de cette précieuse ressource. Les stocks de crevettes nordiques sont actuellement parmi les plus faibles observés au cours des 30 dernières années, concluent les scientifiques du Comité consultatif sur la crevette.
Les quotas seront resserrés, si bien qu’il se pêchera moins de crevettes en 2022 : quelques centaines de tonnes de moins que les 18 000 tonnes allouées en 2021. La baisse de revenus prévue est d’environ 2,5 millions de dollars pour les flottilles du golfe, a déclaré Patrice Element, de la Coopérative des capitaines propriétaires de la Gaspésie, dans une entrevue accordée à Radio-Canada en février.
La crevette nordique, longue d’une dizaine de centimètres au maximum — sa taille étant largement influencée par la température de l’environnement ou le sexe des individus (les mâles sont plus petits) —, se retrouve dans les trois océans entourant notre pays, dans les eaux froides oscillant entre 2 °C et 6 °C. Bien que petite, cette crevette joue un rôle clé dans les écosystèmes en se nourrissant d’un large éventail de proies, jusqu’aux carcasses de poissons, dont une grande diversité se détecte (par l’ADN) dans son estomac, en raison de son comportement de charognard. Cela a même conduit certains scientifiques à proposer la crevette nordique comme un échantillonneur naturel efficace pour évaluer la diversité moléculaire des poissons dans les écosystèmes marins.
Il s’en capture d’ordinaire plus de 17 000 tonnes par année seulement dans la partie atlantique, incluant les zones de l’estuaire, Sept-Îles, Anticosti et le chenal d’Esquiman (entre Terre-Neuve et la Côte-Nord). Plus de la moitié des stocks provenant de ces zones sont exportés vers des marchés étrangers, notamment la Chine, le Danemark, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. C’est l’une des pêches les plus importantes au monde, qui rapporte annuellement des revenus d’environ un demi-milliard de dollars aux pêcheurs canadiens.
Dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, on pêche ce crustacé au chalut — un grand filet qu’on déploie à l’arrière d’un navire — depuis les années 1960. Au départ, les débarquements étaient évalués à quelques dizaines, voire quelques centaines de tonnes, et ce n’est qu’en 1982 qu’on a commencé à imposer un quota sur le stock (12 999 tonnes à l’époque). Les plus gros quotas ont été alloués au début des années 2000 (plus de 35 000 tonnes), et depuis 2015, ils baissent d’année en année.
Différents facteurs expliquent la réduction des stocks de crevettes. Des changements mondiaux comme le réchauffement de la température de l’eau et la diminution du taux d’oxygène, dans le Saint-Laurent comme partout ailleurs. Mais aussi des changements dans la structure même de l’écosystème, qui font que des prédateurs, comme le sébaste, sont de plus en plus nombreux.
Qu’est-ce qu’une évaluation des stocks ?
À la suite de la réunion, en février, du Comité consultatif sur la crevette, où se rassemblent des scientifiques et des experts de l’industrie, il a été convenu qu’il fallait agir avec précaution pour s’assurer de ne pas voir le stock de crevettes s’effondrer.
À l’instar de la majorité des ressources marines canadiennes, les stocks de crevettes sont gérés comme un compte bancaire. Le solde augmente grâce aux jeunes qui atteignent une taille suffisante, et diminue à cause des prédateurs ou encore de la pêche. Pour estimer quel peut être le « retrait », les experts tiennent aussi compte de l’approche écosystémique des pêches (qui considère plusieurs espèces à la fois, en plus d’évaluer les produits et services que cette structure rend à l’humanité). Ils mettent au point également des stratégies de récoltes suivant un principe de précaution — faire un peu moins de retraits que ce qu’on pourrait, pour se garder une petite réserve, juste au cas.
Le ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne n’a pas encore annoncé sa décision concernant les quotas qui seront alloués aux pêcheurs de crevettes en 2022.
Notes
Le titre et le texte de cet article ont été modifiés le 29 mars 2022 pour désigner le crustacé dont il est question par le nom «crevette nordique», plutôt que par l’expression «crevette de Matane», qui suscite le débat au Québec.
Le texte a été modifié le 31 mars pour indiquer que les mâles de l’espèce sont plus petits que les femelles, et non l’inverse.
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Très bon article de vulgarisation de la gestion des pêches. Il y a une erreur cependant chez la crevette nordique ce sont les mâles qui sont plus petits (de beaucoup) et non les femelles.