Le physicien Normand Mousseau tire à boulets rouges sur la gestion de la pandémie dans un livre coup-de-poing, Pandémie : quand la raison tombe malade. Mais que vient faire là-dedans ce professeur de l’Université de Montréal, directeur de l’Institut de l’énergie Trottier, qui n’a aucune expertise en santé publique, épidémiologie ou infectiologie ? Faut-il le croire quand il affirme que le dogmatisme, l’improvisation, le travail minable des experts et des médias ainsi que la négligence quant aux effets sur les plus fragiles ont engendré une gestion désastreuse de la pandémie ? La raison est-elle vraiment tombée malade ?
Normand Mousseau est habitué à ausculter des questions complexes dans lesquelles science et politique s’entremêlent et s’influencent. Ce n’est pas la première fois que cet adepte de la vulgarisation prend la plume pour parler d’un sujet qui lui tient à cœur, mais qu’il n’a pas étudié de manière scientifique. Dans son livre, il soulève des questions cruciales. Mais son propos manque souvent de nuance et de rigueur. C’est un coup de gueule plus qu’une analyse fouillée, et les pistes de solution font défaut.
Un monde déraisonnable
C’est vrai, comme l’explique le physicien, notre société était très mal préparée à affronter une pandémie, qui n’a fait que révéler tout ce qui n’est pas raisonnable dans la manière de gérer nos affaires courantes.
On sait très bien que les inégalités sociales sont le déterminant le plus important dans la santé des populations et que même si le Québec fait plutôt mieux que ses voisins, il lui reste une bonne marge de progrès pour intégrer ce fait à ses politiques publiques. Qu’on ait mal évalué et géré les répercussions de la pandémie chez les plus mal pris n’est malheureusement pas une surprise.
Si nos gouvernements avaient plus de moyens, qu’ils étaient notamment capables d’entretenir une fonction publique plus performante, innovante et réactive, on aurait fait bien mieux. Le système de santé, lui, est devenu un monstre qui menace d’exploser entre les dépenses croissantes dues au vieillissement de la population, la multiplication des traitements qui prolongent nos vies, des conditions salariales très inégalitaires entre une élite et les préposés au bas de l’échelle et une gestion de réforme en réforme. Nous payons aussi le prix d’années de sous-investissements en santé publique et en prévention des maladies. Mais maîtriser les dépenses publiques, ne pas augmenter les impôts de la sacro-sainte classe moyenne, voilà ce qui plaît.
Normand Mousseau a raison lorsqu’il affirme que la menace des changements climatiques, bien pire que celle du coronavirus, est négligée par les gouvernements qui l’ont ignorée durant cette année. Là encore, malheureusement, rien de nouveau. On ne s’étonne même plus qu’ils ratent les cibles qu’ils se sont eux-mêmes fixées, on continue d’acheter des VUS et de surconsommer, sans trop se soucier de la déprime des jeunes qui devront composer avec la crise climatique.
Le physicien pointe quelques éléments qui, à ses yeux, ont constitué des erreurs majeures depuis le début de la pandémie. Mais en sont-elles vraiment ?
L’épidémiologie
A-t-on paniqué à cause de modèles de projections épidémiologiques trop pessimistes, comme l’affirme Normand Mousseau ? Ces modèles qui tentent de représenter des phénomènes aussi complexes que les interactions sociales aboutissent à des résultats très incertains, qui ne sont pas des prévisions. Ils représentent juste un éventail des possibilités, un élément quand même utile pour se préparer, plutôt que de se croiser les bras. Ils ne devraient jamais être la seule base des décisions. Les études en laboratoire sur les modes de propagation du virus, et surtout les études de terrain qui permettent réellement de comprendre comment celui-ci se transmet dans la vraie vie, nous renseignent beaucoup mieux. Mais en mars, alors que le virus avait émergé seulement deux mois plus tôt, on n’avait pas d’autre choix que de se fier avant tout à des modèles de projections épidémiologiques, aussi imparfaits soient-ils, car les études en laboratoire en étaient encore à leurs balbutiements et les enquêtes de terrain commençaient à peine, surtout en Chine. Les analyses rétrospectives gomment souvent la temporalité dans l’avancée des connaissances. Depuis, les autorités prennent en compte des données de multiples sources. Dans bien des cas, elles se sont montrées plus réactives que jamais à la science encore naissante.
La santé publique
Normand Mousseau accuse la santé publique d’avoir fait preuve de dogmatisme et de n’avoir servi que de faire-valoir à des décisions politiques. Cela reste une opinion qui ne vaut pas plus que celles d’autres non-spécialistes qui ne savent pas, dans le détail, comment les choses se passent. Cela démontre bien, en revanche, que la gestion de cette crise devrait être beaucoup plus transparente, car la population dans son ensemble peine à savoir sur quelles bases se prennent les décisions.
On ne pourra pas faire l’économie d’une enquête indépendante et détaillée sur la manière dont toute cette crise a été gérée, pour se donner au moins une chance d’apprendre de nos erreurs. Et peut-être décidera-t-on, enfin, de donner plus de moyens et de pouvoir à ceux qui ont entre les mains la prévention des maladies, et les écoutera-t-on un peu plus quand ils se penchent sur les multiples répercussions des inégalités sociales et de l’état de l’environnement sur la santé et le bien-être de la population.
Le confinement
Normand Mousseau a été abasourdi quand il a réalisé que la seule option envisagée face à la progression du coronavirus était un confinement de la population, dans une civilisation qui connaît la mécanique quantique et qui a mis les pieds sur la Lune il y a plus de 50 ans. Mais c’est bien mal comprendre le monde vivant que de croire qu’il est aussi facile de maîtriser la relation entre les humains et les microbes que l’électronique ou la mécanique ! Tous les problèmes liés aux activités humaines sont infiniment complexes à résoudre. On le voit bien avec les changements climatiques et les gaz à effet de serre. Même si c’est au hasard de mutations génétiques que le coronavirus a acquis son potentiel pandémique, il y a aussi bel et bien un lien entre sa facilité à se répandre et notre mode de vie qui encourage la destruction des milieux naturels et la dissémination rapide par les transports aériens.
Pour qu’une pandémie s’arrête, il n’y a que trois possibilités : avoir de la chance avec une mutation qui affaiblit le virus, empêcher l’infection avec un vaccin, ou empêcher les contacts humains. Il aura fallu moins d’un an pour développer et tester des vaccins contre un virus inconnu auparavant. Un exploit incroyable ! Confiner les populations en attendant a eu certes des effets désastreux, mais s’est aussi avéré très efficace pour empêcher que le virus se répande. Les Chinois ont été les premiers à le démontrer, eux qui ont retrouvé une vie quasi normale après un confinement extrêmement strict. Aux États-Unis, malgré les confinements décrétés dans plusieurs métropoles comme New York, puis la distanciation et les masques adoptés par une partie de la population, la COVID a déjà tué plus de 260 000 personnes cette année, un chiffre pas du tout négligeable comparé aux 600 000 morts par an que font l’ensemble des cancers !
Normand Mousseau exagère évidemment quand il parle du choix fait par le Québec d’enfermer la population à double tour pendant des mois à grand renfort de politiques ultra-répressives. La Corée du Sud et la Suède, affirme-t-il, ont fait bien mieux.
Mais les comparaisons internationales sont souvent très boiteuses, car chaque pays a ses forces et ses faiblesses, et sa culture. La Corée du Sud a été marquée par sa gestion désastreuse de l’éclosion du virus respiratoire du Moyen-Orient, le MERS, survenue en 2015. Face au manque de transparence du gouvernement, qui avait caché des cas et s’était attiré les foudres de l’OMS, la population s’était autoconfinée ! Cet épisode peu glorieux a amené la Corée du Sud à développer massivement ses capacités de traçage et d’enquêtes épidémiologiques bien avant le début de la pandémie. Dans ce pays très technologique, les libertés individuelles sont aussi constamment bafouées par la surveillance exercée par les autorités qui, par exemple, vérifient le téléphone cellulaire des personnes qui doivent s’isoler. Ne pas respecter l’isolement est passible de plus de 10 000 dollars d’amende ou d’un an de prison ferme. Appliquer ça au Québec ?
Le cas de la Suède est différent. Certes, comme l’explique Normand Mousseau, cette société a beaucoup de points communs avec le Québec. Elle est cependant un peu plus riche, plus égalitaire et investit plus dans l’éducation. Et elle n’a pas les mêmes voisins. Dès le début de la pandémie, le gouvernement suédois a mis la gestion de la crise sous la houlette d’Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de l’Agence de santé publique de Suède, plutôt que de mettre de l’avant ses politiciens. Mais Tegnell et le gouvernement suédois ont fait un double pari risqué : faire confiance à la population en lui recommandant des comportements sécuritaires plutôt que d’imposer des règles strictes, et aller à l’encontre d’idées largement partagées par la majorité des experts ailleurs dans le monde. La Suède a laissé la santé publique parler, et globalement, la population disciplinée a suivi ses recommandations.
À l’issue de la première vague, elle avait un nombre de morts et de cas guère différent de celui établi pour le Québec, avec toutefois un bilan bien plus lourd que celui de ses voisins scandinaves. Son bilan n’a pas été aussi catastrophique que celui que prédisaient bien des observateurs. Il est cependant encore beaucoup trop tôt pour savoir si cette audace a payé, d’autant plus que face à la seconde vague, la Suède s’aligne actuellement sur la stratégie dominante, alors que dans les autres pays industrialisés, les reconfinements ont été moins sévères et plus ciblés que lors de la première vague. Mais la pandémie n’est pas finie ! Rien ne prouve que s’il avait adopté la même stratégie que la Suède, le Québec aurait eu de meilleurs résultats, ou que nos experts ont manqué de jugeote, comme le croit Normand Mousseau.
Les experts et les médias
Dans son livre, le physicien rapporte quelques erreurs commises par des experts amenés à donner leur opinion à des médias. Il en déduit qu’ils ont globalement mal joué leur rôle d’éclairer la population, confondant souvent position scientifique et idéologie. Je ne partage pas ce point de vue : il me semble que les scientifiques et les médecins nous ont au contraire plutôt bien servis en nous aidant à comprendre la crise, malgré les erreurs bien réelles de quelques-uns. Cependant, pas plus que Normand Mousseau, je ne suis en mesure de le démontrer scientifiquement. Voilà un beau sujet pour de futurs doctorats en communication !
En me basant sur ma (longue) expérience personnelle, je crois que bien des chercheurs sont encore mal préparés à prendre autant de place dans l’espace public, ne comprennent pas bien le travail des médias et, surtout, ne distinguent pas assez, quand ils s’expriment, ce qui relève de faits scientifiques établis plutôt que d’une opinion personnelle plus ou moins éclairée. Et bien des journalistes font aussi mal la part des choses. On peut mieux faire.
Les médias, eux, ont-ils aussi fait un mauvais travail en ne remettant pas assez en question les stratégies gouvernementales, comme le dit Normand Mousseau ? Il est certain qu’ils auraient pu faire mieux s’ils avaient été en meilleur état lorsque le coronavirus est apparu. Mais le manque de moyens et de culture scientifique a pesé lourd dans la balance, tout comme la tendance à sous-estimer l’intelligence du public que dénonce Marie-France Bazzo dans son nouveau livre (à lire !), Nous méritons mieux. Normand Mousseau va cependant très loin dans ses critiques en dénonçant la « paresse intellectuelle » de « beaucoup de journalistes »*. Je suis peut-être partiale, mais insulter toute une profession au détour d’une phrase me semble bien facile. Un peu de rigueur, Monsieur le professeur !
* Je remercie quand même Normand Mousseau de m’avoir épargné cette épithète en citant mon travail en exemple. 😉
« Si nos gouvernements avaient plus de moyens, qu’ils étaient notamment capables d’entretenir une fonction publique plus performante, innovante et réactive, on aurait fait bien mieux. » — Valérie Borde
Je ne voudrais pas fustiger madame Borde, dont j’apprécie sa transmission du savoir scientifique, mais… je ne vois pas grand-chose de scientifique dans de telles assertions du genre : « Si ma tante en avait, ce serait mon oncle… »
Je vois plutôt sur l’ensemble de ses propos une déclaration politique, un soutien « très légèrement critique » à l’actuel gouvernement. C’est son droit bien sûr de déclarer son amour à celui ou celles qui portent « à bout de bras » les institutions. Si ce n’est que force est de constater qu’on se sert des gens plutôt qu’on ne les sert.
Force est toujours de constater que la multiplication des messages du gouvernement force à la confusion. Est-ce vraiment la science qui inspire les messages à la population ? Lorsque toute confusion ne sert qu’à corrompre le message. Ce n’est donc pas le nombre de fonctionnaires qui feraient la différence, leur performance et leur innovation, ni la seule question des moyens. Ni de la paye des préposés qui œuvrent dans la santé.
Il n’y a pas que le racisme qui soit systémique. C’est surtout le laxisme qui est systémique et érigé en forme de gouvernance toxique.
Ce qui est à la base de toute démarche scientifique cohérente, c’est la volonté de chercher et de trouver des solutions. Les personnes en charge actuellement n’ont peut-être pas fait moins bien que leurs prédécesseurs. Mais ont-ils/elles fait mieux ? Et feront-ils mieux dans un avenir proche ?
Dans la même veine, madame Borde prend la défense des autorités publiques qui ne savaient rien des nouvelles études épidémiologiques. Pointe du doigt la Chine comme… Donald Trump…. Bin voyons !
Mais comment se fait-il que dès la fins janvier, début février, avec seulement quelques clics de souris, j’en savais plus que ce qu’apparemment n’en savaient nos édiles publics ? Je dispose pourtant d’assez peu de moyens. Aux dernières nouvelles même le docteur Arruda savait et disait ce qui devait être dit à qui de droit, mais personne ne l’entendait.
Pourquoi, certaines provinces, je pense notamment à la Colombie-Britannique, avait-elle mieux anticipé que nous la crise et adopté des mesures préventives plus performantes que les nôtres ? Les études sont les mêmes pour tous. Encore faut-il savoir les décoder.
Inégalités sociales ou pas ? Moyens supplémentaires ou pas ? La question est et reste de savoir si nous pouvions adopter des mesures de prudence adéquates ou bien pas. Sommes-nous capables scientifiquement ou pas de regarder les choses en face ou alors toujours pas ?
Il est assez évident au train où vont les choses, de prédire avec certitude que la prochaine crise quelle qu’elle soit, sera plus effroyable que celle que nous traversons en ce moment. Je ne dis pas que j’ai bien hâte de voir ça… mais je m’y prépare. La plus élémentaire des prudences, nous commanderait à toutes et à tous de faire la même chose.
Cependant… madame Borde, préfère s’adonner en l’art de la justification. La justification, n’est-ce pas ce qui après tout justifie toutes nouvelles formes de tyrannies ?
Je crois que nous faisons « assez » bien, malgré tout.Certain pays fait un peu mieux, mais beaucoup font pire que nous.Ce que je remarque le plus,c’est le manque de confiance des citoyens face a leurs gouvernements .Situation exacerbée par,toujours ,la mise en avant du négatif plutôt que du positif. Rarement voit-on aux nouvelles les bons coups des dirigeants, et même entre les politiciens. Difficile de diriger quand la confiance est basée sur des perceptions plutôt que des faits et des connaissances.
Il est facile de jouer les gérants d’estrade. M. Mousseau pourrait se présenter aux prochaines élections et voir s’il rejoint assez de québécois pour se faire élire. La gestion de masse est un art. Il y a abondance d’info, interprété sous de multiples filtres. Ca prend un chef d’orchestre et suivons-le. Laissons les partis d’opposition jouer leur rôle. Mêlons-nous de nos affaires. On décidera aux prochaines élections si on approuve ou pas.
Je n’ai pas eu le « plaisir » de le lire mais, dès que des propos, fondés ou pas, à demi fondés ou pas, ressemblent à une séance de chialage, je n’en suis pas. Tout comme les parties d’opposition le font actuellement, critiquer, critiquer, n’apporte pas grand chose de positif. Si ces critiques s’accompagnaient de SUGGESTIONS, de propositions constructives, je serais ouvert à les entendre. Il est tellement facile de se faire un nom en cassant du bois sur le dos de ceux qui sont responsables. Mais jamais je pourrais donner mon vote à ces … personnes. Tout au plus, je peux leur prêter une oreille pour comprendre l’objet de leur propos et voir s’il y a un début de construction de solutions.
En démocratie, l’opposition s’oppose, c’est son rôle et celui de chien de garde de la démocratie. Un état sans opposition est une dictature et on en voit assez dans ces temps troubles. Oui, c’est mieux si c’est constructif mais ça n’empêche pas que l’opposition est nécessaire pour assurer l’équilibre des pouvoirs. D’ailleurs quand l’opposition ne s’oppose pas, il ne nous reste que les médias pour tenter de protéger la démocratie (on ne voudrait pas d’une révolution violente dans la rue n’est-ce pas?) et on a vu ça surtout dans les premiers mois de la pandémie alors que lorsque le PM Legault ouvrait la bouche c’était parole d’évangile. Vous êtes libre de suivre la CAQ dans tout ce qu’elle fait et vous n’êtes pas obligé de lire Mousseau, on est dans un pays libre, enfin presque.
Je prétends savoir comment les choses se passent en santé publique, pour y avoir travaillé pendant 27 ans, dont 20 en maladies infectieuses. Et fort de cette expérience, je m’incline devant la lucidité du docteur Mousseau.